À chacun son Carême ?

Je ne peux que signer et contresigner l’appel de notre ami Jacques de Guillebon (1) à ce que les catholiques organisent un véritable Carnaval pour le Mardi Gras (et pour d’autres dates traditionnelles comme le jeudi de la Mi-Carême ou encore la Fête des Fous, Fête des Innocents ou Fête de l’Âne, dite encore Fête des Diacres-Soûls, lors des trois jours qui suivent Noël) qui renvoie par sa gaîté et sa démesure les mornes Gay Pride et Love Parade aux oubliettes. Le risque est que les cathos, qui ne sont pas très gais et très peu portés sur la démesure ni les excès, nous fassent quelque chose de bien gentillet et propret, une « Catho Pride » tendance bleu marine et rose, et l’on ne sache guère aujourd’hui d’« évêque des fous » ni de « pape des fous » qui ose relancer ces traditions carnavalesques, charivaresques et chahuteuses. Peut-être cet episcopus stultorum émergera-t-il un jour comme quelque « évêque du dehors », laïc rubicond élu par la foule en liesse ? Une sorte de « folie en Christ » collective, de goliardise illustrant joyeusement les paroles de l’Apôtre : « Ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion les sages » (2) ? Mais si ces fêtes ouvrant ou rompant le jeûne sont tombées en désuétude, c’est à la mesure dont ce dernier a été massivement abandonné : au contraire des Eglises d’Orient, l’Eglise catholique romaine ne recommande aujourd’hui que le Mercredi des Cendres et le Vendredi Saint comme jours de jeûne et d’abstinence. Révérence gardée, cela paraît bien insuffisant. Insuffisantes aussi les trop nombreuses explications spiritualisantes et moralisantes du jeûne et de l’abstinence, hélas trop souvent entendues, mauvais exemple à l’appui, de nos pasteurs : « Ce qui compte, c’est le jeûne de l’esprit, le jeûne du cœur, c’est de s’abstenir des mauvaises pensées, des mauvaises actions… » Bien sûr, et c’est précisément pour nous y disposer que sont proposés le jeûne et l’abstinence du corps, le jeûne et l’abstinence de la bouche et du ventre, dont le Christ lui-même nous a donné l’exemple : « Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. » (3) « Le serviteur n’est pas plus grand que son maître. » (4)

De plus, si l’offre carêmique est maigre, si j’ose dire, la demande est forte : en témoignent les nombreuses initiatives en ce sens, parcours de carême qui en redessinent le sens : Carême pour la Terre, Lent 4.5, sessions de jeûne, etc. Sans compter les innombrables pratiques individuelles qui vont parfois dans tous les sens : jour anti gaspi, jour sans télé, etc. Alors, à chacun son Carême ? Il est peut-être temps pour l’Eglise de proposer, parole et exemple des clercs à l’appui, les règles objectives d’un Carême pour tous, libre à chacun d’y ajuster ou d’y ajouter ses propres résolutions, libre à chaque personne ou chaque groupe, communauté, paroisse, réseau, de tisser son effort particulier dans l’effort commun. Ce devrait être, au minimum, un Carême sans viande et sans poisson, et même sans œufs ni laitages comme le pratiquent les chrétiens orientaux. Un végétarisme ou un végétalisme conçus comme une véritable ascèse pour tous, c’est-à-dire un entraînement corporel et spirituel qui convertit nos cœurs et nous tourne davantage vers l’amour de Dieu, l’amour de notre prochain et l’amour de la Création tout entière.

S’il est temps de redécouvrir, contre le rituel monotone de la consommation festive, les débordements énergiques des grandes fêtes de nos calendriers, il est davantage urgent de retrouver les vertus toniques des jeûnes traditionnels : jeûne du Carême bien sûr, mais aussi jeûne de l’Avent, jeûne des Rogations, jeûne des Quatre-Temps, jeûnes des grandes solennités liturgiques…

Alors ? « Mangeons et buvons car demain nous mourrons » (5) ? Tristes ripailles que celles de celui qui ne croit pas en la résurrection… Mais jeûne joyeux de celui qui a les promesses de la vie éternelle !

> Cet article est la version longue d’un article paru dans La Nef n°258 d’avril 2014

1. « Carême : nous ne sommes rien, soyons fous ! », Causeur, 5 mars 2014.
2. 1 Corinthiens 1, 27
3. Jean 12, 26
4. Jean 13, 16
5. 1 Corinthiens 15, 32

Related Articles

32 Comments

Avarage Rating:
  • 0 / 10
  • Daniel , 9 avril 2014 @ 5 h 12 min

    Question Christianisme et islam, ai je prétendu le contraire ? De quelle manière faut il le formuler, reformuler,, répéter, expliquer ? il n’y a que les gens qui justement, et malheureusement, ne connaissent plus l’islam que le catholicisme qui tendent à croire que le jeune serait une seule pratique musulmane.

