La polémique qui avait enflé, l’inquiétude des évêques et des familles sur des morceaux douteux d’un document de travail (la fameuse relatio post disceptationem qui constitue ainsi le rapport d’étape), aussi bâclé que médiatisé, ont débouché sur un statu quo théologique et la mise au grand jour des lacunes doctrinales d’un pontificat axé sur la communication. Les trois passages controversés du rapport final n’ont pas été adoptés lors du vote final, samedi 18 octobre 2014, en raison d’une majorité qualifiée requise. La presse, qui « buzzait » en début de semaine, doit même reconnaître l’échec du François sur cette tentative d’ouverture. Ce qui s’est passé la semaine dernière est peut-être un clin d’œil à l’histoire de l’Eglise. Alors que par le « coup » du 11 octobre 1962, le destin de Vatican II fut scellé grâce (ou à cause de, pour certains…) au refus des schémas préparatoires, le rejet du rapport d’étape devait profondément orienter le synode sur la famille. Examinons à la fois les points marquants et les étapes de cette folle semaine ou la barque de Pierre fut secouée.
Le rapport d’étape controversé ou comment la pente désagrégatrice fut remontée. Ce document de travail, qui ne devait être qu’un instrument de synthèse de la première semaine des débats, a suscité rapidement des oppositions et des synthèses, ne serait-ce que parce qu’il contenait des positions inacceptables : appréciation théologique positive des unions homosexuelles ; volonté de trouver des « morceaux » de sacrement du mariage dans des unions autres que le mariage chrétien, à l’instar des éléments d’Église présentes dans les communautés non romaines ; mise en cause de la communion spirituelle pour les divorcés remariés, etc. Ce fut une bombe et certainement le geste de trop qui devait non seulement réorienter le synode, mais ternir l’étoile du pontificat du pape François devant les épiscopats, puis devant les médias. Les réactions indignées des évêques et des fidèles ont été nombreuses. Saluons au passage le rôle des laïcs qui se sont exprimés par les réseaux sociaux. Que se serait-il passé si les débats de Vatican II avaient été relayés par Twitter ou Facebook ? Octobre 2014 est un peu le pendant ecclésial de ce qui s’est passé en France à partir de mars 2013 avec la mobilisation contre le « mariage pour tous » : il ne manquait plus que les manifestants dans la rue ! On peut penser que le lundi 13 octobre 2014, François, en s’alignant sur les aberrations théologiques des pays en perte de vitesse, a perdu son crédit auprès de certains évêques, qu’il soient africains, asiatiques ou même des pays de l’Est. On ne sait pas grand-chose de la rédaction de la relatio, mais il semble que sa rédaction ait été antérieure à l’ouverture du synode. Par ailleurs, elle se serait prêtée à une manipulation : le cardinal Erdö se défausse sur Mgr Forte, secrétaire spécial du synode. On ne saurait être aussi léger… Qui a commandité Mgr Forte ? Le cardinal Baldisseri, secrétaire général du synode ? Formulons la question autrement : le pape François a-t-il lu ce rapport, mais surtout, voulu ? Probablement. Peu importe son degré d’implication et de participation, il voulait faire quelque chose. À ce titre, on peut supposer qu’il ait tenté un ballon d’essai à l’égard du « monde » pour montrer que l’Église changeait sans nécessairement passer par un texte magistériel. On peut le supposer, ne serait-ce que parce que François parlait du « Dieu des surprises » (homélie à Sainte-Marthe, 13 octobre 2014) ou dénonçait, dans son homélie d’ouverture du 5 octobre, 2014 « l’hypocrisie de quelques-uns de ses serviteurs », exhortant les pères du synode à la « la sagesse qui va au-delà de la science, généreusement, avec une vraie liberté et une humble créativité »… Il préparait quelque chose par des messages quasiment explicites. Il pensait que liberté des pères synodaux irait dans un sens. Mais pas dans l’autre. Et c’est là que réside la réelle surprise.
