Lu Ming, dessinateur de BD inconnu en Chine…

Son coup de crayon vaut de l’or… Les Français n’ont pas hésité à mettre la main sur la pépite. Le dessinateur chinois Lu Ming a raflé le Lion d’or à Cannes lors du festival international de la publicité en 2008. Sa BD, critique sur la société chinoise, est éditée en France. Et les organisateurs du festival BD de Bellegarde s’en sont emparés, lui offrant une résidence d’un mois. En revanche, aucune chance de trouver son album dans une libraire chinoise…

Vos dessins, réalisés pour les pubs Adidas des JO de Pékin, montrent une nation soudée derrière un athlète. Une image lissée du pays, n’est-ce pas en opposition avec votre BD ?
Sept à huit personnes ont réfléchi à ce dessin en Angleterre pour le compte d’Adidas. L’idée était de montrer la force de la Chine. Et vu de l’extérieur, la force de la Chine, c’est tout ce monde qui peuple le pays. Aussi, j’ai dessiné tous ces Chinois qui portent un athlète vers son but, un panier de basket ou un ballon. En une seule œuvre, on peut voir toute la Chine. Et surtout que toute une nation est derrière ses athlètes.

Dans votre BD, au contraire, trois jeunes se trouvent exclus de la Chine moderne… Pourquoi ?
Bien sûr, cette histoire se passe en Chine, mais elle pourrait s’appliquer partout dans le monde. Le but est de montrer ces jeunes générations, qui ont grandi dans une société où deux options s’offrent à eux : soit on suit la société et le courant, soit on cherche à trouver sa propre personnalité, sa propre pensée. Pour ou contre…

Les héros de votre BD sont trop rock’n’roll pour la Chine contemporaine, est-ce autobiographique ?
J’ai surtout voulu montrer comment les jeunes générations se révoltent, pour trouver leur place, affirmer une personnalité. C’est la période la plus “charmante” de la vie. Je ne suis pas croyant, mais arriver à croire à quelque chose, c’est très important. Si je dois m’identifier à un personnage, moi je suis vraiment le rebelle. (Rires) La libre-pensée, toujours.

Votre album “Hard Melody” n’est pas sorti en Chine. Dérange-t-il ?
Oui, je pense. Cet album ne correspond pas aux différents critères de la bande dessinée chinoise… Dans mon pays, on imagine encore que la BD est réservée aux enfants. Dans cet album, on montre la violence, les travers, et les excès de la société (sexe, drogue, alcool). Cela ne correspond pas aux critères des maisons d’édition chinoises.

Avez-vous le sentiment d’être censuré dans votre pays ?
(Un peu gêné). Je pense plutôt être en avance…

Comment vivez-vous ce décalage entre l’image du contestataire que vous avez en Chine, et l’intérêt qu’on vous porte ici ?
(Rires) Je suis très content d’avoir été primé en France. D’ailleurs, en rentrant en Chine, j’ai montré mes prix à tout le monde. Je suis le premier Chinois à avoir gagné cette récompense, donc ça m’a aidé à valoriser mon travail. Je suis payé double depuis ! Il est vrai qu’en Chine, je suis peut-être un voyou à Rhutong, dans le vieux quartier de Pékin, alors qu’en France, je suis un très bon dessinateur de BD. Si je vais aux États-Unis, je serais peut-être un super chanteur de rock’n’roll. C’est ainsi. Et je le vis très bien !

Votre trait est très noir, le détail et la rigueur des dessins rendent les images encore plus dures, pourquoi autant de violence et de noirceur ?
Oui, il y a beaucoup de violence, mais il faut regarder cela comme un documentaire, comme une vraie histoire de lumière. Il y a des lueurs au fil des pages. Même si elles sont petites, c’est cette notion d’espoir qu’il faut retenir.

Pourquoi avoir opté pour la BD, alors même que cet art était peu reconnu en Chine ?
Je faisais des peintures à l’huile au départ, mais je tenais vraiment à raconter une histoire à travers mes œuvres. La BD m’a permis d’allier les deux. Il faut savoir que dans ma mémoire, j’ai toujours dessiné, je dirais presque que je dessine depuis la naissance. C’est comme respirer, c’est une partie de moi.

