Par Alain Sanders
Stéphanie Baron, auteur de nombreux romans policiers mettant en scène Jane Austen, s’attaque cette fois-ci, avec Le Jardin blanc (NiL), qui est l’un des romans les plus intelligents de ces derniers mois, à un autre « monstre » de la littérature anglo-saxonne : Virginia Woolf.
Pourquoi Le Jardin blanc ? Parce qu’il s’agit du célèbre jardin du château de Sissinghurst dans le Kent, créé par l’amie de Virginia Woolf, Vita Sackville-West et son mari, Harold Nicolson, à partir de 1930. C’est, aujourd’hui, l’un des jardins les plus courus du monde (quelque 200 000 visiteurs par an), avec ses dix espaces fermés (1).
Et puis Virginia Woolf (1882-1941) dont les notices un peu rapides nous disent qu’elle fut écrivain, féministe (ce qui est largement discutable, mais bon…), figurante un peu scandaleuse de la société littéraire londonienne, membre du Bloomsbury Group (2). Un groupe qui contribua sans doute à précipiter les dépressions à répétition d’une jeune femme fragile : officiellement, elle s’est suicidée en se jetant dans une rivière le 28 mars 1941.
Et c’est là que Stephanie Baron entre en scène en posant la question : « Et si Virginia Woolf ne s’était pas suicidée le 28 mars 1941 ? » Et même : « Qui a tué Virginia Woolf ? »
En octobre 2008, une jeune paysagiste américaine, Jo Bellamy, arrive au château de Sissinghurst (à 40 km au sud-ouest de Canterbury) pour étudier le Jardin blanc : dans le but de le reproduire quasiment à l’identique pour de riches clients new-yorkais, les Westlake. Une commande professionnellement importante, bien sûr, mais aussi émotionnellement chargée : peu de temps après qu’elle eut annoncé à son grand-père, Jock Bellamy, qu’elle allait travailler à Sissinghurst, ce dernier s’est suicidé. En laissant un message incompréhensible. Sinon que Jo sait que son grand-père, tout jeune homme, avait travaillé au Jardin blanc comme apprenti jardinier avant d’émigrer aux Etats-Unis.
Le mystère s’épaissit encore quand la jeune fille, farfouillant dans les archives des jardiniers de la propriété, tombe par hasard sur un journal intime intitulé Livre de Jock… En le déchiffrant, elle acquiert vite la conviction que ce texte a été écrit par Virginia Woolf. Seul problème – et de taille – ce journal commence le lendemain du 28 mars 1941, date à laquelle, selon la version officielle, Virginia Woolf s’est jetée dans l’Ouse, les poches pleines de grosses pierres pour accélérer la noyade.
« Empruntant » ce document – explosif à tous égards – Jo décide de le faire expertiser chez Sotheby’s. Elle y rencontre un expert, Peter Llewellyn et, bientôt, l’ex-épouse de ce dernier, la sulfureuse Margot Strand, professeur à Oxford et grande prêtresse de l’œuvre de Virginia Woolf.
Commence alors, d’Oxford à Cambridge, de demeures historiques (celles des Woolf et des Sackville-West) en bibliothèques légendaires, une palpitante enquête avec, pour Jo, cette lancinante question : et si Virginia Woolf n’était morte qu’après le 28 mars 1941 ? Et si on l’avait tuée et camouflé son meurtre en suicide ?
Une enquête d’autant plus difficile que le journal – à la valeur inestimable s’il est vraiment de la main de Virginia Woolf – est dérobé à Jo et à son expert londonien…
L’un des romans les plus intelligents de ces derniers mois, disions-nous plus haut. Et un formidable jeu littéraire pétri de références, fourmillant de dits et de non-dits. Une chose est sûre : après avoir lu Le Jardin blanc, on lira Virginia Woolf d’un autre œil. Et on sera durablement suspicieux quant à son suicide supposé…
(1) Le jardin aux roses, le passage des tilleuls, le jardin paysan, le petit canal et la noiseraie, etc.
(2) Un noyau d’intellos, parfois déjantés, voire dépravés qui se réunissaient chez Virginia Woolf au 46, Gordon Square dans Bloomsbury à Londres.