L’annonce est passée à l’as ou presque. Quelques entrefilets (de flétan) dans les quotidiens, au mieux une colonne : la toute puissante FDA, l’agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux, donnait voilà peu son feu vert à la commercialisation du premier saumon transgénique jamais produit, faisant de celui que les détracteurs ont illico baptisé Frankenfish, le premier poisson OGM autorisé pour l’alimentation humaine. Qui plus est, inoffensif. Ah bon, on en sait quoi ? Devraient suivre les poulets sans ailes et les cochons sans groin. Baptisé AquAdvantage, ce transsaumon est un saumon d’Atlantique fourré d’un gène issu d’un saumon Chinook ou saumon royal du Pacifique, avec croissance méga-turbo à la clé. Rien que des femelles stériles et pas d’étiquetage obligé à la vente. On imagine la fiesta chez Auchan. Du coup, ça coince un max chez les défenseurs du bio. Les chaînes de supermarchés Trader’s Joe et Whole Food ont déjà hurlé au boycott mais Gwyneth Paltrow est restée coite.
(…) Ce Frankenfish n’est pas un cas isolé : il rejoint juste ce qu’il est désormais convenu d’appeler la Frankenfood. Référence à Frankenstein évidente. Cette Frankenfood agite, inquiète, panique une grosse frange de consommateurs qui a même dressé le Top 20 du genre où figurent les tomates, l’alfalfa, les crèmes glacées, la papaye de Hawaï, la betterave rouge, le lait ou encore les saucisses. Ça réduit la liste des commissions et ça flanque la petoche. D’autant que le bœuf cartonne dans les charts de la Frankenfood. Un boeuf nourri-gavé à l’alfalfa et au soja, et pas celui massé à la bière et bouchonné au foin parfumé à la bergamote. Il existe même un bœuf encore plus frankenfoodé : celui dont quelques cellules de vache permettent de produire dix tonnes de barbaque.
(…) Préoccupée, la Commission Européenne préfère jouer une autre carte en autorisant l’introduction d’aliments traditionnels exogènes qu’elle a choisis d’appeler Novel Food. Comprendre le yuzu, les graines de goji, l’extrait de baobab et quelque 90 autres denrées exotiques, mangés, consommés, digérés sans danger sous d’autres cieux extra-européens.
(…) En France, le Fooding qui se fâche tout rouge à cause d’une réclame pour le surgéliste Picard qui a osé user du mot fooding, glorifie la Frankenfood sans le savoir. Car la chose possède un double-sens : celui évoqué plus haut, et celui qui englobe les recettes hybridantes comme le ramen-burger ou le spam-sushi. Le spam est ici une sorte de corned-beef en conserve genre Simmental, qui, tranché, remplace le thon rouge sur les bouchées de riz.
(…) Sinon, sans le savoir, on consomme de la Frankenfood à gogo. La faute aux nanoparticules. Vous avez remarqué que le ketchup sort plus facilement du tube qu’avant ? Nanoparticule. Que la crème versée dans le café lui donnait une jolie couleur parfumée ? Nanoparticule. Y’en a partout. À la lumière de ce saumon panaméen OGM, futur envahisseur, on se dit que Pamela Anderson ferait bien de changer de combat. Une oie dotée d’une laiterie moderne à encombrement variable pour défendre d’autres oies, est-ce vraiment sérieux ? Dans le genre Frankengirl, ça se pose là, non ? Saumons le foie gras français !