Zénifiant, mémériser, glamouriser, selfie, crudivore, déconnade… Des centaines de nouveaux termes intègrent chaque année les célèbres dictionnaires. N’obéissent-ils pas à la mode?
Le Petit Robert 2016 paraît le 21 mai et Le Petit Larousse sera en librairie le 28 mai. Comme chaque année, les dictionnaires de la langue française se mettent à jour en ajoutant de multiples noms communs et noms propres, mais aussi de nouvelles expressions. Chacune de ces encyclopédies va s’enrichir d’une centaine de nouveaux termes. Il y a, bien sûr, une raison commerciale à ce florilège de néologismes: comment justifier l’achat d’un nouveau dictionnaire s’il ne change pas d’une année sur l’autre? On ne les voit pas sur le palmarès des meilleures ventes, mais Le Petit Larousse et Le Petit Robert atteignent à eux deux le million d’exemplaires.
Ces dictionnaires se veulent aussi le reflet de leur société, parfois même de l’actualité (c’est sans doute pourquoi Le Robert admet désormais le terme de «zadiste»). Ils suivent aussi une tendance, comme, par exemple la féminisation des noms. Au sein de ces rédactions du Larousse et du Robert qui se penchent chaque année, comme dans un conseil d’administration, sur l’utilité ou non d’intégrer un nouveau mot, on nous a affirmé que c’est suivre l’usage que de féminiser car il faut tenir compte du fait que de plus en plus de femmes accèdent aux postes traditionnellement tenus par des hommes. Tous deux utilisent ce qu’ils appellent une «banque de mots» tirés des journaux ou des livres, et leurs choix sont guidés par les relevés d’occurrences engrangés par leur observatoire de la langue française contemporaine.
La nouvelle édition du Petit Larousse déjà forte de 80.000 mots en intègre 150 nouveaux. Ainsi, la tendance est aux mots culinaires et gastronomiques avec un fort accent porté sur l’environnement. Crudivore est à la fois un nom et un adjectif («se dit d’une pratique alimentaire consistant à ne consommer, en principe, que des aliments crus»). Bistronomie, nom féminin issu de bistrot et de gastronomie, est défini précisément: cuisine raffinée et inventive, de type gastronomique servie dans un restaurant simple, non étoilé. Cuisine moléculaire entre dans Le Petit Larousse 2016 comme végan ou vegan, adjectif ou nom invariable relatif au véganisme. La tomate au joli nom de cœur-de-bœuf a gagné ses galons (au pluriel, on écrira cœurs-de-bœuf)
Côté médecine, électrosensibilité est, visiblement, le mal du siècle, puisque ce sont des troubles liés aux ondes. Ce domaine qui fournit beaucoup de nouveaux mots impose ainsi: algologie, arthroscanner, génériquable (de générique, bien sûr), histocompatibilité ; on vous en donne la définition: «système d’identification (reconnaissance du soi) entre les protéines dites de surface, situées sur la membrane des cellules, et les lymphocytes. Ce système est responsable des réactions de rejet des greffes». On pourra également écrire palper-rouler, sans risque de commettre une faute.
L’enseignement et la psychologie produisent aussi leur lot de termes nouveaux: capitaliser et MOOC (cours en ligne), clivant, surréagir et zénifiant («qui calme, apaise»), glamouriser, rétropédaler… «Avoir le melon» est enfin à l’honneur, car la définition, populaire, est désormais admise: (fam) être prétentieux, imbu de soi-même; avoir la grosse tête.
Le Web et le mobile ne pouvaient pas être absents: community manager et selfie sont admis. Pour selfie, on préfère la définition québécoise: egoportrait. La francophonie est une terre de néologismes. Ainsi, avec le Larousse 2016, on peut chneuquer, c’est-à-dire chercher avec insistance ou indiscrétion pour découvrir des choses cachées… Ou siester, ou réciproquer… La spiritualité n’est pas en reste: Le Petit Larousse intègre dosha (du sanskrit ce qui altère) et shakti (toujours du sankrit énergie, puissance, pouvoir).
Côté musique, cinéma, on peut désormais fictionniser tout comme dire microfiction. La vie quotidienne est présente: dézonage est entré dans le dictionnaire, il concerne aussi bien les transports que la lecture des DVD. Atomiser aussi et même, tenez-vous bien: mémériser ou se mémériser (donner ou se donner une allure de mémère à une femme, la ou se vieillir). Étonnament, il n’y a pas d’équivalent masculin comme si l’on ne pouvait pas «pépériser». Dédiabolisation est désormais admis.
Quant au Petit Robert, il ne veut pas passer pour une baltringue, expression familière qui figure parmi les nouveaux arrivants, avec Big data. Peut-être cherche-t-il à se réenchanter à l’approche de son cinquantième anniversaire? L’environnement, tout le monde en parle, il en hystérise même certains! Ce qui est sûr, c’est que le domaine de l’environnement, comme chez Le Petit Larousse, est à l’honneur; les zadistes et leurs ZAD font leur entrée aux côtés des mots respectueux de l’environnement tels écoconduite, écoblanchiment ou encore agroécologie (une agriculture qui respecte l’environnement).
Les amateurs de gastronomie, eux, pourront puiser dans un répertoire toujours plus vaste avec l’arrivée du butternut (une variété de courge en forme de poire), du cari (mélange d’épices utilisé dans la cuisine réunionnaise et mauricienne) ou encore du wakamé (algue marine utilisée dans la cuisine asiatique). Les grignoteurs d’insectes se régaleront aussi de l’arrivée d’entomophagie dans le célèbre dictionnaire.
Le Petit Robert n’échappe pas au flot de mots nouveaux en lien avec la technologie. C’est le Web, et toutes les terminaisons qui vont avec, qui possèderont dorénavant leur place, avec notamment le webdesign. Le tout, accompagné des cybercrimes ou encore du cybersexe.
En adoptant le mot adulescents («jeunes adultes dont le comportement rappelle celui des adolescents»), Le Petit Robert se met vraiment à la page. Ces adulescents qui feuilletteront le dictionnaire pourront dire «finie la déconnade!», sans paraître vulgaires.
Intégrer des centaines de mots nouveaux chaque année? Le fameux Dictionnaire de l’Académie française ne travaille pas de cette manière-là. Ce dictionnaire élaboré, chaque jeudi, sous la Coupole par les immortels depuis 1638 n’en est qu’à la lettre «R» et recense 35.000 termes environ quand les deux «Petit» en rassemblent plus du double. «La confection d’un dictionnaire, surtout quand il doit être de référence pour des centaines de millions d’usagers d’une langue de par le monde, est une marche de longue haleine, où chaque pas rencontre une embûche, une rigole, un caillou. La langue, comme la mer, toujours recommencée…», écrivait Maurice Druon, dans l’avant-propos de la neuvième édition du Dictionnaire de l’Académie française. Le même moquait la frénésie des nouveaux mots des encyclopédistes contemporains: «Le langage subit des modes saisonnières. Des expressions nées de la dernière pluie s’en iront avec la sécheresse suivante.» À l’Académie française, pour qu’un nouveau nom ait une chance d’être retenu, il faut qu’il ait fait ses preuves dans la durée.
Lu dans le Figaro