Non content d’une hyper-visibilité et d’une cote renforcée en captant le prestige du patrimoine historique, Anish Kapoor veut Versailles et l’argent de Versailles : « J’en ai assez de faire des cadeaux à la France. La prochaine fois qu’on voudra m’inviter, il faudra avoir l’argent et ne pas demander que je le trouve moi-même. »
Cela s’appelle de la morgue, une caractéristique des courtisans, jamais contents des fastes de la cour… Rappelons à la diva Kapoor qu’en France certains hôpitaux disposent des matelas par terre…
Ce Britannique d’origine indienne » né en 1954, annonçait « une exposition sur mesure, inspirée par la grandeur et l’histoire des jardins de Versailles ». Dès le JDD du 31 mai, l’artiste déclare : « Je me suis permis une incursion à l’intérieur, dans la salle du Jeu de Paume, là d’où est partie la Révolution française, (…). Face au tableau de David, j’ai placé un canon qui tire 5 kg de cire, une matière évoquant des corps en bouillie (…). Un symbole phallique évident pour une installation controversée qui interroge sur la violence de notre société. »
Notez que son expo n’est pas encore ouverte (elle commence le 9 juin), que c’est un des premiers papiers qui paraît, et Kapoor signale déjà qu’elle est controversée : bizarre ? Explication : la controverse participe de la fabrication de la cote. La provoc aussi, bien sûr, et Kapoor pour ne pas rater le coche en remet une couche : « Face au château, il y aura une mystérieuse sculpture en acier rouillé de 10 m de haut, qui pèse plusieurs milliers de tonnes et avec des blocs de pierres tout autour. Là encore, à connotation sexuelle : le vagin de la reine qui prend le pouvoir. » Re-sic…
Difficile de retenir ses zygomatiques, surtout après l’affaire du Plug anal de la Place Vendôme. Nos élites auraient-elles décidé de transformer Versailles en grand « Lupanart » ? La pauvre Joana Vasconcelos, qui a vu son lustre monumental composé de centaines de tampons hygiéniques recalé par la prude Mme Pégard, doit être furibarde. L’AC, l’art dit contemporain, officiel et financier, est donc sexiste et discriminant : de la provoc, oui, mais mâââle !
On aurait aimé que les Inrocks enfourchent ce cheval de bataille, mais non, ils ont préféré titrer : « Anish Kapoor : pourquoi la fachosphère s’en prend-elle à un vagin géant ? » Diable, vous n’aimez pas Anish ? Tremblez, braves gens : vous contribuez au retour des heures sombres de notre histoire. Difficile de ne pas contracter les zygomatiques à nouveau, non ?
Les Inrocks notent l’ « indécidable ambiguïté entre abstraction et résonances corporelles » qui caractérise l’art de Kapoor. Certes, mais le journal en profite pour faire la morale au lecteur : l’œuvre de Kapoor ? « Libre à chacun d’y voir ce qu’il veut », mais si vous y voyez du sexe, sachez que c’est vous l’obsédé. Et n’allez pas répondre bêtement « Mais c’est Anish lui-même qui le dit : c’est sexuel ! ». C’est que vous n’avez pas compris que le grand danger qui guette Versailles est « la cristallisation des enjeux identitaires ». Et alors… Julia Kristeva est arrivée pour célébrer la raison d’être de l’Art très contemporain, l’AC, en ces lieux :
« Pour que la fameuse “identité” ne soit pas un épouvantail au service des fondamentalistes, mais demeure “un grand point d’interrogation”, une inlassable mise en question. »
En fait, il faudrait écrire « poing d’interrogation » et cette méthode de neutralisation rappelle un proverbe chinois : Celui qui se pose une question à chaque fois qu’il doit avancer risque fort de passer toute sa vie sur un pied. Bref, l’AC, ça vous dézingue une identité, pire que le principe d’incertitude d’Heisenberg !
Mais obéissons aux Inrocks et à Madame Kristeva : l’AC sert à poser des questions ? En voici une, celle que les provocs et allusions salaces ont pour mission d’occulter. Sur le site du Château de Versailles figure une jolie photo prise en janvier 2015 lors d’une visite des jardins. On y voit Catherine Pégard (présidente du Château de Versailles), Anish Kapoor et Alfred Pacquement (commissaire de l’exposition) et… Kamel Mennour, galeriste parisien d’Anish Kapoor et de Lee Ufan qui avait déjà eu Versailles pour terrain de jeu (financier) l’an passé – de même que Kapoor avait eu le Grand Palais pour lui tout seul en 2011 lors de Monumenta. Il y avait présenté Leviathan, que d’aucun interprétait comme « un monde utérin » (je ne m’y risquerai pas : la police de la pensée veille). Or – quelle coïncidence ! – Kamel Mennour est aussi le galeriste de Huang Yong Ping, qui œuvrera au Grand Palais pour le Monumenta de 2016…
Avant que les questions qui fâchent ne soient qualifiées de « fascistes », demandons : Pourquoi ce sont toujours les mêmes qui passent à la caisse ? Qui décide et sur quels critères ? Y a-t-il dans la démocratie française quelqu’un pour répondre ?
Christine Sourgins, historienne de l’art – Polémia