La réaction rapide et directe des cardinaux et évêques. On dit que Rome a failli, mais, en un sens, il y eut une sorte de suppléance exercée par les cardinaux qui réagirent vigoureusement. Avec énergie et adresse, assurance et doigté. Après tout, les cardinaux ne forment-ils pas les héritiers de ce clergé romain qui entourait, dans l’Antiquité, le pape ? On se souviendra des propos du Cardinal Müller décrivant le texte comme « indigne, honteux et complètement erroné ». Le coup de grâce théologique du rapport, son exécution peut-être ratzingérienne et bénédictine. Avec de tels propos méticuleusement choisis, on se demande comment le rapport tel quel pouvait être pérenne et viable. Les cardinaux africains réagirent également de manière ferme. On se souviendra de l’attitude du cardinal Napier (Afrique du Sud) ou du malaise éprouvé par certains épiscopats africains, un évêque allant même jusqu’à confier à un blogueur que le pape était un « agent perturbateur ».
La capitulation de François : la publication des circules minor. Si l’on devait retenir une journée et une seule de ces deux semaines qui ébranlèrent et réconfortèrent l’Église – les deux sont corrélatifs -, c’est bien celle du jeudi 16 octobre où les pères synodaux exigèrent la publication des commentaires des groupes de travail. En acceptant une telle publicité, malgré le refus initial du Cardinal Baldisseri, les pères synodaux ont obtenu la divulgation des divergences exprimées dans les circuli minores, bien éloignées des louanges médiatiques du rapport d’étape. La publication de ces documents, malgré quelques ambiguïtés (admission d’une communion eucharistique sous condition des divorcés remariés, etc.), devait révéler un véritable fossé avec le ton irénique du rapport d’étape. On peut dire que moralement, ce dernier est mort avec la révélation des vives oppositions.
L’assurance du cardinal Burke. Rétrogradé à une autre fonction, le cardinal Burke a réagi tout aussi sereinement. Prenant ses distances avec le rapport, dénonçant ouvertement le silence du pape François, le cardinal a aussi admis, dans un entretien donné le 17 octobre 2014, l’éventualité que le rapport ne soit pas adopté. Ce qui fut fait dans la mesure où les trois paragraphes les plus controversés n’ont pas obtenu la majorité qualifié (les deux tiers des votes). Si le cardinal a parlé avec autant d’assurance, c’est parce qu’il y a eu certainement quelques raisons. Il bénéficiait assurément d’un « matelas » épiscopal et cardinalice favorable pour mettre en cause certaines ambiguïtés de l’autorité suprême. Corrélativement, la remarque énervée du cardinal Marx (« Je ne suis pas au synode pour que l’on répète les mêmes choses qu’avant ») devait traduire une vive inquiétude dans le camp des « novateurs », peut-être même une perte de vitesse face à la bronca et au scepticisme généralisés.
Le rôle du pape émérite : Benoît XVI est-il intervenu ? Benoît XVI n’est pas intervenu directement et n’a pas pris parole. Il se défend même de contredire François et lui apporterait même son aide théologique. Mais on peut se demander si certains cardinaux ne sont pas allés le voir discrètement sur les mots à utiliser et l’attitude à adopter. Malgré son retrait, Benoît XVI continue à jouer un rôle. Une sorte de caution morale et intellectuelle dans l’Église, bien plus fine que celle du cardinal Kasper dans le camp opposé, discrédité à cause d’un entretien insultant à l’égard de certaines Eglises « périphériques » (Églises d’Afrique, etc.).
L’échec du pape face à la contre-offensive épiscopale et cardinalice : la conséquence d’une gestion autoritaire. Dans ces derniers jours, mis à part invoquer une théologie des signes des temps, François semble avoir perdu la main. Mais ne peut-on pas supposer qu’il l’a perdue surtout en raison d’un isolement patent et de certains comportements révélant une gestion autoritaire et solitaire ? La coupe était pleine depuis quelques mois. Il y eut l’affaire des Franciscains de l’Immaculée – institut traditionaliste mis au pas par des hommes de la curie romaine, dont on se demande qui est le commanditaire –, des nominations curiales et épiscopales, dont certaines frisent la provocation, mais aussi quelques relégations sectaires (le cardinal Burke a été ainsi démis de sa charge de Préfet du Tribunal suprême de la Signature apostolique, etc.). Il y avait donc un malaise perceptible au sommet de l’Église, et ce bien avant l’ouverture du synode, malaise ressenti non seulement par la curie, mais aussi par les épiscopats du monde entier. Cela a certainement joué. À cela se sont ajoutées les manœuvres synodales, comme la nomination inopinée et soudaine de six rédacteurs libéraux, proches du pape ou le lancement du rapport tendancieux (supra). La rédaction de la relatio ne devait pas échapper au pape, pour éviter de relater les circonspections des pères synodaux (elles furent nombreuses), ce qui devait justement aboutir au résultat opposé. Sur le fond, on peut aussi ajouter les nombreuses maladresses et bourdes théologiques lancées à tout va dans la presse et entendues depuis le mois de juillet 2013. Tous ces éléments de malaise ont compté pour entraîner la fronde synodale.