De quel œil votre famille voit votre travail ?
Quand j’étais tout petit, mes parents aimaient bien me voir dessiner. Et puis une fois au collège, ils estimaient que le temps des peintures était fini, qu’il fallait que j’étudie. Alors ils m’interdisaient de dessiner. J’ai bien sûr continué. Au lycée, j’ai fait mes premières petites BD, que je vendais discrètement. Une fois, j’ai gagné plus que le salaire de mon père. Je le lui ai dit, alors il a fini par accepter que je dessine. Il s’est dit que ça pouvait être un métier. Aujourd’hui, mes parents sont fiers de montrer mon travail à tous leurs amis.

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Unknown-4Hard Melody (Mosquito)

Les trois membres d’un groupe de rock se retrouvent 12 ans après s’être séparés. Mus par leurs destins tourmentés, ils décident de reformer le groupe. Mais est-ce encore possible dans la Chine moderne ? Une critique sociale d’un somptueux réalisme.
L’histoire : En l’an 2000, ils sont trois jeunes à se présenter pour la première devant le public d’un festival rock, sur une scène de Pékin. Devant eux, un flot de spectateur qu’ils sont avides de contenter de leur musique. Le batteur Heizi, le bassiste Mu Jiadong sont présentés au micro par le leader-chanteur-guitariste, Zhang Xiaoxiao. En interviews, ils annoncent crânement qu’ils vont bouffer le monde. Pourtant, quand on les retrouve en 2006, ils sont séparés. Poussé par la volonté parentale, par la nécessité de se marier et de faire un enfant, Zhang a dû trouver de « vrais » métiers, dans l’immobilier et les petits boulots. Heizi a quant à lui loupé ses études, sombré dans l’alcool et déçu ses parents. Suite à une violente altercation avec un rival, une forme de rédemption lui a été imposée au sein de l’armée : affecté 3 ans aux frontières du pays, où il s’est endurci en affrontant le pire de l’humanité. Quant à Jiadong, il s’est lancé dans le commerce fringue, un marché qui l’a fait prospérer, qui l’a stressé, mais qui ne l’a pas contenté. Ils se retrouvent en 2012, à la terrasse d’un bar. Ils ont muri, ils ont grossi, les stigmates de leurs expériences se lisent sur leurs visages un tantinet bouffis et marqués. Bien qu’érodée par les années et le manque de pratique, leur soif de rock est néanmoins intacte. Ils décident de reformer le groupe. En auront-ils la possibilité ?

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En 2006, les éditions Xiao Pan publiaient Mélodie d’enfer, le premier récit en diptyque d’un auteur pékinois surdoué, Ming Lu. 13 ans après sa première publication en Chine, l’auteur revient avec les mêmes thématiques du rock et du destin infernal. De l’aveu même de l’auteur, l’intention narrative de Hard Melody s’est érigée au fur et à mesure qu’il en dessinait la centaine de pages en noir et blanc qui le composent. Débuté comme un clin d’œil à sa première série, Hard melody se met finalement à aborder un propos sociétal riche de sens, à la violence croissante. Si la narration de Lu Ming reste distante, évidemment en marge des canons franco-belges, son dessin est somptueux. Il utilise souvent de larges cases, d’une finition réaliste extrême – tel qu’on se croirait par moment face à un roman-photo – qu’il s’agisse de macro-plans sur les visages ou de larges scènes urbaines ou lyriques. Beaucoup de cases utilisent la pleine largeur des planches, voire de pleines pages, voire de doubles-pages. Par ce biais, les héros, trois jeunes rockeurs de l’an 2000, se présentent initialement avec une féroce volonté de bouffer le monde. Puis ils se retrouvent douze ans plus tard avec de lourdes désillusions en poche. La mentalité de la Chine d’après Mao, véritable bulldozer libéral sur le plan économique mais pas du tout social, a meurtri leurs ambitions créatrices. Les destins tourmentés et désabusés de ces trois adultes est à mettre au crédit de cette société chinoise fermée, sclérosée, qui donne le sentiment que les trajectoires de vies sont toutes tracées et accordent peu d’espace d’expressivité. Hard Melody se révèle ainsi comme un cri d’alarme désespéré, les prémices d’une nouvelle révolution culturelle ?

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