par Jean Noguès
L’ABSTENTION A DES CAUSES RATIONNELLES
D’aucuns voudraient rendre le vote obligatoire : il ne manquerait plus que ça !
Le vote obligatoire ferait de toute élection une carte forcée et de tout éventail d’offre politique une obligation, pour chaque électeur, d’en choisir une même ai aucune ne lui convient suffisamment.
Personne n’a demandé le vote obligatoire après le référendum sur l’Europe de 1972, sous Georges Pompidou, où 40 % des électeurs d’étaient abstenus (il y avait eu 68 % de “oui” parmi les exprimés). Les abstentionnistes ne voulaient ni de l‘Angleterre dans le Marché Commun, ni se fâcher pour autant avec l’Angleterre. Leur abstention a eu une cause : la question posée était trop brutale, et avait agacé les 12 600 000 d’abstentionnistes sur les 29 00 000 d’électeurs inscrits.
L’abstention avait donc une signification, et les commentateurs de l’époque ne se sont pas fait faute de l’analyser.
Il en va ainsi de toute élection dans nos sociétés modernes, où la masse d’électeurs, pour les référendums, se voit poser des questions trop générales, trop sommaires, et, aux élections à candidats, où elle se voit réduite à voter pour des candidats à la désignation desquels elle n’a pas participé, et qui lui sont inconnus sauf rares exceptions. Les professions de foi de ces candidats, nous savons depuis longtemps ce qu’elles valent ! alors OK pour voter puisqu’il faut bien un système politique, mais pas dans n’importe quelles conditions !
Finalement, l’abstention est le dernier vote qui nous reste quand on est mécontent de l’offre politique ou des questions posées.
On peut objecter qu’il suffirait de donner un vrai statut aux votes blancs ou nuls pour rendre l’abstention inutile. Cet argument est faux : l’abstention est un geste fort, qui se voit. Il est une sorte de défi. Des assesseurs attendent vainement l’abstentionniste jusqu’à l’heure de la fermeture des bureaux de vote. Même si des “chefs” politiques prétendent, sans le justifier, que l’abstentionniste ne mérite pas d’être considéré, qu’il ne faut même pas y penser car ayant refusé d’accomplir un “devoir civique”, il se disqualifié pour ne considérer comme valables que les votes exprimés dans l’élection, car rien n’est plus assourdissant que le silence de l’abstentionniste.
C’est un silence inquiétant lorsque l’abstention devient très importante, car alors ces abstentionnistes dont on ne sait jamais ce qu’ils pensent vraiment et qui ne sont pas des abstentionnistes professionnels représentent une force électorale potentielle sur laquelle on n’a que peu de prise, en particulier par l’assommoir des médias. Une force qui contraint les candidats à la rigueur dans leurs propositions, car seule la rigueur leur permettra de ratisser correctement dans ce réservoir de voix anonymes.
L’élection de Pompidou en juin 1969 en donne un exemple emblématique : le communiste Jacques Duclos, qui avait fait 20 % au premier tour, fit une campagne active remarquable pour l’abstention au second tour, car, disait-il, les électeurs n’avaient le choix qu’entre un candidat de droite et un autre candidat de droite. Il avait fait un tabac avec sa jolie formule : “Pompidou et Poher, c’est blanc bonnet et bonnet blanc”. Résultat final : Pompidou battit Poher par 56 % contre 44 %, mais avec une abstention importante, supérieure au tiers des inscrits.
Et dès le lendemain de l’élection, L’Humanité titrait cruellement, au-dessous d’une photo du président Pompidou : ‘’Monsieur TIERS’’. En effet, un calcul sommaire montrait que Pompidou n’avait été élu que par environ (à quelques points près) un tiers des inscrits.
Pardon de ce rappel historique : Le “Monsieur Tiers” de L’Huma faisait allusion à Adolphe Thiers, journaliste, historien et politicien français qui a marqué une grande partie du 19e siècle. De la part d’un journal communiste, celle allusion à Adolphe Thiers se référait essentiellement au rôle terrible assumé par Thiers dans la répression féroce de la Commune de Paris, rôle d’où est sortie le qualificatif “versaillais”…
Aujourd’hui, peu de témoins de l’époque se souviennent du handicap pénible que ce “Monsieur TIERS” infligea à Georges Pompidou. Le demi-échec du référendum de 1972, année où notre président fut averti de la maladie fatale dont il était atteint, l’affecta beaucoup. Il en parlait encore à la veille de sa mort… C’est triste, car Georges Pompidou, à côté de ce que nous voyons en ce moment, fut un grand président, courageux devant la mort puisqu’il voyagea en Chine très peu de temps avent de disparaître.
