Elles ressemblent à des poupées désarticulées. Dirigé par le photographe et directeur artistique français Fabien Baron pour le numéro d’octobre du magazine américain Interview, le shooting de mode montre des femmes étendues sur le sol encrassé d’une allée sombre ou affalées sur une table. Mimant l’inconscience, les mannequins apparaissent entourées de bouteilles d’alcool et de déchets dans de petites robes transparentes relevées sur leurs cuisses et collants filés.
Cette série photo au nom évocateur – « Pretty Wasted », qui pourrait se traduire par « sacrément dévastée » ou « Jolie et bourrée » – a immédiatement été accusée d’esthétiser une situation de détresse en même temps qu’elle sexualise les corps inanimés de ces femmes. Le site Fashion Scans Remastered a publié les clichés avec ce commentaire : « Pour être honnête, j’ai du mal à savoir si cette ligne éditoriale est supposée être dérangeante et sombre, ironique et arty, ou juste complètement attardée. » Ces images sont « franchement dérangeantes », pour le top Rebecca Pearson, qui s’exprime dans le quotidien anglais The Telegraph. Une journaliste du Huffington Post déplore, quant à elle, « une glamourisation » malsaine de l’alcoolisme. « [Le magazine] nous laisse désemparée et nous met mal à l’aide plus qu’autre chose », ajoute-t-elle. Interrogée par Yahoo Style, la professeure en communication Marcia Dawkins y voit une mise en scène malheureuse qui tente de rendre « sexy » des femmes ivres ou droguées. « Ces photos ne font pas que taire leur voix et leur conscience, elles leur retirent également toute possibilité de consentir ou non à ce qui pourrait suivre », explique-t-elle.
D’autres séries photos récentes ont été accusées d’esthétiser des situations de violences. En août, celle du photographe de mode indien Raj Shetye a choqué par sa scénographie rappelant le viol collectif qu’a subi une étudiante dans un bus de New Delhi. Cette année encore, le Vogue italien a publié une série stylisée version film d’horreur représentant des femmes fuyant leurs tortionnaires, sous couvert de dénonciation des violences domestiques.
Le procédé peut tout simplement viser à faire parler de soi, comme l’explique Virginie Sassoon, docteure en sciences de l’information et de la communication. « Une campagne polémique est une vraie arme marketing. C’est la tendance du “bad buzz”. Sous couvert de second degré ou d’esthétisation, on arrive à faire passer des contenus très violents, conclut-elle. En s’appropriant des codes vulgaires et en réhabilitant des comportements à la marge de la société et de la légalité, on veut se donner une image rebelle et subversive. »