    Et si tout simplement tu ne pouvais pas te rendre qu’au final, et bien l’islam s’est construite en prenant bien plus de choses que tu n’oses l’imaginer au Christianismes, ainsi qu’au judaïsme par ailleurs. Le jeûne et le carême existant BIEN avant que l’islam ne voit le jour ! L’une des tragédies des chrétiens d’Occident, c’est de l’avoir oublié. or il y a encore 40 ans, en France, des français de souche, vivant principalement en milieux rurale, ainsi que des immigrés européens,, pratiquaient le carême à plusieurs niveaux, mais ils le pratiquaient tout de même. La faute à la révolution des moeurs ultra libérales, aux doctrines franc maçonnes, à la société de consommation…..

    C’est pour cela qu’il existe dorénavant des gens qui se disent d’origine chrétienne, aspirant à retrouver les valeurs passées, mais qui hélas , ne savent pas par où commencer, et se construisent des repères dits free lance

    Quand j’invoque un moyen, ce moyen est d’autant plus obligatoire qu’il constitue une étape terrestre car notre existence est matériel, ce par quoi il faut commencer à s’en détacher, par certaines pratiques, dont celle du jeûne, du moins, des différentes formes de jeûne.

    Effectivement, et là je peux te donner raison, le moyen n’a pas à devenir une fin, car agir ainsi consisterait à trahir tout ce qu’on fait pour carême. maintenant, si tu relis ce que j’avais précédemment écrit, j’expliquais que certains en continue la pratique, même après le Lundi de Pâques, pour en continuer les effets ressentis comme positifs dans leur propre existence. C’est comme si, au bout des 40 jours de carême, tu lançais une mécanique qui te permets de rentrer plus intensément en relation avec Dieu, que cela conduirait à rendre ton existence plus vivante et moins prisonnière e maintes domaines superficiels, qu’au final, tu serais porté à vouloir le continuer pour tout le reste de ton existence. Et c’est le rôle du Carême : rapprocher la créature du créateur, et non pas l’éloigner.

    Jésus condamne les faux prophètes à venir, tu donnes une version du Carême qui ressemble plus à la débauche qu’à la notion même de libération de l’âme et de l’individu vis à vis de ce qui le rend prisonnier sur Terre.

    Par ailleurs, Mardi Gras ou Jeudi Gras, selon les pays, ou encore Mi-Carême, ne sont pas des fêtes authentiquement catholiques. Déjà, l’état d’esprit de Mardi gras a été conçu pour répondre à la période de jeûne, cette connotation se trouve dans le nom éponyme de cette fête. D’autre part, les pratiques pro-carême consiste, pour les plus faibles, à se préparer, et donc à commencer à jeuner avant l’entrée en Carême, pour que ceci ne leur paresse pas trop violent. Enfin, quand on regarde les fêtes de Mardi ou Jeudi Gras, elles n’ont absolument rien à voir avec les valeurs du christianisme : déjà, on pourrait associer cette fête à Pourrim, ce qui est l’inverse de la notion de jeûine . C’est au cours de cette fête que la société de consommation s’en donne à coeur joie, sans compter les nombreux gaspillages de nourriture : on se jette des oeufs, de la farine. Quand on jette de la nourriture dans la rue, c’est qu’on plus aucun respect pour l’Existence.

    La Mi Carême n’est pas une fête en soit, c’est une pause, pour les enfants, et celle – ci ne prend de sens que vis à vis du jeune du Carême. On a institué la Mi – Carême pour les enfants qui faisaient Carême pendant 40 jours. Si on ne jeune pas, cette fête n’a absolument aucun sens

    Par ailleurs, le jeune du Carême n’a absolument rien de triste : au contraire, l’intensité de la relation avec Dieu, partagée avec d’autres catholiques pratiquant le jeune, est en soit un intense moment de l’existence à promouvoir, être en famille est une Joie, mais être dans sa famille Chrétienne et Catholique est un bonheur encore plus puissant.

  • samovar , 12 avril 2014 @ 21 h 23 min

    Daniel, Vous pourriez lui répondre en restant poli, même si c’est vrai que hermenelas a réagi sans avoir lu le texte de Patrick Canonges … Il n’y a pas que des soudards qui lisent ces pages !

  • samovar , 12 avril 2014 @ 21 h 29 min

    Daniel et hermenelas, si deux chrétiens se traitent ainsi, nous sommes vraiment mal barrés. Ou alors c’est un jeu de rôles que vous nous faites ici … bon alors je vais en rire …

  • samovar , 12 avril 2014 @ 21 h 35 min

    Remarquez Daniel et hermenelas, que même les athées pratiquent le jeune : un peu avant l’été, c’est préconisé et décrit abondamment dans tous les magazines féminins et sans doute aussi masculins, photos de jeunes personnes squelettiques à l’appui, de la religion laïque de Société de Consommation et d’Edonisme …

Comments are closed.