Je me suis étendu sur cet exemple car il montre bien que l’abstention est un vote, et un vote qui peut être terrible. Georges Pompidou souffrit jusqu’au bout d’un complexe (rentré) de sa légitimité, depuis sa photo dans l’Huma avec la légende : ‘’Monsieur Tiers’’.
Mais il y a pire : cet exemple est un cas majeur où le système dit démocratique entre en contradiction avec lui-même. En effet, le, président Georges Pompidou n’a pas été élu à la majorité absolue. Or l’élection présidentielle se termine par l’intronisation d’un unique gagnant, qui va concentrer entre ses mains la totalité des pouvoirs conférés par sa fonction. la situation n’a rien à voir à celle de plusieurs concurrents qui se partagent des sièges suite à une proportionnelle à un seul tour : là, dans beaucoup de cas, aucun des gagnants n’a la majorité absolue, c’est- à-dire la moitié des voix plus au moins une. Mais quand il y a un gagnant unique, et qu’il n’a pas obtenu au moins la moitié des voix, il ne peut pas se targuer d’avoir le peuple avec lui. Car les abstentionnistes ont fait l’effort de s’inscrire sur les listes électorales, et cet effort, à lui seul, interdit de les considérer comme fautifs par manque d’esprit civique. Il existe environ 7 millions de citoyens français sains d’esprit mains non inscrits sur des listes électorales : il est légitime de dire que ces non-inscrits manquent d’esprit civique, mais chacun voit bien la différence essentielle avec les abstentionnistes. S’abstenir procède d’une volonté bien déterminée, tandis que ne pas être inscrit c’est refuser carrément tout système politique démocratique, c’est-à-dire fondé sur la loi de la moitié des voix plus au moins une.
Or un président ou un député élu par un scrutin majoritaire qui n’a de majorité qu’en ne tenant aucun compte des abstentionnistes n’a donc pas la moitié des voix des inscrits. Mais la démocratie a pour règle fondatrice que dans toute consultation, la moitié plus au moins une voix permet de mettre en oeuvre telle ou telle politique en toute légalité. Lorsque l’abstention est très importante, l’application rigoureuse de cette règle en ne tenant aucun compte des abstentionnistes pourrait aboutir à la dictature d’une étroite minorité sur une fraction du peuple dépassant largement la moitié, ce qui ferait imposer au nom de la démocratie le contraire de la démocratie.
C’est si vrai que dans l’exemple de l’élection du président Pompidou, on a pu voir un dirigeant politique, et non des moindres (Jacques Duclos, figure historique du Parti Communiste Français) appeler ses électeurs à l’abstention ! or ce dirigeant s’était présenté lui-même au premier tour de la présidentielle de 1969, donc avait accepté le principe démocratique de la moitié des voix plus au moins une. Il ne s’est donc pas considéré lui-même comme fautif par manque d’esprit civique pour avoir appelé à l’abstention. Son intention, par cet appel, avait une profonde signification politique : il voulait à l’évidence affaiblir le pouvoir du vainqueur, par le non-dit du manque de légitimité d’un président minoritaire dans le peuple des inscrits mais ne parvenant à être majoritaire qu’en ignorant les abstentionnistes. Ce but a d’ailleurs été partiellement atteint, car Georges Pompidou, durant son court mandat, ne s’est attaqué à aucun des fondamentaux défendus par les amis de Jacques Duclos : Sécurité Sociale, Code du Travail, Statut de la Fonction Publique, fiscalité des entreprises, maintien sous la tutelle de l’Etat des entreprises de base que sont EDF, SNCF, Ponts et Chaussées , etc.
UN EXEMPLE HISTORIQUE : LES LEGISLATIVES EN FRANCE DU 18 JUIN 2017
Le niveau de l’abstention aux législatives du 18 juin 2017 est sans précédent historique depuis l’instauration de la Seconde République en 1848, suivie du Second Empire de 1852 à 1870-71. Même dans la phase dite autoritaire du Second Empire, l’abstention n’avait culminé qu’à des niveaux de 35 à 37 % des inscrits.
Par chance, le seul examen du second tour donne une idée exacte de la quasi-totalité du corps électoral, puisque seuls 4 députés ont été élus au premier tour.
Les chiffres sont accablants : examinons ici les statistiques données par le ministère de l’intérieur :
Inscrits : 47292967
Abstentions : 27125535, soit 57,36 % des inscrits.
