Par Christian Daisug
Il a suffi qu’un sectaire, un haineux, un jacobin yankee ait l’audace d’un geste provocant – décrocher de sa propre initiative le portrait du général Robert Lee et celui du général Thomas «Stonewall» Jackson – pour qu’aussitôt les hauts gradés de l’autorité militaire s’interrogent sur la nécessité de remettre à leur place les deux grands chefs de l’ancienne Confédération. Les peintures, impressionnantes de vérité et de noblesse, étaient suspendues depuis des décennies aux murs du hall d’entrée de l’Ecole de Guerre de l’armée américaine, en Pennsylvanie. Une école d‘état-major qui peaufine les subtilités de la stratégie en rase campagne et remet chaque année des diplômes à près de 350 lieutenants-colonels et colonels. Les portraits de Lee et de Jackson étaient visibles dès le franchissement du porche solennel et, jusqu‘à maintenant, personne n’eut l’idée saugrenue de les soustraire à la galerie de ceux qui ont brillé sur les champs de bataille. Personne, sauf cet officiel encore non identifié qui s’offrit le luxe de réouvrir de vieilles blessures pour y déposer son venin.
Ce chétif suppôt de la P.U.T. (Pensée Unique Totalitaire) profita d’un inventaire destiné à faire le compte des trésors picturaux de l’institution pour escamoter rageusement les vénérables croûtes du camp à qui, sans aucun doute, il voue une exécration massive et silencieuse. Au fond, son idée fut de se jeter à l’eau, de créer un précédent, d’interpeller la direction de l’Ecole en la mettant devant le fait accompli, dans une position telle qu’il lui faudrait, tôt ou tard, réagir. Or, dans ce cas, deux réactions sont possibles. Soit ordonner que Lee et Jackson retrouvent leur clou dans le mur. Soit temporiser, laisser pourrir le débat, enliser le fameux inventaire dans une sorte de marais politico-militaire afin que chacun s’empresse de l’oublier, quitte à accrocher à la place des cadres manquants deux gouaches dépoussiérées de traîneurs de sabre nordistes. La direction de l’Ecole sentit un piège s’ouvrir devant elle. Elle comprit que déjà le pays l’observait. Pour gagner du temps, elle choisit l’enlisement.
Cette affaire n’a pas encore atteint les proportions d’une effervescence nationale, mais elle pourrait fournir un prétexte aux subversifs de l’Obamaland pour remettre en question, non seulement la présence de l’esprit du Sud dans l’enseignement d’autres académies militaires, mais également celle, encadrée ou statufiée, de ses héros. On trouve notamment deux superbes portraits de Lee dans l’enceinte de West Point, le Saint-Cyr américain : l’un en uniforme de capitaine dans l’amphithéâtre des cadets ; l’autre en grand uniforme de général en chef de l’armée confédérée sous l’impressionnant portique de la bibliothèque. Combien de temps encore les milliers d‘élèves officiers qui défilent chaque année à West Point pourront-ils admirer le souvenir d’un tacticien pénétrant et hardi dont les leçons demeurent d’actualité ? Impossible réponse, d’autant que par ces temps de sournoise offensive conformiste, n’importe quel défi reste envisageable : l’audace prédatrice est à la mesure de la mollesse de l’autorité. Elle semble loin l‘époque (c‘était en 1975) où le Congrès réintégra Robert Lee dans ses prérogatives de citoyen américain. Il avait fallu attendre plus d’un siècle. On lui avait arraché sa carte d’identité de l’Union en 1861 pour lui coller une étiquette de rebelle qu’il conserva jusqu’en 1865. Et même après, dans la défaite… Formalisme mesquin : on n’a jamais pu lui faire perdre l’honneur.
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