L’image des cargos-fantômes à la dérive vers les côtes italiennes évoque puissamment le roman hallucinant de Jean Raspail qui décrivait, il y a 40 ans l’invasion de l’Europe, submergée par une masse de miséreux venus du Tiers-monde, devant laquelle toutes les résistances s’effondraient tant les institutions et la morale collective étaient rongées de l’intérieur. Cette anticipation historique semble aujourd’hui en train de se réaliser.
Certes, le débarquement massif sur la côte d’Azur n’a pas eu lieu, mais les chiffres parlent : 150 000 migrants clandestins ont atteint l’Italie, en 2014. Ils n’étaient « que » 72 000 en 2012. Sur les dix premiers mois de 2014, 230 000 entrées illégales en Europe ont été comptabilisées, ce qui est évidemment un minimum déjà en hausse de 144% par rapport à l’année précédente. En 2013, l’arrivée de clandestins avait crû de 48%, les demandes d’asile de 30%… et les décisions de renvoi avaient, elles, baissé de 16%. 30% n’avaient pas été exécutées. Ce sont les frontières maritimes du sud qui sont les plus touchées. Si l’immigration en provenance de l’Afrique de l’Ouest qui passe par la Mauritanie et le Maroc se poursuit, ce sont trois secteurs qui ont connu en 2014 une véritable explosion : +261% sur la Mer Noire entre Turquie et Bulgarie, + 113% en Méditerranée Orientale, entre Turquie, Chypre et Grèce, et enfin en Méditerranée Centrale, entre Libye essentiellement et Italie avec +272%.
Ce phénomène est d’abord perçu comme un drame humain. Des familles perdues en mer sur des embarcations de fortune ou abandonnées sur de vieux cargos que leurs équipages ont désertés, l’annonce de multiples noyades (2000 depuis Avril !) et la récupération souvent difficile des naufragés par la marine italienne suscitent légitimement la compassion. Mais celle-ci ne doit pas rendre aveugle, ni justifier un sentiment de culpabilité qui est l’autre face de la complicité.
Il s’agit d’abord d’un trafic, un trafic d’êtres humains organisé par des réseaux mafieux qui mêlent aujourd’hui au transport des clandestins, celui des armes et de la drogue, et sans doute l’alimentation des filières de proxénétisme. La premier adversaire à combattre est donc le passeur, et ses comparses dans les pays de départ. La Turquie, que certains veulent intégrer à l’Europe, est une fois de plus lourdement impliquée dans cette affaire. Elle l’est doublement, puisque les navires quittent bien, avec leurs pavillons de complaisance, et leurs « passagers » munis de faux documents, des ports dont le contrôle laisse pour le moins à désirer. Elle l’est ensuite pour entretenir de manière cynique une guerre civile meurtrière chez son voisin syrien d’où venaient les 450 occupants de l’Ezadeen.
La situation politique au sud de la Méditerranée est la motivation la plus forte qui pousse les migrants vers l’Europe. L’Union Européenne, et la France, en particulier, ont ici une part de responsabilité. L’un des axes de la politique du Président Sarkozy était constitué par le projet de l’Union Pour la Méditerranée. On se souvient notamment de l’accueil à Paris des présidents Assad et Kadhafi. On mesure aujourd’hui l’étendue du désastre. L’intervention en Libye pour chasser le « tyran » a fait de ce pays un chaos, un repaire de terroristes et une passoire pour les migrants de la corne de l’Afrique. La guerre civile en Syrie a failli voir la France engagée au premier rang dans cette tragédie suscitée comme celle de l’Irak par la politique américaine. Le rétablissement de la paix par l’écrasement de l’Etat islamique, et avec le soutien du régime de Damas devrait être la priorité. Ce serait notamment le seul moyen d’arrêter l’exode des minorités religieuses, et notamment des Chrétiens, présents dans cette région du monde bien avant les Musulmans.
Bien sûr, l’économie a toute sa part dans ce mouvement de population. Mais cette part ne saurait se réduire à deux arguments paralysants : l’Europe a un besoin démographique d’immigrés pour compenser son déficit et occuper les emplois délaissés par les autochtones ; sa « richesse » doit l’appeler à la générosité et à l’accueil. Le bon sens demande de tempérer ce fatalisme. D’abord, certains immigrés ne sont pas pauvres et ont même payé jusqu’à 5000 Euros leur passage. Leur niveau de formation leur permettra sans doute une insertion économique, mais ce sera au détriment des pays d’origine et en faveur d’une pression sur les rémunérations chez nous. Les pays européens connaissent des situations différentes qui rendent absurde une politique commune sur les bases actuelles. Le déficit démographique allemand peut-être compensé par les migrations intra-européennes. La France voit sa population augmenter, et attire surtout les migrants par ses prestations sociales qui sont une charge et non un avantage pour elle. Le Royaume-Uni et son plein-emploi sont un aimant à bas-salaires et à petits boulots, d’où le problème récurrent de Calais. La priorité des Européens n’est pas l’accueil, mais le développement des pays d’origine. C’est là que se situe la vraie réponse à la pauvreté.
Face au problème, le diplodocus européen et son petit cerveau bruxellois bricole des solutions aux noms pompeux, aux finalités ronflantes et qui se révèlent inefficaces. C’est ainsi que depuis le Programme de La Haye, en 2004 est né Frontex, l’Agence Européenne pour la Coopération Opérationnelle aux Frontières Extérieures, promise à « un haut niveau d’efficacité » comme tout ce que fait la technocratie européenne, bien sûr… Récemment l’opération Mare Nostrum qui permettait à la marine italienne d’aller récupérer les embarcations assez loin a été remplacée par Triton, menée par Frontex plus près des côtes et avec moins de moyens. Les passeurs se sont adaptés, en passant de l’esquif au cargo. De détaillants, il sont devenus grossistes : bravo, Frontex ! Trois arrivées massives en quelques jours !
On comprend très bien que des élus soumis au « politiquement correct » ou des économistes insoucieux des identités culturelles ne fassent pas de cette question leur priorité. Mais il est probable que contrairement à l’effondrement moral qui achève le « Camp des Saints », les peuples européens connaissent un sursaut et acceptent de moins en moins un avenir qui ajoutera à la perte de l’identité, la montée de la pauvreté.
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