Valeurs actuelles
Par Charles Sapin
Police Judiciaire. Un siècle après sa création, la PJ parisienne s’apprête à quitter le mythique 36, quai des Orfèvres, sur l’île de la Cité, pour rejoindre le quartier des Batignolles. Une nouvelle page de son histoire…
Enquêteurs, techniciens, photographes s’activent pour collecter puis “faire parler” les indices éparpillés sur une scène de crime. Sur leurs gilets, deux mots : “police judiciaire”, la PJ. « La meilleure police du monde », disait Valéry Giscard d’Estaing. Créée par le préfet Célestin Hennion pour « seconder l’autorité judiciaire dans la répression des crimes et des délits », la police judiciaire parisienne a soufflé cette année sa centième bougie.
Un siècle d’intrigues, de criminels, d’enquêtes menées pour protéger la société des menaces les plus diverses, de l’abus de bien social au proxénétisme, du braquage à l’assassinat. L’an dernier, 313 homicides ou tentatives d’homicide, 704 viols, 719 vols à main armée, 1 627 escroqueries ont été enregistrés sur la zone de compétence de la PJ parisienne (la capitale et ses trois départements limitrophes). « Il m’est arrivé plusieurs fois d’avoir des odeurs de cadavres sur les vêtements et de rouler la fenêtre ouverte sur le périph pour espérer chasser tout ça », confie Christian Flaesch, l’actuel patron de la PJ parisienne. « Bien plus qu’un métier, résume un officier, la PJ, c’est une passion. »
Un livre en témoigne aujourd’hui : Enquêtes générales, immersion au coeur de la brigade de répression du banditisme. Pendant quatre mois, Raynal Pellicer a pu suivre le quotidien de la brigade de répression du banditisme, la BRB, plus précisément d’une unité constituée d’une quinzaine d’hommes chargés des affaires de braquage dont le montant est supérieur à 300 000 euros. Les “enquêtes générales” sont « un service à part, protégé : hors de question de révéler le visage et l’identité des enquêteurs »… D’où l’idée de ce livre singulier, somptueusement illustré par les aquarelles d’un dessinateur talentueux, Titwane : une réussite éditoriale et, surtout, un très bel hommage à des hommes qui s’inscrivent, à leur façon, dans cette tradition centenaire.
Originellement composée de 830 agents, la direction régionale de la police judiciaire de Paris compte aujourd’hui plus de 2 000 policiers regroupés en 28 brigades spécialisées. C’est d’abord ces hommes que le grand public associe à l’histoire de la PJ, des flics de légende : le commissaire Broussard, de la brigade de recherche et d’intervention (l’“antigang”), Marcel Guillaume, qui a inspiré Simenon pour son Maigret, Martine Monteil, la seule femme à avoir dirigé la police judiciaire. La PJ, dans l’imaginaire collectif, c’est aussi des films : Razzia sur la chnouf, d’Henri Decoin, avec Jean Gabin, 36, quai des Orfèvres, d’Olivier Marchal, avec Gérard Depardieu et Daniel Auteuil, sans oublier les nombreux Belmondo… même si les choses sont souvent un peu plus compliquées qu’au cinéma ! Mais la PJ, c’est surtout des enquêtes : depuis l’assassinat de Jean Jaurès, en 1914, son histoire est marquée d’affaires retentissantes que tous les Français gardent en mémoire.
La banquière, beaucoup s’en souviennent grâce au film de Francis Girod, avec Romy Schneider. Dans les années 1920, Marthe Hanau, fille de petits commerçants, devient la coqueluche du monde de la finance. La Gazette du franc, son journal financier, lui vaut une grande notoriété. Mais en 1928, tout s’écroule : une escroquerie à la Madoff est découverte. Condamnée à trois ans de prison ferme, Marthe Hanau se suicide en détention. Cette affaire conduira la police judiciaire à se doter, en 1930, d’une brigade financière, qui s’occupera bien plus tard de l’affaire Elf ou du dossier Bettencourt.
Dans l’immédiat après-guerre, d’autres malfaiteurs donnent du fil à retordre à la brigade mixte, l’ancêtre de la BRB : le gang des “tractions avant” rassemble des anciens de la Carlingue (la Gestapo française), des policiers véreux et des résistants voyous, qui vont multiplier les braquages aussi violents qu’audacieux au volant de Citroën 15-Six. « Les tractions avant, la police derrière », titre la presse de l’époque. À leur tête : Pierre Loutrel, dit “Pierrot le Fou”, le premier ennemi public n° 1 ; Henri Feufeu, dit “Riton le Tatoué” ; René Girier dit “René la Canne” ou “le roi de l’évasion”. Toute une époque.
La PJ s’intéresse bien sûr au monde de la nuit, à ses paillettes, son argent, ses femmes et surtout à ses indiscrétions. Elle se dote d’une brigade des moeurs (aujourd’hui brigade de répression de la prostitution). C’est à la “mondaine” que l’on doit l’arrestation de Fernande Grudet, plus connue sous le nom de Madame Claude. Cette ancienne prostituée, devenue tenancière de maisons closes et pionnière du système de mise en contact par téléphone (d’où le terme “call-girl”), sera poursuivie pour proxénétisme aggravé et fraude fiscale en 1992.
Dans un registre plus macabre, le tueur de l’Est parisien, Guy Georges, a lui aussi fait couler beaucoup d’encre. Sept viols suivis de meurtres odieux durant les années 1990, jusqu’à son arrestation, le 26 mars 1998. Ses deux derniers meurtres auraient pourtant pu être évités si un important retard n’avait pas été accumulé dans le relevé des empreintes digitales.
Choqué par cet état de fait, le Parlement votera la mise en place d’un dispositif qui donnera naissance au Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Ce dernier répertorie plus de 2 millions de profils. Il a permis « un bond énorme » pour la résolution des affaires. « Il faut savoir utiliser des moyens modernes d’investigation, tout en maintenant les traditions de la PJ », souligne Christian Flaesch. Des traditions qui perdureront bien au-delà du déménagement prévu : la PJ quittera bientôt le “36” pour s’installer dans le quartier des Batignolles. Avec un brin de nostalgie ; même s’il vante le vaisseau ultra-moderne qui les attend, Christian Flaesch concède : « Le bâtiment et l’environnement vont nous manquer. » Un nouveau chapitre est en train de s’ouvrir.
Enquêtes générales, immersion au coeur de la BRB, de Raynal Pellicer et Titwane, Éditions de La Martinière, 240 pages, 35 €.