Le dernier geste de Dominique Venner

Mardi à 16h00, Dominique Venner s’est suicidé, à Notre Dame, devant l’autel d’une balle dans la bouche. Comment comprendre ce geste ? Quels en sont les motifs ? Une lettre a été laissée sur l’autel, il nous dira ce qu’il veut nous dire de son acte.

J’ai eu l’occasion, voilà déjà une quinzaine d’années, de rencontrer Dominique Venner, de discuter avec lui, d’essayer de comprendre l’antichristianisme militant de cet historien qui était à la fois si froid et si passionné, si précis dans ses analyses et si lyrique dans ses perspectives, sans que le lyrisme ne nuise à l’analyse ni l’analyse au lyrisme. Dominique Venner avait une grande âme, “un cœur rebelle”. C’est ce qui m’avait fait éprouver pour lui, alors que nous étions aux antipodes l’un de l’autre, une véritable sympathie. Il m’avait d’ailleurs dédicacé son ouvrage autobiographique Le coeur rebelle : “À l’abbé de Tanoüarn qui n’est pas un cœur soumis”. Cette formule, je l’ai longtemps méditée. Je crois que c’est en cela que nous avons été en compréhension l’un de l’autre, lui et moi, dans le refus de toutes les formes de soumission. Se soumettre c’est subir, subir c’est renoncer à agir, renoncer à agir c’est accepter de ne pas servir, de ne servir à rien, de se laisser happer par le grand Néant de tous les À-quoi-bonismes, contre lequel Dominique s’est élevé toute sa vie. Contre lequel pourrait-on dire, il a tenté d’élever sa vie et son œuvre.

Son dernier post, sur son blog, appelant à manifester le 26 mai contre le mariage homosexuel, mêle la crainte d’une islamisation de la France à ce signe de décadence morale qu’est le mariage des homosexuels. “Ce ne sont pas de petites manifestations de rue” qui pourront changer quelque chose à cette formidable conjuration “du pire et des pires” que présente la vie politique française en ce moment. On devine une forme de désespoir politique, vraiment poignant chez cet homme de 78 ans, dont on pourrait penser qu’il en a vu bien d’autres, depuis les combats de l’Algérie française, les appels à la résistance d’Europe jeunesse, jusqu’à maintenant. Mais le désespoir n’est pas l’explication ultime de ce dernier geste.

“Je crois que ce suicide-avertissement, que Dominique a voulu comme une sorte d’analogie frappante avec le suicide de notre civilisation, était aussi, pour lui, la seule manière qu’il ait trouvé de passer par l’Église une dernière fois sans se renier.”

Du reste, sur son blog, ce n’est pas le désespoir qui domine le texte qu’il nous laisse : “Il faudra certainement des geste nouveaux, spectaculaires et symboliques pour ébranler les somnolences, secouer les consciences anesthésiées et réveiller la mémoire de nos origines. Nous entrons dans un temps où les paroles doivent être authentifiées par des actes”. On pense au sepuku de Mishima, il n’a pas pu ne pas y penser, en choisissant froidement le lieu et le moment et en s’interdisant de se rater. Son acte a été mûri, prémédité. Il avait remis les clés de la Nouvelle revue d’histoire ce week-end à celui qu’il considérait comme son plus proche collaborateur et son continuateur, Philippe Conrad. Sans paraître affecté. Il avait fini sa tâche, il importait de donner un sens à sa fin.

Sur son blog, il expliquait : “Il faudrait nous souvenir aussi, comme l’a génialement formulé Heidegger (Être et Temps) que l’essence de l’homme est dans son existence et non dans un « autre monde ». C’est ici et maintenant que se joue notre destin jusqu’à la dernière seconde. Et cette seconde ultime a autant d’importance que le reste d’une vie. C’est pourquoi il faut être soi-même jusqu’au dernier instant. C’est en décidant soi-même, en voulant vraiment son destin que l’on est vainqueur du néant. Et il n’y a pas d’échappatoire à cette exigence puisque nous n’avons que cette vie dans laquelle il nous appartient d’être entièrement nous-mêmes ou de n’être rien”.

“Nous n’avons que cette vie…”. Cette affirmation, pour Dominique Venner, est une donnée essentielle du problème. S’il n’y a pas d’au-delà de la vie terrestre ; pour quelqu’un qui entend aller jusqu’au bout, l’instant, chaque instant a un poids écrasant. Le chrétien comprend ce sens de l’instant et ce sens de la responsabilité, mais il ne cherche pas à aller au-delà du possible : Dieu est l’agent de nos destinée. Dieu achève l’ébauche que nous lui tendons à la dernière seconde.Et le sacrifice est encore une action, non une soumission. Dominique Venner n’a pas voulu s’en remettre à Dieu de sa dernière seconde, il ne pouvait pas faire ce sacrifice : il a souhaité la choisir. Pétri de philosophie allemande, il a repris toute sa vie l’idée de Schelling, commenté par Heidegger : “être c’est vouloir”. Esse est velle. “L’être, c’est le vouloir”. Il faut vouloir jusqu’au bout pour être vraiment. Voilà la formule d’un athéisme antinihiliste… Le sien.

