“Nous avons une ancienne amitié avec le Liban, il m’est apparu nécessaire de rencontrer le chef de l’État .”

Dans un entretien accordé dimanche à « L’Orient-Le Jour », la présidente du Front national et candidate à l’élection présidentielle française, Marine Le Pen, a adopté une position équivoque concernant son projet – qui intéresse des milliers de Libanais – portant sur la suppression de la double nationalité. Elle a en outre fait fi du ressentiment d’une grande partie des Libanais à l’égard du régime Assad – du fait des trente ans d’occupation et des assassinats de 2005 – en réaffirmant son appui à Bachar el-Assad.

C’est la première fois que vous rencontrez un chef d’État en exercice dans le cadre d’un déplacement à l’étranger. Pourquoi cela a été cette fois possible au Liban et pas ailleurs ?

D’abord je pense que mon mouvement est aujourd’hui le premier parti de France. Nous avons une ancienne amitié avec le Liban et à l’occasion de l’élection du président Aoun, il m’est apparu nécessaire de faire ce voyage pour rencontrer le chef de l’État au Liban.
Je crois que le Liban et la France ont un lien particulier, qui s’est distendu ces dernières années et que j’entends renforcer de manière importante. D’abord, autour de la francophonie, qui est notre bien commun et une autoroute culturelle et économique qu’il nous faut rouvrir.
Ensuite, autour d’une vision géopolitique, puisque la France n’est plus et doit redevenir une grande puissance facteur d’équilibre, notamment entre les États-Unis et la Russie ; et que le Liban est lui-même un pays facteur d’équilibre, tant par son histoire que par sa capacité à permettre à chacune des religions d’avoir sa place dans le processus de gestion du pays. Cela a été rendu possible par l’attachement fondamental des Libanais au Liban, qui prévaut sur l’identité religieuse. En cela, je crois que c’est un modèle qu’il serait peut-être bon d’exporter. Un modèle de patriotisme pour lequel nous plaidons depuis des années et qui est tout le contraire d’une démarche communautariste de type anglo-saxon, dont le summum est la Grande-Bretagne qui a autorisé des tribunaux islamiques à régir les divorces entre Britanniques.

Justement, au Liban, le droit des personnes et de la famille, comme le système politique, sont régis par les communautés. Est-ce ce modèle que vous voulez « exporter » ?
Quand je dis exporter, cela ne veut pas dire que je veux exporter le modèle libanais en France. Chaque pays a son histoire et je ne cherche pas non plus à imposer le modèle français car la laïcité est un concept que bien souvent les autres pays ont du mal à percevoir. Mais je crois que ce qui nous relie, c’est l’attachement au patriotisme comme un antidote contre les conflits et que c’est un modèle qui, dans la région, permettrait de préserver l’intégralité des religions et des minorités qui, aujourd’hui, sont fortement attaquées.

Vous ne voulez pas de ce modèle communautariste pour la France mais vous considérez qu’il est bon pour le Liban…
Je ne crois pas qu’il y ait du communautarisme au Liban. À partir du moment où les Libanais se sentent Libanais avant tout, alors ce n’est pas du communautarisme.

S’agissant de la crise des réfugiés que subit le Liban, comptez-vous maintenir ou renforcer l’engagement de la France, suite à la Conférence de Londres de février 2016, d’allouer 100 millions d’euros de dons au Liban pour 2016-2018 ?
Oui, je maintiendrai évidemment cette enveloppe. Quant à l’augmenter, on verra si c’est nécessaire. Mais je tiens à signaler que dès le départ de cette crise humanitaire, j’ai été la seule – même si je suis maintenant rejointe par l’Union européenne – à dire qu’accepter que les migrants arrivent en Europe est une erreur majeure. La communauté internationale aurait pu dès le départ mettre en place et financer des campements humanitaires, en Syrie ou dans les pays limitrophes, sous la responsabilité du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, pour pouvoir maintenir au plus près les populations déplacées.

