La déchéance de nationalité existe depuis 88 ans ! De qui se moque-t-on?

Les réactions politiques actuelles sur une extension du champ de la déchéance de nationalité révèlent une certaine médiocrité – ou à tout le moins une ignorance – de nos élites. Celles-ci devraient prendre le temps de mettre de côté des réactions totalement irrationnelles. Il suffit d’ouvrir quelques ouvrages et avant tout le Code civil. Un article du Code civil mais également deux autres articles oubliés…

L’article 25 du Code civil énonce :

« L’individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d’Etat, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride :

1° S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ;

2° S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal ;

3° S’il est condamné pour s’être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national ;

4° S’il s’est livré au profit d’un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France. »

Ces dispositions ne posent aucun problème et concernent la personne ayant acquis la nationalité française c’est-à-dire qui n’est pas née Française et qui dispose d’une autre nationalité. Elles ont été jugées conformes à la Constitution à l’occasion d’une QPC du 23 janvier 2015 (décision n°2014-439 QPC du 23 janvier 2015).

(…)

Le projet supprimerait la distinction actuelle entre les individus nés Français et ceux devenus Français. Aujourd’hui seuls ces derniers pouvant encourir le risque de perte de nationalité. Cette modification aurait pour effet de créer deux catégories de Français : les Français binationaux susceptibles d’être déchus et les autres. Or ces postures si louables soient elles, notamment à gauche, n’ont en réalité aucun sens.

Un Français, même né Français, peut déjà perdre sa nationalité

Ce sont ici les articles 23-7 et 23-8 du Code civil.

L’article 23-7 précise :

« Le Français qui se comporte en fait comme le national d’un pays étranger peut, s’il a la nationalité de ce pays, être déclaré, par décret après avis conforme du Conseil d’Etat, avoir perdu la qualité de Français.»

L’article 23-8 dispose :

« Perd la nationalité française le Français qui, occupant un emploi dans une armée ou un service public étranger ou dans une organisation internationale dont la France ne fait pas partie ou plus généralement leur apportant son concours, n’a pas résigné son emploi ou cessé son concours nonobstant l’injonction qui lui en aura été faite par le Gouvernement.

L’intéressé sera, par décret en Conseil d’Etat, déclaré avoir perdu la nationalité française si, dans le délai fixé par l’injonction, délai qui ne peut être inférieur à quinze jours et supérieur à deux mois, il n’a pas mis fin à son activité.

Lorsque l’avis du Conseil d’Etat est défavorable, la mesure prévue à l’alinéa précédent ne peut être prise que par décret en conseil des ministres. »

Le second de ces textes surprenants mais qui font partie de notre droit positif n’impose même pas que le Français en question, né Français, soit titulaire d’une autre nationalité !

Et ici il est bon de souligner que contrairement aux idées reçues l’apatridie n’est nullement contraire ni au droit français ni aux engagements internationaux de la France.

(…)

La loi du 10 août 1927 et Aristide Briand

Ces textes qu’il s’agisse de l’article 25 ou des articles 23-7 et 23-8 du Code civil trouvent leur source dans la loi sur la nationalité du 10 août 1927 (JO 14/08/1927 ; Dalloz 1928, 4ème partie, page 1, note de Boeck). L’article 9 énonçait notamment :

« Perdent la qualité de Français : (…)

4° Le Français qui, remplissant à l’étranger un emploi dans un service public, le conserve, nonobstant l’injonction de le résigner dans un délai déterminé, qui lui aura été faite par le gouvernement français (…) ;

5° Le Français qui, ayant acquis sur sa demande ou celle de ses représentants légaux, la nationalité française, est déclaré déchu de cette nationalité par jugement. Cette déchéance peut être encourue :

a) Pour avoir accompli des actes contraires à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat français ;

b) Pour s’être livré, au profit d’un pays étranger, à des actes incompatibles avec la qualité de citoyen français et contraires aux intérêts de la France (…) »

Cette loi, mise en chantier en 1913, avait notamment été portée par Aristide Briand. Les débats parlementaires furent vifs dès la première séance et notamment sur la disposition permettant de retirer sa nationalité à un Français remplissant à l’étranger un emploi dans un service public. Le député Ernest Laffont invoquant un « scandale juridique » après avoir pris l’exemple d’un Français occupant l’emploi de « graisseur de wagons de la gare de Genève-Cornavin [et ayant donc] pris un emploi dans un service public étranger » (Chambre, 1ère séance du 7 février 1927, JO 8/04/1927, p.1212.)

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