Et pourtant…

Pourtant, Dominique Venner a choisi l’autel de Notre Dame pour cette décision. C’est sur l’autel qu’il a posé une dernière lettre. Vraiment je ne crois pas que, s’il a fait cela, c’est pour attirer l’attention, pour que Manuel Gaz vienne sur les lieux. Il n’avait que faire de ce genre de reconnaissance “médiatique”. Son acte n’est pas médiatique, il est symbolique. Quel symbole ? Celui de la Vierge Mère, celui de l’éternel féminin, lui qui, dans son dernier blog professe “respecter les femmes alors que l’islam ne les respecte pas”. Sans doute. Mais il ne faut pas oublier qu’outre sa culture païenne, Dominique Venner possédait une solide culture chrétienne, avant que son entrée en délicatesse avec une Église qu’il voyait comme absurdement pro-FLN ne l’ait détourné de Dieu. Je crois que ce suicide-avertissement, que Dominique a voulu comme une sorte d’analogie frappante avec le suicide de notre civilisation, était aussi, pour lui, la seule manière qu’il ait trouvé de passer par l’Église une dernière fois sans se renier. Une sorte de prière sans parole, pour ce coeur inassouvi jusqu’à la dernière seconde. Dieu ? C’était trop compliqué pour lui. Mais Marie… Une femme, capable – Dieu le sait – d’exaucer enfin le désir de perfection qui a été la grandeur et le drame de sa vie.

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56 Comments

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  • 0 / 10
  • champoiseau , 22 mai 2013 @ 16 h 41 min

    Je suis d’une famille de militaires et cela dans toutes les armes! Et tous ont accompli et accomplissent leur devoir en affrontant l’ennemi sans se suicider!
    Que vous ayez accompli 40 ou un an dans l’armée m’est totalement indifférent et ne vous donne pas le droit d’interdire l’expression de quiconque sur un sujet quel qu’il soit!Il est parfaitement autorisé de donner son avis sur une action, ce que l’on appelle le fors externe tout en sachant que le fors interne appartient à Dieu quant au jugement qui en sera fait . Et je vous retourne votre compliment quant au peu de valeur et au peu d’intérêt de votre commentaire.

  • MCT , 22 mai 2013 @ 16 h 53 min

    Dieu étant à la fois toute justice et toute miséricorde, Dominique Venner a été accueilli comme il devait l’être. Nous pouvons faire confiance à notre Dieu qui n’est qu’amour.
    C’est le coté apaisant de notre religion.
    Et nos prières ne sont pas inutiles, pour lui et ses proches.
    Et pour notre pauvre France.

  • Diex Aïe ! , 22 mai 2013 @ 17 h 12 min

    Comme vous, je suis également catholique… Mais le Saint curé d’Ars ne disait-il pas à une femme qui pleurait du suicide de son mari “Entre le pont et l’eau, il a eu l’éternité pour regretter et demander pardon…” ou un truc dans le genre quoi…

    J’aurai pu prendre en parallèle les moines tibétain qui s’immolent pour retrouver leur liberté et un Tibet libre… Sont-ils lâchent? Ou sont-ils désespérément amoureux du Tibet?

    J’aurai pu prendre en exemple les moines de Tiberine qui ont refusé de partir sachant qu’ils allaient se faire tuer… Ne pas fuir devant une mort certaine n’est-elle pas suicidaire???

    J’aurai pu prendre comme exemple les prêtres mexicains qui ont préféré se faire fusiller plutôt que d’enlever leur soutane!!! On ne leur demandait pourtant pas de renier Dieu!!! Juste la même chose qu’en France actuellement où aucun signe religieux distinctif ne doit apparaître…

    J’aurai pu prendre comme exemple tant et tant d’exemples de suicide où les gens vont à une mort certaine uniquement par amour et ne se dérobent pas… Pour motiver le reste des troupes… Pour dire plutôt mort que rouge!

    Je ne dis pas que c’est bien et que c’est ce que j’aurai fait! Je dis juste que c’était la vision de la vie de Dominique Venner… Et que cela, personne ne peut le juger… Pour lui, N-D est sur les ruine d’un temple païen, pour lui, les païens ont perdu de la même manière que les chrétiens sont entrain de perdre!!! Et les européens blancs avec!!! Pour lui, sur les 30.000 ans de civilisations occidentale, les 2000 ans de chrétienté ne sont qu’un point dans la roue qui tourne… Mais, s’il n’aimait pas spécialement ce point, je peux vous assurez qu’il le préférait aux points qui nous attendent si nous ne faisons rien rapidement!!! le remplacement de population et l’islamisation de l’Europe!

  • Diex Aïe ! , 22 mai 2013 @ 17 h 18 min

    C’est complètement cela! Avec par exemple le Pape qui embrasse le coran ou qui fait des prières avec toutes les religions du monde sur un même pied d’égalité, ou Mgr Lustiger qui fait dire une cérémonie juive pour ses obsèques… on marche sur la tête!!!
    S’ils accordent une miette d’intérêts aux autres religions, c’est qu’ils mettent en doute la leur. Comment alors pourraient-ils être crédibles!
    Une personne qui ne dit pas la vérité, je lui dit que c’est un menteur; je ne commence pas à lui donner du crédit dans son discours mensonger!

  • champoiseau , 22 mai 2013 @ 19 h 00 min

    Totalement d’accord.

  • champoiseau , 22 mai 2013 @ 19 h 02 min

    J’ai lu tous les exemples cités, que je connais, mais accepter la mort, n’est pas se la donner.

  • pereplexe , 22 mai 2013 @ 20 h 12 min

    “Quel exemple déplorable.”…..cela me rappelle des propos de chaisière d’il y a un demi siècle!!!! Si vous percevez ce geste comme celui de quelqu’un qui se couche quel peut être votre” poste” sur terre….même avec la

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