La bière, affaire de femmes!

Les hommes boivent de la bière et les femmes, des Cosmo ? Vous avez tout faux. La « mousse » est plus une affaire de femmes que ce qu’on imagine. Pour preuve, ce sont elles qui l’ont fabriquée pendant des millénaires, l’ont offerte aux déesses de la fertilité et fécondité, l’ont dégustée quand celle-ci était la boisson nourissante de l’époque. Désormais, elles participent activement à la résurrection des brasseries artisanales, dont une centaine est tenue par des femmes. Pour clore le tout, l’unique experte en culture et histoire de la bière en France est une femme, dénommée Elisabeh Pierre. Cette zythologue -du grec zythos, l’orge- a goûté près de 800 bières dans 250 brasseries et a compilé une sélection des 500 meilleures bières pour  le premier Guide Hachette des Bières.

 On imagine que la bière est exclusivement l’apanage des hommes. Pourtant vous affirmez que les femmes ont été les principales actrices de l’histoire de la bière…


En effet, le lien entre les femmes et la bière est très étroit. Les premiers brasseurs étaient des brasseuses ! La fabrication de la bière a toujours été une affaire de femme puisque ce sont elles qui fabriquaient le pain et cuisinaient les céréales. L’apparition de la bière est liée à celle de la culture des céréales, vers 9 000 ans avant notre ère, On imagine que le grain entreposé devenu humide sous la pluie, une fois germé, séché au soleil, broyé est devenu une soupe fermentée. D’ailleurs, dans le passé, on appelait la bière “le pain liquide”. Les femmes la fabriquaient dans le même espace, avec les mêmes fours que le pain avant de la garder et laisser mûrir en cave. Partout les femmes étaient en charge de la bière.

La bière était un symbole féminin de fécondité

Leur lien à la bière s’en tient-il à la fabrication ?


Pas du tout. Dans toutes les civilisations, que ce soit en Egypte, en Mésopotamie, en Scandinavie, chez les Celtes ou les Incas, la bière était un symbole féminin de fécondité, de moisson, la renaissance de la nature, à l’image du grain de céréale qui se transforme en boisson. Des moissons naissent le pain et la bière. Partout, on retrouve cette mythologie de la renaissance et de l’immortalité, ce lien universel entre la femme qui brasse et les déesses, qui donnent vie et abondance. La bière est même une boisson offerte par des prêtresses en guise d’offrande.

La consommaient-elles aussi ?

Bien sûr. Pendant des millénaires, la bière était la boisson nourrissante, pleine de vitamines et de bienfaits, qui faisait partie de la base de l’alimentation. Chaque culture l’aromatisait plus ou moins avec des épices, des plantes aromatiques ou du miel. On recommandait même aux nourrices d’en boire puisque cela favorisait la production de lait. Il y avait des bières de nourrice vendues dans les pharmacies jusque dans les années 50 ! Elles étaient très peu alcoolisées.

Pourquoi, à partir du Moyen-Âge, la bière s’échappe-t-elle des mains des femmes ?

Dans le milieu domestique, les femmes n’ont jamais vraiment arrêté de brasser. Cependant, à partir du Moyen Âge, on fait du brassage un « métier », avec des corporations pour organiser la production. Cela devient l’affaire des hommes, avec des ouvriers brasseurs dans les grandes villes comme Lyon, Toulouse ou Paris, soumis à des hiérarchies et des règlementations jusqu’au milieu du 20è siècle. Les femmes, en revanche étaient toujours présentes pour faire le service…

Un sixième des brasseries artisanales tenues par des femmes

Ce fut donc la fin de l’histoire de la femme et de la bière ?

Non ! Car les femmes reviennent de plus en plus vers la bière de nos jours, après une courte parenthèse. Il faut un peu remonter dans l’histoire. Depuis l’apparition des corporations au 14e siècle, les brasseries artisanales sont en plein essor. Puis le chemin de fer et la révolution industrielle sont arrivés et ont complètement bouleversé le métier de la bière. Les brasseries artisanales n’ont pas pu suivre le rythme et ont disparu, celles des villes ont été rachetées par les plus grosses.

Dans les années 60, les femmes ne sortaient pas dans les bars.

La France fut l’un des pays à connaître le plus fort phénomène de concentration du marché par les grands groupes de brasseries internationales. On est passé de 4 000 brasseries à la fin du 19è siècle à une quarantaine en 1970, le désert absolu. Depuis quelques années, avec la mode du retour aux sources et du do it yourself, on observe un phénomène totalement sidérant : les brasseries artisanales réapparaissent par centaines. On en décompte 600 actuellement. Certains réouvrent celles de leur grand-père qui avait du fermer. Parmi ces créations, une bonne centaine créées par des femmes qui ont cette passion de la bière. Elles le disent toutes : c’est un peu comme de la cuisine… Il y a des ingrédients, des recettes, et un tour de main !

Y a-t-il eu un moment où les femmes ont cessé de boire de la bière ?


À partir des années 50, oui. Auparavant on consommait la bière à table, chez soi, après être allé la chercher chez le brasseur du coin. Mais avec la fermeture des brasseries artisanales les modes de consommation ont changé : la bière a quitté la table pour être distribuée seulement dans les cafés, bars et grandes surfaces. Les femmes en buvaient moins puisque dans les années 60, elles ne sortaient généralement pas dans les cafés.

La bière se redémocratise-t-elle mieux aujourd’hui auprès du public féminin ?


Oui, car désormais, les femmes rebrassent et ont le droit d’aller au café se prendre une pinte. Longtemps, elles ont prétendu ne pas aimer la bière car le goût était trop amer. C’était surtout des bières standardisées mais aujourd’hui, il n’y a plus d’excuses : grace à la multiplication des brasseries artisanales, la palette des saveurs de bière s’est élargie. Vous trouvez un nombre infini de recettes avec des bières crèmeuses, épicées, ou florales… Certaines ont même le goût du chocolat. Et qui peut dire qu’il n’aime pas le chocolat ?

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