La gauche s’est installée dans le pays, et il était temps. Après des années de sarkozysme, elle trouve un pays à feu et à sang, avec des méchants qui font du mal et des gentils qui souffrent. Les élections passées, la gauche toute unie s’est donc attelée à combattre enfin les méchants et défendre les gentils. Et question bisous, les premières mesures envoient du lourd.
Si le malheur a un début, c’est dans l’enfance qu’il se situe à l’évidence. Tous ces enfants, des enfants outragés, des enfants brisés, des enfants martyrisés, mais, avec le retour, enfin, du socialisme, des enfants libérés, vont pouvoir reprendre le chemin des classes, pour l’année 2012 – 2013, avec un nouvel horizon : le ministre Peillon l’a expliqué, il s’attaque maintenant au plus dur.
Il n’avait, jusqu’à présent, pas chômé. On se rappelle qu’il avait dressé un bilan implacable de l’incurie du précédent gouvernement en notant que les enfants français devaient supporter de trop longues vacances pour des journées bien trop chargées.
L’attaque de câlins n’a pas trainé : il a donc proposé, paf, comme ça — Peillon, il est cash — d’ajouter quelques jours de vacances aux nombreux autres.
Après ce bref épisode (qui lui aura valu les remontrances de Papy Ayrault — le pauvre vieillit à vue d’œil, il passe son temps à recadrer ses ministres), Peillon ne pouvait pas s’arrêter là. Et son autre constat, après celui des élèves trop fatigués par leurs grosses journées compensant de trop nombreuses vacances en pleine croissance, c’est que ces élèves sont martyrisés par un système préhistorique de notation.
C’est une idée de son conseiller, Bruno Julliard, un type formidable qui a une expérience solide dans tout ce qui est élèves, supplices, notations, et une pratique extraordinaire en évitement de travail qui fatigue, à commencer par celui offert par le secteur privé, par exemple. Pour ceux qui situent mal le conseiller, rappelons simplement qu’il s’agit de l’un des rares à avoir su tirer son épingle du jeu suite aux troubles du CPE puisqu’il est passé après un parcours brillant comme non-lycéen gréviste au non-travail estudiantin, puis directement à un poste de politicien dans lequel il suit méticuleusement la tendance globale à toucher une indemnité en minimisant le nombre de calories brûlées, économies d’énergie oblige.
Et pour ses faits d’armes, on se rappellera (furtivement) qu’il avait exploré les idées géniales d’une abolition du redoublement, d’une plus grande autonomie des établissements à condition de supporter plus de contraintes, et tout un tas d’autres propositions toutes aussi frétillantes et bisou-compatibles que consternantes, y compris des petits manuels de SVT qui dégenrent (non, ce n’est pas une typo).
Cette fois-ci, donc, il s’agit de supprimer les notes.
Tout part d’une théorie, parfaitement fumeuse et donc immédiatement intéressante, dite de la constante macabre : les professeurs répartiraient, inconsciemment, les élèves en trois tiers : les bons, les moyens et les mauvais. Stupéfiant, non ? Et même dans une classe composée exclusivement de très bons, ces salauds de profs sans cœur referaient la même chose.
Une fois que cette théorie est gobée admise, le reste suit naturellement : on expérimente rapidement qu’en supprimant les notes et en évitant toute bousculade dans le micrococosme douillet de l’élève, celui-ci devient plus doux, plus mou, plus malléable et que son échec disparaît naturellement, comme les taches avec une lessive active, ou comme les négationnistes avec une censure efficace.
Comme on le voit, le Ministère de l’Edulcoration Nationale est dans de bonnes mains : à ce rythme, les petits illettrés qui passeront le bac à la fin du quinquennat de Hollande n’auront jamais subi le moindre outrage, la moindre vexation, le moindre échec et pourront découvrir la vie en entreprise, le travail en équipe et le reste du monde avec la certitude d’avoir les bons outils et les bonnes protections psychologiques pour ce faire.
Ce sera une tuerie.
Bah. Ils auront toujours la possibilité de rater leur mariage et de compenser en allant voir les hétaïres que leur statut social, assuré par l’État, leur permettra de fréquenter.
Eh bien même pas : le gouvernement s’emploie dès à présent à éradiquer ce fléau : Najat Vallaud-Belkacem, la ministre des droits de la femme, a décidé d’en finir avec la prostitution, la guerre, la maladie, et les mariages d’argent.
Oups. Non.
Seulement la prostitution.
Prenons un but modeste dans un premier temps. Ce sera facile, en plus : tout le monde sait comment faire pour abolir la possibilité pour certaines femmes de ne pas terminer SDF. Et à tout prendre, si l’on peut stigmatiser le client, c’est encore mieux : cela repoussera la prostitution dans des endroits encore plus difficiles à contrôler pour l’État, et accroîtra le risque pour les prestataires et les clients. Qui ne signerait pas des deux mains pour telle possibilité ?
Et puis après tout, elle est ministre des Droits des Femmes, hein, pas des Hommes.
Enfin, après avoir combattu la liberté des professeurs à noter les élèves, la liberté des femmes à disposer de leurs corps, la liberté des hommes à proposer de l’argent en l’échange de services sexuels, il fallait mettre un vrai terme à la liberté des patrons de détruire de l’emploi.
Car, dans ce pays, il est encore bien trop simple pour les patrons de détruire de l’emploi, chose qu’ils s’évertuent à réaliser tous les jours, avec application, tout le cynisme et la méchanceté qu’on peut imaginer dans les cœurs froids de ces monstres avides de profits. Profits évidemment obtenus en fermant leurs entreprises et en licenciant méchamment sa force productive. Mais si, c’est implacable.
Salauds de patrons.
Et l’analyse est formelle : si, jadis, la France se devait d’avoir de l’audace, encore de l’audace et toujours de l’audace en bonne quantité, ce que l’époque impose à présent pour la sauver, elle et ses emplois, ce sont des bisous, encore des bisous, toujours de bisous !
Pour le salarié, bien sûr, pas pour le salaud de patron qui mérite largement le sort qu’on va lui faire.
D’ailleurs, c’est une personne qui a beaucoup dirigé d’entreprises et qui a — comme Bruno Julliard ! — une expérience extensive dans le domaine qui se permet de nous expliquer ça par le menu dans un gentil article du Monde, tout doux, tout souple, tout câlin.
Dominique Méda, philosophe, sociologue, normalienne, énarque et inspectrice générale des affaires sociales, et PDG de plusieurs grands groupe du .. ah non pardon, bref, cette aimable fonctionnaire en est certaine : « Il faut renforcer les sécurités accordées aux salariés, augmenter leur pouvoir de négociation et leur redonner non seulement la parole mais aussi du pouvoir, notamment sur leurs conditions de travail. »
Bien dit, Dominique ! Des bisous pour tous, en quantité généreuse !
Comme on le voit, aucun doute n’est possible : enfin la Gauche prend les vrais problèmes du pays à bras le corps ! Il était temps !
> h16 anime le blog hashtable.
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