« Le gang des rêves » est un livre monumental, tant par le nombre de pages, environ 700, que par la quantité d’histoires qu’il raconte et de personnages dont il suit les destins.
Le style fluide et captivant, presque cinématographique, en fait une lecture agréable, et les personnages, définis avec maîtrise et précision, vaudraient chacun un roman à part entière. Si de plus on considère la période et le lieu où le roman se déroule en partie, le New York des bas fonds au début du vingtième siècle, notre pensée va immédiatement à deux piliers du cinema et de la littérature: le film « Il était une fois en Amérique » de Sergio Leone, et le livre « Gangs of New York » de Hebert Asbury (d’où Scorsese tira son film homonyme, avec un résultat bien moindre).
Mais il ne faut pas penser à un simple roman historique centré sur le « rêve américain ». Ici, comme dans tous les bons romans, on va au-delà de la contingence. Ici on parle d’immigration, d’intégration, d’apartheid, d’identité, de déterminisme social, de délinquance, mais aussi des pionniers de la radio, du côté obscur de l’industrie cinématographique, et surtout d’amour: amour maternel et amour contrasté, véritable colonne vertébrale du roman.
Je ne vais pas vous raconter l’histoire, mais je voudrais m’attarder sur la valeur morale de ce beau livre. En ces temps compliqués et non moins terribles par rapport à ceux du passé (ni hélas à ceux qui nous attendent) on a tendance à oublier, par opportunisme ou ignorance, qu’il y a à peine une centaine d’années, nous étions nous, les européens, en particulier les italiens, dans l’inconfortable position de migrants.
Que l’accueil sur le sol américain ne fut pas si différent de celui qu’on offre maintenant aux « nouveaux derniers » sur le sol européen. Que nos émigrés ne furent pas tous des honnêtes travailleurs, mais qu’ils contribuèrent massivement à forger l’âme obscure de l’Amérique que nous connaissons. Que la plupart échoua et que les « derniers » au départ, restèrent les « derniers » à l’arrivée. Mais que dans une société nouvelle et pas encore sclérosée, qui avait les capacités pouvait y arriver, et cela malgré ses origines (à condition d’être blanc évidemment).
Pour tout cela le monde raconté dans ce roman n’est jamais décrit en noir et blanc, mais en beaucoup de nuances intermédiaires, et chaque personnage porte en soi du bon et du mauvais, comme certains gangsters au cœur qui bat enfoui sous la cendre.
« Je ne suis pas Italien, je suis Américain », est la phrase récurrente dans la bouche de Christmas, le personnage principal, qui peut-être représente au mieux le livre. En somme, Di Fulvio semble vouloir nous dire que seul celui qui saura se délivrer du lest de ses traumatismes, peurs et limites, hérités ou vécus, seul celui qui saura renaître à une nouvelle vie, sans oublier ni se faire accabler par le passé, pourra trouver sa place dans ce monde terrible et sans pitié.
Le Gang des Rêves, de Luca Di Fulvio, Slatkine, 23 €