Grossistes en prêt-à-porter dans le Sentier, sex-shops et coiffeurs africains à Saint-Denis, taxiphones et agences d’intérim gare du Nord… Une partie de l’est parisien souffre d’une mono-activité commerciale. Il suffit de se promener le long du boulevard de Strasbourg, de la gare de l’Est au boulevard de Bonne Nouvelle, pour s’en rendre compte. Les boutiques de coiffures africaines et les taxiphones s’enchaînent des deux côtés du trottoir. Autre exemple frappant pour les Parisiens et les touristes de passage dans la capitale: la succession de boutiques de prêt-à-porter à destination des professionnels rue d’Aboukir, dans le 2ème arrondissement.
Si cette concentration peut s’avérer bénéfique pour les affaires, regroupant ainsi toute l’activité d’un secteur sur un seul et même quartier, elle ne l’est pas pour les habitants qui se retrouvent sans commerces de proximité. Ils doivent parfois marcher plusieurs minutes pour trouver une simple boulangerie ou un cordonnier. Or, ces services font l’âme d’un quartier. “Les petits commerces apportent du lien social et du dynamisme”, soutient Olivia Polski, adjointe à la mairie de Paris chargé du commerce et de l’artisanat. Loin de se calmer, le phénomène s’amplifie. Rien de plus compréhensible pour un sex-shop de s’installer rue Saint-Denis afin de profiter de la clientèle déjà présente plutôt que dans un quartier où il sera isolé.
Préemption des locaux par la Semaest
La mairie de Paris tente depuis plusieurs années d’inverser la tendance et de ramener de la diversité dans les petits commerces. En 2004, elle a ainsi lancé un programme de lutte contre la mono-activité et la désertification commerciale. Baptisé Vital’quartier, il concerne aujourd’hui 11 quartiers parisiens (voir carte). Le principe est simple: lorsqu’un bail commercial est à vendre dans l’une de ses zones, la Semaest (société d’économie mixte d’aménagement de l’est parisien) peut préempter le local. Après l’avoir rénové et mis aux normes, elle fait un appel à candidatures. Ne pourront s’installer dans les lieux que des commerçants qui viennent combler un manque dans l’offre commerciale.
“Nous analysons les habitudes des habitants pour définir leurs besoins, explique Philippe Ducloux, vice-président de la Semaest et conseiller de Paris. Nous recevons entre 3 et 5 bonnes candidatures par emplacement et nous choisissons la plus solide et innovante”. Pour attirer les candidatures, la Semaest offre, en plus de locaux refaits à neuf, le droit de reprise commerciale et les trois premiers mois de loyers. “Je n’aurai pas pu m’offrir cette boutique sans cette aide”, avance clairement la créatrice de la marque Jamini, Usha Bora, dans son magasin rue du Château d’eau.
Dans le 10ème arrondissement de Paris, ce sont ainsi une quinzaine de pas de porte qui ont pu ouvrir depuis 2008. “Les habitants sont contents de voir que d’autres commerçants s’installent”, témoigne Marie Boudier, gérante d’un magasin de jouets dans la même rue depuis 2011.
Un quartier en voie de boboïsation?
Mais si les affaires semblent bien tourner pour ces deux femmes, ce n’est pas toujours évident d’attirer la clientèle. Le quartier a du mal à se défaire de sa réputation de zone commerciale bon marché. “Les gens ne viennent pas jusqu’ici pour acheter des sacs et des bijoux de créateurs français car ils ne savent même pas que ça existe”, déplore Véronique Sésini-Lecourt, gérante d’une boutique d’idées cadeaux et d’objets de créateurs rue du Faubourg Saint-Martin (10e arrdt). Or, les commerçants sélectionnés par la Semaest surfent presque tous sur le créneau du made in France et des produits du terroir, plutôt coûteux pour le portefeuille. “Vous savez le quartier change. Il se ‘boboïse’ si vous voulez, se défend Philippe Ducloux.
Autre critique du dispositif: le prix des loyers concédés. “L’aide au départ n’est pas négligeable mais comme les loyers sont légèrement plus élevés que ceux du marché, je ne m’y retrouve plus”, révèle Nacera Ben-Mouhoub de la librairie La plume vagabonde rue de Lancry. Elle préfèrerait donc contracter un emprunt pour acheter le local et avec les économies réalisées, embaucher un nouveau vendeur. “Notre but est de vendre le local aux commerçants”, rappelle le vice-président de la Semaest. 30% l’ont déjà fait sur les premiers périmètres de travail de la ville.
Ne pas retomber dans la mono-activité
Mais la Semaest reste vigilante. Il ne faudrait pas que ces locaux commerciaux retombent une fois qu’ils ne lui appartiennent plus dans les mêmes travers de la mono-activité. Car la pression financière reste importante. “Il y a une spéculation sur les prix”, regrette Rémi Féraud, maire du 10ème arrondissement. “En ce moment, je me bats avec le propriétaire d’un bail commercial dans la rue d’à côté. Il est prêt à céder son local à un coiffeur africain. C’est catastrophique car il y en a déjà partout!”, interpelle Véronique Sésini-Lecourt.
Pour éviter cela, la ville de Paris, la Semaest et la Caisse des dépôts ont monté une société foncière qui intervient sur le marché de l’immobilier commercial comme n’importe quel autre acteur. Fin 2013, elle a acheté à la Semaest 56 commerces encore fragiles économiquement ou stratégiques. Mais plus encore, c’est le décret d’application de la loi commerce, artisanat et TPE du 18 juin dernier qui est attendu comme le Messie. En voie de publication, il vise à créer un contrat de revitalisation artisanale et commerciale qui devrait faciliter le travail de redynamisation des quartiers à Paris mais aussi ailleurs en France.