Au terme de dix ans d’enquête policière et sept années d’instruction par la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Marseille, va être enfin jugé le scandale de corruption dit de la tour Odéon, qui avait fait les gros titres lors des premières interpellations sur la Riviera, en novembre 2009.
Parmi les onze prévenus convoqués à la barre, quatre personnages occuperont le centre des débats : Gérard Spinelli, le maire (divers droite) de Beausoleil, une commune dortoir riveraine de Monaco ; Paolo et Claudio Marzocco, deux promoteurs italiens basés à Monaco ; et Ange Romeo Alberti, dit “Lino”, compagnon de Chantal Grundig, veuve du magnat de l’électroménager.
Au départ, un projet immobilier “encombrant”
La monumentale tour Odéon, est située à la frontière entre Monaco et la commune de Beausoleil dans les Alpes-Maritimes. Achevée durant l’été 2015, c’est la tour la plus haute jamais construite à Monaco. Avec ses 49 étages, elle dispose à son sommet de l’appartement le plus cher du monde, un penthouse de 3 300 m2 sur cinq niveaux, avec piscine privée, jardins suspendus et salle de fitness, mis en vente 300 M€. L’ immeuble de couleur bleue a été bâti par les frères Paolo et Claudio Marzocco, des Italiens de San Remo installés à Monaco depuis la fin des années 1980.
L’argent du silence
Les frères Marzocco sont renvoyés devant le tribunal pour corruption active. Ils auraient proposé 2 millions d’euros de dessous-de-table à l’entrepreneur Lino Alberti. En fait, un seul premier acompte de 250 000 euros en grosses coupures a été versé le 30 juillet 2009, les premières interpellations ayant interrompu le processus en novembre 2009.
Il semble établi que l’argent a été retiré en deux fois, en espèces, sur le compte familial des Marzocco à la banque J. Safra, spécialiste de la gestion de patrimoine à Monaco. Selon l’accusation, ce généreux cadeau était destiné à s’attirer les bonnes grâces de Gérard Spinelli, maire de Beausoleil, dont la commune allait subir les nuisances du chantier pendant des années et dont une partie des habitants se retrouvent aujourd’hui privés de soleil (un comble quand on habite “Beausoleil”!), dans l’ombre de la tour Odéon.
Lino Alberti aurait joué un rôle central dans la transaction entre les entrepreneurs et l’élu.
L’ombre de la mafia napolitaine
Personne n’aurait jamais rien su de ce qui se tramait si la justice italienne n’avait pas transmis aux autorités françaises, le 17 juillet 2007, un signalement concernant l’un de ses ressortissants, Giovanni Tagliamento, surnommé O’Ragnolino (« la petite araignée »), considéré comme la tête de pont de la Camorra, la mafia napolitaine, sur la Côte d’Azur. Grâce à la surveillance de ce mafieux italien et à l’écoute de ses conversations téléphoniques, la police judiciaire de Nice a établi ses relations avec le “Lino”.
Les deux hommes se fréquentent assidûment et montent ensemble des opérations immobilières. Le samedi 9 juillet 2009, ignorant être sous la surveillance des policiers, Lino Alberti et sa compagne invitent plus de 100 convives à un dîner en bord de mer, au restaurant “La plage du pirate” de Roquebrune-Cap-Martin. Un “petit repas” payé 12 000€, en espèces et sans facture. Étaient présents ce soir là, le fameux Giovanni Tagliamento, Roger Mouret, dit le Gitan, membre notoire du grand banditisme, les élus René Vestri et Gérard Spinelli, mais aussi Claudio Marzocco et… Jean-Luc Brial, directeur délégué du groupe Vinci, constructeur de la tour Odéon… Marzocco, Alberti, Spinelli, le groupe Vinci, les enquêteurs commencent à subodorer quelque chose du côté de la tour Odéon. Ils ne lâcheront plus leur “client” et étendent leur surveillance aux différents acteurs du chantier.
