Rien ne semblait prédisposer le jeune abbé Jean Popot à devenir pour la postérité « l’aumônier de Fresnes ». Sa première affectation lui fait découvrir la bourgeoise paroisse du Perreux, « un gâteau sans levain dans la pâte ». Bien vite, le retour au réel s’impose, c’est la misère du XIIIe arrondissement de Paris : traits de lumière du Paris populaire des années 1930 mais aussi gosses battus par leur mère, adolescentes prostituées, immeubles insalubres dont les voyous contrôlent les cages d’escalier.
Lorsque survient la guerre, le père Popot est mobilisé, assurant la liaison sur deux roues, à moteur ou à pédales. Moins de deux mois de drôle de guerre, ce qui est peu. Puis trois années de captivité, ce qui est beaucoup. La captivité en Allemagne sera l’expérience marquante d’un prêtre alors dans la force de l’âge, au caractère affirmé et volontiers retors. Ne craignant ni les menaces ni les coups, cet ingérable prisonnier est ballotté de stalag en stalag. Peu lui chaut puisqu’il parvient à célébrer, ici et là, sa messe dans la clandestinité. Cela seul compte. Nombreux sont les fermiers et ouvriers allemands qui lui apportent assistance, lui fournissent ravitaillement et couverture pour ses frères prisonniers et le cachent le temps de célébrer le Saint Sacrifice.
Le retour en France est nécessairement brutal. Une fois remis sur pieds, le voici nommé dans la paroisse huppée Saint-Honoré-d’Eylau où le travail ne manque pas en ces jours très incertains : « Paris 1944 : tant de parents étaient dans l’inquiétude, tant d’épouses se sentaient à bout de forces après cinq ans de séparation, tant de cas de conscience se posaient avec les occupants dans la place, la France divisée… Paris 1944, c’était la vie au jour le jour. »
Dans les pas de Franz Stock
Mais une fois la libération survenue, l’abbé Popot découvre bien vite les ravages vengeurs de l’épuration, l’emprise communiste, les règlements de compte entre voisins et concurrents. En mai 1946, il débute ce qui sera l’apostolat de sa vie ; répondant à l’appel du cardinal Suhard, le voici désormais aumônier de la prison de Fresnes, plaque tournante de la justice – injustice ? – épuratrice. Ce n’était pas rien que de franchir les lourdes portes de la Centrale. « Dès que je franchis un premier seuil, l’illusion tomba. L’intérieur se révélait abominable : une odeur âcre prenait à la gorge. Sans doute le couloir d’entrée était bien ciré, mais, dans les divisions, régnait une misère ahurissante. Pas de chauffage, l’eau suintait partout… »
Le voici posant ses pas dans ceux d’un autre aumônier, allemand celui-ci, l’abbé Franz Stock, qui fut le réconfort de nombreux résistants. Comme en témoigne la lettre que lui adressa le commandant d’Estienne d’Orves : « Je remets mon âme entre les mains de Dieu et un peu aussi entre les vôtres qui l’avez ces derniers temps représenté auprès de moi. » L’abbé Popot saluera son confrère dans l’ouvrage autobiographique qu’il fit paraître en 1962 aux éditions Perrin, J’étais aumônier à Fresnes. Se donnant tout à tous, passant de cellule en cellule et brisant la résistance des plus durs, l’abbé Popot va rapidement devenir un confident, un ami, et pour certains : le seul frère.
Une parodie de justice
L’aumônier ne cache rien des horreurs et des lâchetés de l’épuration, qu’il constate chaque jour. Les communistes ne libérant des cellules de Fresnes que les membres du parti et commençant – sous mille prétextes – à persécuter les autres, nécessairement suspects. Il y eut donc bien des « prisons de la Libération », quelle ironie sinistre. Elles n’étaient pas toujours moins pleines, moins inhumaines que celles que contrôlaient les Allemands en France. Fresnes, Drancy, le Vél d’Hiv servirent à nouveau, cette fois pour permettre à une minorité de Français de se venger d’une autre minorité, celle qui avait eu le malheur de ne pas faire « le bon choix ». Et les intellectuels sont parmi les premiers à tomber. L’abbé Popot arrivera après l’exécution de Georges Suarez, le 9 novembre 1944 ; celle de Paul Chack, le 9 janvier 1945 ; celle de Robert Brasillach enfin, le 6 février 1945. L’abbé Popot ne tardera pas à dénoncer les injustices les plus criantes, à forcer la porte des magistrats et même de l’Elysée lorsque cela sera nécessaire. En 1947, la voix de Mauriac s’élève courageusement, en pleine frénésie épuratrice : « Que des témoins à charge deviennent les juges, voilà l’attentat permanent dont je m’étonne que la conscience nationale ne soit pas indignée surtout lorsque ce n’est pas d’un délateur ou d’un tortionnaire qu’il s’agit de régler le compte. »
Un an plus tard, un autre prêtre – le chanoine et ancien député Jean-Marie Desgranges – prête sa voix à la dénonciation des injustices de l’épuration et publie un essai au titre sans équivoque : Les crimes masqués du Résistantialisme.
Face au poteau
« J’ai passé cette nuit au mont des Oliviers – Etais-je auprès de vous bien indigne, Seigneur ? – Je ne sais, mais la chaîne était lourde à mes pieds. » Chacun aura reconnu les vers poignants des Poèmes de Fresnes, de Robert Brasillach. L’aumônier connut tout de l’angoisse des condamnés à mort, il en accompagna plus de quatre-vingts au poteau d’exécution, au fort de Montrouge ou ailleurs. Il faut imaginer le recueillement extraordinaire des messes que célébrait deux fois par semaine ce prêtre étonnant, parmi les condamnés à mort, brisés, habillés de hardes et chaussés de sabots. La plupart de ces fusillés conservaient, devant la mort qui s’approchait, la plus grande tenue. Nombreux sont ceux qui s’ouvraient à la grâce avant de quitter ce monde. L’aumônier confesse avoir été particulièrement touché par la tranquillité pleine de panache des membres du SPAC (Service de police anticommuniste) et de Fernand de Brinon, dont il était loin de partager les opinions politiques. Il y eut ces anciens voyous, qui suppliaient l’un des leurs d’accepter la miséricorde de Dieu, dans le fourgon cellulaire qui les conduisait à Montrouge ; un autre qui demande au commissaire du gouvernement s’il peut lui serrer la main quelques secondes avant de marcher au poteau, voilà des scènes inoubliables que nous livre l’aumônier de Fresnes. La mort et l’urgence du Salut y baignent chaque page, extraordinairement concentrées.
Pierre Saint-Servant – Présent