Un de ces soirs, je revenais un peu tard d’une longue promenade et comme j’habite le centre, il me faut, bien que j’y rechigne, traverser une rue marchande encore illuminée et populeuse pour l’heure, croulant sous les décorations. Nous sommes peu de temps avant Noël, j’ai déjà fait mes modestes emplettes, je ne prévois plus guère que de me rendre à la messe du 25 au matin, celle qui n’attire personne. Mais j’étais distrait et mon œil se portait tour à tour sur différents objets, jusqu’à ce que je tombe sur une publicité, affichée dans la vitrine d’un commerce de prêt-à-porter.
Elle représentait un groupe d’enfants, dans un décor quelconque, posant dans des attitudes confondantes par leur peu de naturel. Ils étaient vêtus d’oripeaux aussi coûteux que fastueux, impensables il y a encore un peu plus de cinquante ans. Je me suis donc mis à me faire des réflexions, le temps d’achever le trajet jusqu’à mon domicile. Je dois dire que j’ai toujours été désagréablement frappé par ces couples modernes qui griment leur progéniture avec le même excès de coquetterie dont ils font preuve pour eux-mêmes, les arrangeant à leur goût par des colifichets, des accessoires. Sans recourir aux souvenirs de ma propre enfance, il suffit d’avoir vu des photos du siècle dernier pour voir que la mode enfantine est une manie récente.
Après avoir fait dans les années 60 de la « ménagère » une consommatrice chevronnée – le mari cessant, dès lors, de tenir traditionnellement les cordons de la bourse -, il est devenu nécessaire, pour entretenir le rythme frénétique de la production économique, de faire du dernier maillon de la chaîne familiale un sujet et objet de consommation à son tour. Alors, non seulement toute une industrie des besoins de l’enfance s’est mise sur pied, au nom du soi-disant « développement » de l’enfant, mais elle s’est imposée d’une façon obscène en livrant l’enfance à des préoccupations indignes d’elle. Quel détournement cruellement ironique de ce que devrait représenter une fête chrétienne célébrant la naissance du Sauveur des hommes! Les listes de cadeaux qu’on fait faire à partir des catalogues de grands magasins dans les écoles publiques en sont un exemple à mes yeux assez significatifs.
C’est à ce moment de mes considérations que je me suis retrouvé devant ma porte, et qu’elles ont commencé à passer à l’arrière-plan. Je me suis soudain demandé, bardé de mes leçons de morale, quel cadeau j’avais choisi, de mon côté, pour mon petit neveu : une panoplie de super-héros, une boîte de pastels et une ribambelle de bonbons. J’étais bien comme les autres.
Jean-Baptiste Bouklièt – Boulevard Voltaire