Il y a dans la vie des grands moments de solitude. Les pires ne sont pas ceux où l’on s’isole pour méditer sereinement. Ce sont ceux où la foule se dirige massivement dans un sens quand vous prenez le chemin opposé, où elle vibre à l’unisson, emportée par le même sentiment, alors que celui-ci vous est étranger. A cet instant, il faut être solide pour ne pas être envahi par la culpabilité. Je le confesse donc : je n’ai jamais aimé Jeanne Moreau. Je ne la trouvais ni belle ni séduisante. Sa voix m’horripilait. Si je voulais me rappeler un passage de film qui m’a marqué, ce serait celui de Touchez pas au Grisbi où Gabin lui met une claque au milieu d’une distribution généreuse. Qu’on ne me dise pas que cette opinion est liée aux « engagements » de l’actrice. Je n’accorde que peu de valeur aux avis du monde du spectacle sur la société et la politique. La célébrité des vedettes de l’écran ne fonde aucune légitimité particulière à exprimer leurs idées. Souvent au contraire, leur mode de vie et leur appartenance à un microcosme très éloigné de la vie réelle faussent la validité de leur jugement. Romy Schneider m’émouvait bien davantage. Ses engagements ne me plaisaient pas plus, mais on sentait en elle une épaisseur humaine, une sensibilité à fleur de peau qui ne pouvaient laisser indifférent. La rencontre entre Noiret et Schneider dans le Vieux Fusil est pour moi un sommet, un de ces moments où le cinéma saisit avec infiniment de justesse une émotion. Le concert de louanges dithyrambiques dont les médias retentissent depuis l’annonce de la disparition de Jeanne Moreau me surprend donc. Certes, il repose objectivement sur une carrière exceptionnelle, mais il faut aussi y voir un symptôme de notre société française actuelle. Les commentaires, ceux de Jack Lang en particulier, trahissent l’un des motifs de la ferveur du microcosme qui domine la pensée véhiculée par les médias en France. Cela tient moins aux qualités intrinsèques de l’artiste, sur lesquelles les avis peuvent diverger, qu’à la personnalité de la femme. Non seulement, elle savait prendre position, à gauche, comme il se doit, mais plus profondément, elle était une icône, une figure emblématique, un modèle, en somme. Et l’impayable et éternel Ministre de la culture ne craint pas de le dire : c’était une icône iconoclaste ! Ce qui séduisait surtout chez elle, c’était ce parfum de transgression qui l’accompagnait de la vie à la scène et à l’écran, de la mère peu maternelle à l’amour de Jules et Jim « en même temps ». L’emphase des propos est révélatrice. Le courant de pensée qui influence le plus la société française est suicidaire : il propose en modèle, en objet d’adulation, ce qui s’oppose à la norme, non à celle, relative, qui résulte de notre tradition, mais aussi à celle que les conditions même de survie de notre société imposent au bon sens. La société française sur de nombreux sujets marche sur la tête, s’empêtre dans les contradictions et travaille intellectuellement contre son propre intérêt.
Le Conseil d’Etat vient ainsi de donner gain de cause aux associations qui exigent que la ville de Calais et l’Etat installent des douches et des latrines pour les migrants. La ville de Calais, dont les habitants souffrent depuis longtemps de la présence massive de ces étrangers rentrés illégalement en France, compte ne pas se soumettre à la décision et préfère payer les 100 Euros par jour de retard qui résultent de la décision. L’Etat devra réquisitionner les lieux pour obtempérer à l’injonction de la justice administrative. Par ailleurs, le Ministre de l’Intérieur a annoncé la création de deux nouveaux centres d’accueil à Troisvaux et à Bailleul. Le juge administratif invoque le risque de traitements inhumains et dégradants et l’atteinte à une liberté fondamentale. Le raisonnement est simple : il y a des droits de l’Homme. Ceux-ci doivent être respectés… même si, par un tour de passe-passe, cela implique le mépris des droits du citoyen, qui directement ou par le biais des élus locaux, exprime son opposition. Le citoyen n’est plus qu’un contribuable qui devra prendre en charge le coût d’une politique dont il ne veut pas. L’étranger qui s’est introduit en fraude dans le pays jouit donc d’une reconnaissance juridique supérieure à celle du citoyen français. L’illégalité de la présence, le fait qu’elle existe, génèrent des droits. Le non-respect du droit, le fait créent du droit. C’est non seulement intellectuellement absurde mais concrètement, cela favorisera le mouvement migratoire en créant un appel d’air et en facilitant la concentration près du passage en Angleterre. Les associations militantes, les inévitables vedettes médiatiques, comme Emmanuelle Béart en 1996, sans le moindre souci de l’intérêt supérieur du pays et de la volonté de son peuple, continueront à soutenir l’immigration, même illégale, au nom du devoir et du délit de solidarité. Elles poursuivront la culpabilisation de ceux qui commettraient la faute de voter pour le FN par exaspération. Elles stigmatiseront la violence policière même lorsqu’elle est inexistante. Que penser d’un pays qui ose se prétendre une démocratie et où le bien commun d’une nation ou la volonté des populations sont à ce point méprisés en vertu des grands principes et des bons sentiments ?
En ce triste début du mois d’Août 2017, vient s’ajouter au tableau clinique de l’incohérence française, une nouvelle défaillance de notre grande société nationale des chemins de fer, la SNCF, qui de grève en accident, de pannes en retards, rappelle que l’Etat, le Sauveur suprême, aux yeux d’une grande majorité de Français, est celui qui permet aux agents de jouir de nombreux privilèges quand les usagers sont traités avec une totale désinvolture. Le vieillissement et l’entretien insuffisant des infrastructures, la gestion chaotique de l’entreprise, l’incapacité d’informer convenablement les victimes d’un dysfonctionnement sont autant de marques du modèle français, en panne lui aussi. Une société privée fait sans doute des profits. Une société publique prélève indirectement l’argent du contribuable. La première se doit de respecter ses clients. La seconde néglige ses usagers. La nationalisation est cependant une solution qui persiste dans l’esprit de beaucoup de Français. Certes, il n’est pas absurde de vouloir protéger certains secteurs stratégiques de notre industrie lorsqu’ils sont menacés, mais il faut se défaire de l’idée qu’un Etat ruiné puisse s’acquitter de missions pour lesquelles il est incompétent quand il ne parvient plus à remplir ses fonctions essentielles, la sécurité sur l’ensemble du territoire ou la maîtrise de ses frontières.
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