Le Liban accueille aujourd’hui entre 1 et 1,5 million de réfugiés syriens tandis que la France s’est engagée à en accueillir 3 000 en 2016 et 2017, est-ce normal ?
Il est tout à fait légitime, lorsqu’il y a une crise, que son règlement soit régional. Si demain il y avait un problème majeur, comme une catastrophe naturelle en Allemagne, je ne pense pas que les Allemands viendraient au Liban !
Cela dit, ce qui n’est surtout pas normal, c’est que le Liban soit obligé d’aller pleurer pour obtenir une aide de la communauté internationale. Mais l’objectif de tout le monde c’est quand même que les Syriens rentrent dans leur pays…

Une grande partie ne rentrera pas tant que Bachar el-Assad restera au pouvoir…
Qui ne va pas rentrer ? C’est sûr que si vous conservez les fondamentalistes islamistes et que vous laissez les autres rentrer en Syrie, vous allez avoir de sacrés problèmes dans les années qui viennent !
Mais le Liban n’est pas obligé de subir, il peut légitimement reconduire les réfugiés dans leur pays d’origine, une fois la guerre terminée.

Vous avez tenu à rencontrer de nombreuses personnalités politiques et religieuses durant votre passage à Beyrouth, notamment le patriarche maronite et le mufti de la République. Est-ce que vous adresserez le même message à toutes les parties ?
Évidemment, je n’ai absolument aucune raison de rencontrer les uns et pas les autres. Mais je rappellerai bien sûr au cours de ma visite le rôle absolument essentiel de la France dans la protection des chrétiens d’Orient car c’est un rôle historique qu’il n’est pas question d’abandonner.

Vous pensez que la France a abandonné ce rôle ?
En partie oui. Quand Nicolas Sarkozy a dit aux chrétiens d’Orient : « Il va falloir partir de chez vous pour venir être des réfugiés en Europe », je crois qu’il n’a rien compris à leurs aspirations et n’a rien compris à ce qu’est le Liban. Tant Jacques Chirac, avec qui j’avais beaucoup de désaccords, que François Mitterrand avaient préservé ce lien historique entre la France et le Liban. Mon combat est que les chrétiens restent dans leur pays.

Comment concilier cette volonté de protection des chrétiens d’Orient avec votre appui au régime syrien, qui a fait subir aux chrétiens du Liban de nombreux torts, notamment via des assassinats politiques contre leurs dirigeants ?
La difficulté d’une guerre, c’est d’arriver à l’arrêter. Si la France et l’Allemagne sont arrivées à faire la paix, je pense que le Liban et la Syrie sont capables de faire la paix. Et je pense qu’il est possible de faire la paix précisément dans la lutte contre un ennemi commun. Cet ennemi commun c’est incontestablement l’État islamique (EI). C’est cet ennemi qui peut permettre de mettre autour de la table la Russie, le Liban, les États-Unis, la France… J’ai dit dès le début du conflit syrien, et j’étais la seule à l’époque, que contribuer à la chute de Bachar el-Assad c’est permettre à l’EI de gouverner la Syrie.

L’EI n’existait pas au début du conflit syrien…
Vous avez raison, c’est grâce aux États-Unis qu’il est né en Irak. En Syrie, je pense que ceux qui ont misé sur une opposition modérée qui n’était pas liée aux fondamentalistes islamistes ont bien dû constater que cette opposition, si elle existe, était dérisoire et ne pouvait constituer une alternative à Bachar el-Assad. En géopolitique, il faut souvent faire le choix du moins pire, et pour moi le moins pire c’est Bachar el-Assad. Je suis Française et je considère qu’il n’était pas un danger pour la France.

Si vous êtes élue, est-ce que vous normaliserez les relations entre la France et le régime syrien ? Notamment par une réouverture de l’ambassade française en Syrie et une rencontre avec Bachar el-Assad ?
Oui bien sûr. Parce que je veux que tout le monde soit autour de la table. Je pense que la France a commis une erreur majeure en rompant les relations avec la Syrie car la rupture des relations avec la Syrie a entraîné la rupture de la relation entre les services de renseignements français et syriens. Ceci nous a rendu aveugles au danger qui pesait sur nous. Je ne suis pas là pour donner des leçons de morale, il y en a bien d’autres qui le font à ma place. Je suis là pour défendre l’intérêt des Français.