Votants : 20 167 432, soit 42,64 % des inscrits
Blancs : 1 397 496, soit 2,95 % des inscrits
Nuls : 593 159, soit 1,25 % des inscrits
Exprimés : 19 176 177, soit 38,43 % des inscrits.
Pour les scores des divers partis, toujours d’après les chiffres fournis par le ministère de l’intérieur, concentrons-nous uniquement sur les rapports au nombre d’inscrits et les rapports au nombre d’exprimés :
Extrême gauche : négligeable
PCF : 0,46 % des inscrits, 1,2 % des exprimés, 10 sièges
France insoumise : 1,87 % des inscrits, 4,86 % des exprimés, 17 sièges
PS : 2,18 % des inscrits : 5,65 % des exprimés, 29 sièges,
PRG : 0,14 % des inscrits, 0,36 % des exprimés, 3 sièges
DVG : 0,56 % des inscrits, 1,45 % des exprimés, 12 sièges
Ecologistes : 0,05 % des inscrits, 0,13 % des exprimés, 1 siège
Divers : 0,21 % des inscrits, 0,56 % des exprimés, 3 sièges
Régionalistes : 0,29 % des inscrits, 0,76 % des exprimés, 5 sièges
LREM : 16,56 % des inscrits, 43,06 % des exprimés (ici, notons bien : 7 826 432 voix, en forte baisse par rapport au premier tour), 308 sièges
Modem : 2,33 % des inscrits, 6,06 % des exprimés, 42 sièges
UDI : 1,17 % des inscrits, 3,04 % des exprimés, 18 sièges
LR : 8,54 % des inscrits, 22,23 % des exprimés (ici, 4 040 016 voix), 113 sièges
DVD : 0,65 % des inscrits, 1;68 % des exprimés, 6 sièges
Debout le France : 0,04 % des inscrits, 0,10 % des exprimés, 1 siège
FN : 3,36 % des inscrits, 8,75 % des exprimés, 8 sièges
Extrêmes droites : 0,04 % des inscrits, 0,10 % des exprimés, 1 siège
L’examen de ce tableau est du plus haut intérêt et montre l’ampleur du désastre démocratique engendré par l’imposition ex-nihilo, à grands coups d’argent sans compter et de médias hystériques dans l’apologie quasi-religieuse du candidat unique fabriqué sur mesure :
LREM a tous les pouvoirs avec 16,56 % des inscrits et 43,06 % des exprimés, largement minoritaire dans chacun des cas : globalement et en moyenne, LREM est largement minoritaire parmi les exprimés. Donc la réalité appliquée au pied de la lettre donne à 16,56 % des inscrits le droit d’imposer leurs quatre volontés, sans recours possible, à environ 83,4 % des électeurs inscrits. A un niveau pareil, le mot ‘’démocratie” n’a plus de sens.
Le parti FN, avec presque deux fois plus de % d’exprimés que la France insoumise, a décroché à peu près deux fois moins de députés, ce qui violente passablement la notion de ‘’démocratie’’ (en effet, là où un seul électeur contribue à un député France insoumise, il faut 4 électeurs du FN pour un député FN).
Toutefois, pour l’un comme pour l’autre de ces deux partis, où est la légitimité de donner des leçons au peuple de France, avec 3,36 % des inscrits pour le FN et 1,87 % des inscrits pour la France insoumise ? pour l’un comme pour l’autre, un minimum de modestie et de retenue serait le minimum de respect dû aux citoyens ! on ne voit dans les boules de cristal politiques aucun indice donnant un droit spécial aux leaders de ces partis de pontifier devant l’électorat en affectant d’être plus aptes que les citoyens lambda à dire le bien et le mal, comme le font constamment les médias tout-puissants et surcensurés, ainsi que les cénacles de “Grands Initiés” des Temples de Delphes modernes que sont les “cercles bien informés” du microcosme.
Ces distorsions exacerbées montrent ceci : la Pensée Unique, relayée et enfoncée du matin au soir aux français par ces médias surpuissants, a pour effet principal de renvoyer aux Français la réalité démocratique concrète comme à travers un gigantesque miroir déformant permanent, véritable sorcière ** accrochée sans relâche dans le crâne des gens comme un oeil de Caïn perpétuel.
(** je rappelle qu’une ‘’sorcière’’ est un petit miroir déformant, très en vogue naguère dans les maisons de petite et moyenne bourgeoisie, d’une efficacité époustouflante, dans lesquels ont se voit transformé en monstre incroyable changeant de formes dingues au gré de petits déplacements du miroir, ou des personnes qui s’y regardent).