Ils parlent toujours trop
Quelques jours plus tard, le 30 juillet, la police intercepte une conversation téléphonique qui deviendra très vite la clé de voûte du dossier judiciaire. Lino Alberti sort d’une réunion avec « les mecs de la tour Odéon ». Il téléphone à sa compagne Chantal Grundig : « J’ai besoin de deux grandes enveloppes grises. Sur une des grandes enveloppes tu marques Gérard, sur l’autre Lino (…). Sur la grande enveloppe tu marques 75 000 moins 10 000, à la date d’aujourd’hui il reste 65 000. Sur celle de Lino tu marques 75 000 moins 12 000 et moins 20 000. ». Incroyable, non?
Grundig chante en haute fidélité
Entendue sous le statut de témoin assisté par le juge Charles Duchaine, Chantal Grundig a été d’une extrême courtoisie vis-à-vis des enquêteurs. Elle leur a tout expliqué par le menu et, même mieux, le 25 novembre 2009, les a guidés vers un quatrième coffre-fort, dissimulé derrière des cartons dans une penderie, à côté duquel ils étaient passés sans le voir lors des perquisitions précédentes au domicile du couple, le château La Zoraïde, à Roquebrune-Cap-Martin,
C’est dans ce coffre qu’ils trouvent une enveloppe grise marquée “Gérard” qui contient 60 000 euros en billets de banque et les mentions manuscrites : « Odéon Gérard. 1er paiement fin juin 125 000 €. Retrait 30/07/09 10 000 €. Retrait le 4/09/09 15 000 €. Retrait le 3/10/2009 20 000 €. Retrait le 20/10/09 20 000 € ».
Des fois que les policiers n’aient pas compris, Chantal Grundig leur explique qu’il s’agit bien de Gérard Spinelli, habitué des « enveloppes de 10 000 euros ». Elle précise même qu’« il y en a eu pas mal en période électorale ». Gérard Spinelli, au moment des faits, cumule les mandats de maire de Beausoleil, vice-président du conseil général des Alpes-Maritimes et vice-président de la communauté d’agglomération de la Riviera française.
Un pacte de corruption qui semble établi
Le fameux coffre, si complaisamment et si spontanément dénoncé par Madame Grundig (qui a d’ailleurs bénéficié du coup d’un non lieu avant audience) contient un improbable document dactylographié!!!
Son en-tête? « Tour Odéon accord du 13 mars 2009 »
Suivent ensuite tous les éléments constitutifs du pacte de corruption, dûment énumérés et tarifés!
Une liste de dix engagements de la part de Gérard Spinelli comme la « renonciation au recours contre le permis de construire modificatif de la tour », ou les « autorisations relatives au passage des camions et engins sur les routes de la commune de Beausoleil » établis comme une “assistance” et dont il est précisé, par écrit sur le document que« l’assistance convenue sera rémunérée à hauteur de 2 000 000 (deux millions d’euros) »….
Tout ce petit monde va se retrouver au tribunal
Pour la juge Christine Saunier-Ruellan, qui a succédé à Charles Duchaine à l’instruction du dossier et signé l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, ces documents constituent les preuves d’un pacte de corruption entre les frères Marzocco d’une part, Gérard Spinelli et Lino Alberti d’autre part.
Des défenses difficiles
Si Lino Alberti a, tardivement, décidé de se mettre au diapason de sa maîtresse et de tout raconter, il n’en est pas de même pour les autres protagonistes.
Gérard Spinelli, « conteste toute corruption », c’est du moins ce qu’affirme son avocat François-Xavier Vincensini, sans révéler la manière dont il compte justifier les différents versements établis.
Les frères Marzocco, ont choisi pour leur défense Thierry Lacoste, célèbre avocat de la Principauté, qui se dit serein: «Je suis persuadé que mes clients vont être relaxés. Ils n’ont jamais donné d’argent pour corrompre qui que ce soit. Ils ont payé Lino Alberti pour son aide dans la négociation du contrat de construction avec le groupe français Vinci. » Bon, il faudra tout de même que le groupe de BTP explique en quoi il a eu besoin d’un intermédiaire pour négocier avec des promoteurs….