Le Petit manuel d’économie néokeynésienne, chapitre Politique budgétaire, section Que faire en cas de crise ? est formel : la crise étant due à une insuffisance de la demande agrégée ©, il faut augmenter massivement la dépense publique et le déficit budgétaire de l’État pour la faire remonter. On peut, par exemple, embaucher mille bonshommes pour creuser des trous toute la journée et en employer un millier d’autre pour les reboucher la nuit : ces gens toucheront un salaire, iront le dépenser joyeusement et relanceront ainsi toute l’économie.
L’économie, en bonne orthodoxie néokeynésienne, c’est un gros tableau de bord avec des dizaines de cadrans à aiguilles, de voyants lumineux qui clignotent (vert : bon ; rouge : pas bon) et deux ou trois gros leviers qu’il suffit d’actionner au bon moment et dans le bon sens pour réguler le bazar. C’est sans doute là l’origine de son immense succès auprès de nos gouvernants : ça justifie de leur donner encore plus de pouvoirs (notamment en matières fiscale et monétaire) et c’est finalement assez facile à comprendre.
Bref, de Barack Obama à Nicolas Sarkozy (et de Ben Bernanke à Jean-Claude Trichet puis Mario « super » Draghi pour le volet monétaire des opérations), on a appliqué consciencieusement la recette habituelle : on a dépensé massivement, créé des déficits abyssaux et, in fine, battu quelques records en matière d’endettement. Et là, surprise : ça ne marche pas.
Mettons de coté, si vous le voulez bien, l’argument krugmanien selon lequel, si ça ne marche pas, c’est qu’on n’en a pas fait assez et demandons-nous, face à ce énième échec du policy mix © qui sert de vade-mecum à nos dirigeants depuis près d’un siècle, pourquoi – Ô mon Dieu pourquoi ? – ça ne marche pas alors que dans le manuel, il est clairement stipulé que ça doit marcher ?
Eh bien c’est à cause des gens.
Oui, les gens : ces petites unités autonomes identifiées par un numéro de Sécu qui, malgré les efforts d’analphabétisation gouvernementaux, continuent à penser, à anticiper et à agir en dehors des sentiers balisés par l’administration. Les gens, par exemple et surtout en période de crise, ont la fâcheuse manie de ne pas claquer immédiatement leur salaire et préfèrent en stocker une partie sous forme d’épargne juste au cas où le grand Plan pour la Croissance © de nos chefs tournerait au vinaigre… Et du coup, le plan ne fonctionne pas.
Il faut dire que ce n’est parce que les gens aiment bien que l’État leur distribue des cadeaux (payés avec l’argent des autres) qu’ils ont vraiment confiance en ses promesses.
Tenez par exemple : les gens, lorsqu’ils sont chef d’entreprise et que c’est la crise, ils évitent d’investir et d’embaucher à tire-larigot. C’est pas un manque patent de foi en la parole politique ça ? On leur concocte un super plan avec des milliers de gars qui creusent et rebouchent des trous et eux, non seulement ils ne remplacent pas leurs vieilles machines mais en plus, ils n’embauchent que des intérimaires ! Naturellement, ça fait planter le plan.
C’est que ça pense les gens : quand ils ont vu l’État manipuler l’autorisation de découvert comme une acheteuse compulsive qui aurait trouvé la carte bancaire de sa pire ennemie, ils se sont bien doutés que ce sont eux qui devraient rembourser le capital et les intérêts. Ils le savaient bien, les gens, qu’on finirait tôt ou tard par leur présenter la facture du grand Plan pour la Croissance ©. Notez d’ailleurs qu’ils ont eu le nez creux : ça n’a pas loupé. Du coup, les gens ont réduit la voilure et le plan a raté.
Pire encore : c’est universel ! Mêmes les gens espagnols passent leur vie à faire capoter les plans gouvernementaux : on leur imprime des euros tout frais pour qu’ils puissent les claquer en tapas et qu’est ce qu’ils font ? Ils foncent planquer le butin en Suisse ou en Allemagne en cas de retour de la peseta ! Encore un plan foutu !
Donc voilà, chers amis socialistes, souverainistes et autres étatolâtres, je vous le dis simplement, en toute amitié et juste pour rendre service : si vos grands plans géniaux, vos réformes et contre-réformes ne fonctionnent pas, c’est à cause des gens. C’est ça le problème. C’est ça qui gêne l’avènement de votre grande économie administrée, planifiée, solidaire et responsable. Il va falloir traiter le problème en profondeur.
> le blog de Georges Kaplan
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