La sorcière va monter en épingle le cas de cette suédoise de 70 ans, s’étant permis de s’indigner devant témoins que des ‘’nouvelles populations’’ ”urinaient et même parfois déféquaient dans les rues de Stockholm”, a été condamnée à 4 ans de prison ferme pour ‘’apologie de la haine raciale’’, mais passera sous silence le cas de tel ou tel français agressé et tabassé à rester infirme toute sa vie par des groupes d’attaquants qui ne se déchaînent qu’à dix contre un, sans que la police ait pu mettre la main sur aucun des agresseurs.
Mais poursuivons notre petit examen des tableaux ci-dessus. Au premier tour de la présidentielle 2017, François Fillon à lui seul, malgré son écrasement impitoyable pilonné sans relâche par les médias pendant deux mois pleins à coup de 18 heures sur 24 sur toutes les chaînes radio et télé ainsi que dans toutes les presses écrites, avait réuni tout de même 7 213 797 voix, contre seulement 7 826 432 voix pour LREM à ce second tour des législatives. Quand on pense au pousse-pousse cosmique dont LREM a bénéficié, et au dénigrement aggravé permanent, souvent insultes ironiques à l’appui, infligé pendant deux mois pleins à François Fillon, le rapprochement de ces deux scores montre à plein combien la vraie démocratie a été bafouée dans ce scrutin du 18 juin 2017.
Debout la France, en sauvant par miracle son unique siège, avec son score fabuleux de 0,04 % des inscrits, échappe de justesse à la contreperformance du quarté Aboukir-Trafalgar-Bérézina-Waterloo, et ne semble avoir droit qu’à une seule injonction du peuple de France : la fermer !
Avec ses 8,54 % des inscrits, le parti LR est en droit d’affirmer qu’il représente quand même quelque chose. Certes, on est loin des référendums de de Gaulle qui lui valaient couramment 52 à 60 % des inscrits, mais tout de même, LR, même en y ajoutant les 3,04 % des inscrits de l’UDI, peut à bon droit s’estimer sous-représenté dans l’Assemblée par rapport à Bayrou, qui se signale par la jolie performance de 42 députés avec 2,33 % des inscrits : on sent à la fois, chez ce Maire de Pau, le vieux crocodile cuirassé à mort et le pousse-pousse discret mais certains des nouveaux gagnants de cette élection-croupion.
Et quand on compare cette performance du vieux crocodile à celle du FN, qui péniblement avec ses 3,36 % des inscrits, décroche huit députés, là on mesure tout le chemin qu’il reste à parcourir à MLP pour se faire une place honorable dans l’actuel marigot politicard Français : va falloir bosser dur les exercices d’assouplissement de l’échine !
Qu’on en juge : pour Bayrou, 42 députés, ça fait 18 députés par 1 % des inscrits, alors que la pauvre Marine Le Pen, avec 8 députés pour 3,36 % des inscrits, ça ne fait jamais que 2,38 députés par 1 % d’inscrits : la différence entre un vieux crocodile, un vrai de vrai, et une pauvre petite jeunette inexpérimentée limite sotte qui rêve tout haut devant des millions d’électeurs pendant que le vieux crocodile se frotte les mains !
CONCLUSION GENERALE :
Je vois bien que Churchill n’avait pas tort de dire : ‘’la démocratie est le pire des systèmes politiques à l’exception de tous les autres’’. Car le spectacle des nations sans système démocratique est suffisamment éloquent pour qu’on en convienne volontiers avec lui.
Mais de grâce, laissons et respectons la liberté d’aller voter, ou de ne pas voter en s’abstenant ! Du moment que l’abstentionniste est inscrit sur les listes électorales, son civisme ne peut être dénié. L’actuelle élection léigslative du 18 juin 2017 montre assez la mine d’enseignements précieux que renferme une abstention écrasante. La sagesse consiste à affronter sans peur la haute mer des élections démocratiques avec droit de s’abstenir. Ce qui vient de se passer démontre que lorsqu’on sort vainqueur avec une nette majorité absolue des inscrits, on est investi d’une légitimité incontestable qui permet de gouverner avec fermeté malgré les innombrables récifs des intérêts particuliers. Mais cela démontre, en négatif, qu’un obligation quelconque de voter viole la démocratie et la liberté : les vainqueurs du moment devraient réfléchir, en priorité, à ce qu’il convient de faire de leurs pleins pouvoirs pour que la prochaine consultation électorale leur confère cette vraie légitimité démocratique : la majorité absolue des inscrits dans le cadre d’élections LIBRES, et des élections ne peuvent pas être qualifiées de libres s’il y a obligation d’aller voter ; car l’abstention, on vient de le voir, est un vote.
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