“Pour la première fois depuis quelques décennies, une saine réaction aux prévarications doctrinales s’est faite au sommet, sans forcément passer des éléments périphériques. Dans la crise actuelle, c’est certainement un bon signe.”
Le lâchage de François par les cercles modérés. Autre aspect perceptible dans la dernière semaine de psychodrame : le malaise ressenti par les « modérés », comme le cardinal Vingt-Trois. On constate ainsi que le malaise dépasse les rangs conservateurs, traditionalistes et du centre-droit pour rejoindre les éléments les plus centristes. C’est ce qui semble s’être passé en milieu de semaine, malgré quelques interventions voulant relativiser la crise (cardinaux Tagle ou Schönborn). En vain.
Un 11 octobre 1962 à l’envers ? Il s’est donc passé quelque chose lors du synode. En protestant vigoureusement, les pères synodaux ont certainement évité l’écueil de la minorité conciliaire lors du concile Vatican II qui ne put, pour cause d’ultramontanisme, enrayer la machine conciliaire. Ne pouvant maintenir la fiction que les textes allaient contre les prérogatives du pape, elle a fini pas se rallier au processus et joua peut-être un rôle dans l’acceptation de Vatican II, se contentant ainsi d’être l’aile modératrice de la marche en avant. Les pères synodaux n’ont pas eu la même pudeur : ne voulant pas se paralyser à cause d’une image de pape de vitrail, ils ont protesté vigoureusement, y compris lorsque la confusion doctrinale pouvait se prévaloir de l’onction pontificale. Sur ce point, cette réaction fera date dans les annales de l’histoire de l’Église.
Le rôle des médias. Les novateurs ont cru compter sur les médias pour adouber leurs thèses. Monstrueuse erreur qui démontre une méconnaissance des buzz et autres coups d’éclat médiatiques. La presse a certes révélé les « bombes » du rapport d’étape, mais elle ne s’est pas attardée sur ces coups d’essai. Les journalistes sont, à l’instar de leurs lecteurs ou auditeurs, déchristianisés et pas toujours intéressés par les controverses ecclésiales. Mieux : la presse semble plus équilibrée dans le traitement de l’information. Elle a non seulement constaté la fronde, mais elle a également révélé l’échec du pape François (comme c’est le cas du JDD). À cet égard, l’attitude de Jean-Marie Guénois, journaliste au Figaro, est honnête en ce sens qu’il a bien constaté une fronde touchant directement le processus mis en œuvre par le pape, parlant ainsi de « tempête » pour qualifier cette fronde, ce qui n’est pas innocent. Désormais, le mot « tempête » ne sera plus réservé épisodes douloureux du pontificat de Benoît XVI, mais désignera aussi les malaises suscités par un pontificat incertain aux lignes aussi brouillonnes qu’équivoques. La popularité dans les médias ne crée certainement pas un tremplin favorable aux actions à venir.
Le silence étrange de la Fraternité Saint-Pie X. Alors que les évènements auraient pu constituer du pain-bénit pour la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, on retiendra sa discrétion au cours de ces derniers mois. Elle n’a guère participé aux contre-offensives de ces derniers mois, préférant relayer les initiatives des cardinaux ainsi que les mises au points doctrinales de certains théologiens romains ou non. Elle n’a pas lancé d’études théologiques ou de veillées de prière. Entamant des discussions avec le pape François, elle a peu mis en cause ce dernier. Peut-être s’est-elle trop focalisée sur les canonisations des papes Jean XXIII et Jean-Paul II, quitte à déployer une énergie qui aurait pu être utilisée à meilleur escient ? Dans le passé, elle a beaucoup contesté les enseignements des papes Jean-Paul II et Benoît XVI (on se souviendra des ouvrages dont le titre commence par les mots suivants : « l’étranges théologie de… »). Or, elle semble être mielleuse avec le pape actuel, qui échappe au scalpel théologique d’Ecône. Il y avait pourtant de quoi dire. Pour la première fois depuis quelques décennies, une saine réaction aux prévarications doctrinales s’est faite au sommet, sans forcément passer des éléments périphériques. Dans la crise actuelle, c’est certainement un bon signe.
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