Cette défense peut-elle impliquer une intervention militaire, à l’instar de ce que la Russie a fait, en coopération avec Damas ?
La Russie a été amenée à intervenir militairement, précisément parce qu’en amont, un certain nombre de nations avaient fait en sorte d’affaiblir Bachar el-Assad, le seul qui était capable de faire face aux fondamentalistes islamistes. C’est un effet domino.

Face à la même situation, la France ferait la même chose que la Russie pendant votre présidence ?
Si j’avais été à la tête de l’État au moment du déclenchement de la guerre en Syrie, j’aurais apporté mon soutien à Bachar el-Assad contre les fondamentalistes islamistes mais pas en intervenant au sol. À chaque fois que nous nous sommes mêlés des conflits des autres, cela a tourné à la catastrophe. Je pense que la France ne doit intervenir que si le gouvernement vous le demande.

Bachar el-Assad reste, selon vous, le meilleur partenaire pour lutter contre l’EI, alors que ses alliés et lui ont privilégié la lutte contre les rebelles syriens à la lutte contre l’EI ? Comme en témoigne la reprise de Palmyre par ce groupe au moment de l’offensive d’Alep …
Je ne suis pas là pour me mettre à la place de Bachar el-Assad pour savoir s’il eut fallu aller à Palmyre plutôt que d’aller à Alep. Je n’ai vraiment pas les éléments en main pour vous le dire. Ce dont je ne doute pas, c’est de la volonté d’Assad de lutter contre l’EI.

Cela n’a jamais fait aucun doute pour vous ?
Non cela n’a jamais fait aucun doute.

L’islam radical inclut-il le Hezbollah ?
Je n’ai pas de relation particulière avec le Hezbollah, et je n’ai jamais rencontré ses membres. Vous me parlez de cela comme si c’étaient mes meilleurs amis. Les choses sont claires : je rencontrerais des députés de tous bords et de l’ensemble de l’éventail politique au Liban, mais je n’ai pas de lien particulier avec tel ou tel.

Une mesure de votre programme fait beaucoup de bruit au Liban. Vous souhaitez supprimer la double nationalité extra-européenne. Comment expliquez-vous aux dizaines de milliers de Franco-Libanais qu’ils devront choisir entre leurs citoyennetés ?
D’abord la question que l’on va se poser c’est celle de la rétroactivité de cette mesure. C’est une réflexion que nous avons et qui n’est pas encore tranchée. Cela veut dire que ça ne se mettrait en œuvre que pour ceux qui acquerraient la double nationalité.
Je souhaite la clarification des conditions d’acquisition de la nationalité française. Il y a un certain nombre de pays qui ont des binationaux avec la France dont la possession de cette double nationalité ne pose pas de difficultés, d’autres posent plus de difficultés…

Y aura-t-il des exceptions ?
En l’état, non. Mais il peut y avoir demain des accords bilatéraux avec un certain nombre de pays. Rien ne l’interdit. Je n’ai pas une vision braquée là-dessus…

Ces exceptions éventuelles pourraient-elles reposer sur d’autres critères que la nationalité ?
Il n’y aura pas de considérations religieuses si c’est cela que vous voulez dire…
Cela étant, je rappelle que par principe je pense qu’on ne peut avoir en réalité qu’une seule nationalité, qu’une seule sujétion, parce qu’on a une nation.

Les Franco-Libanais ont pourtant l’impression que leurs deux identités sont intimement liées…
Les Libanais ont une relation à la double nationalité qui est une relation d’inquiétude. S’ils sont si attachés à la double nationalité avec la France c’est parce qu’ils craignent toujours le retour de la guerre.

Cette visite est-elle aussi l’occasion de chercher des fonds pour vos campagnes présidentielles et législatives auprès de donateurs ou de banques libanaises ?
Je n’ai pas de sponsors libanais. Je ne viens pas les chercher non plus. Mais si des banques libanaises veulent me prêter de l’argent pour mon élection présidentielle, ils ont tout intérêt à le faire dans l’intérêt du développement du Liban !

 

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