Jeune fille émancipée, elle fait des études et s’intéresse à la politique dans un pays en pleine révolution. Elle s’intéresse très jeune (15ans) au fresquiste Diego Rivera, de 21 ans son aîné. Mais à 18 ans, un terrible accident de la circulation lui laisse des séquelles à vie. Elle subit de nombreuses interventions chirurgicales. Longuement alitée à plusieurs reprises, c’est à l’aide d’un miroir qu’elle réalisera un grand nombre d’autoportraits. “Je me peins moi-même parce que j’ai beaucoup de temps seule et parce que je suis le motif que je connais le mieux”. Elle dépeint dans ses tableaux sa douleur, ses peurs, sa vie. Femme émancipée et finalement mariée à Diego Rivera en 1929, elle s’engage dans le parti communisme. En 1939 elle divorce de Riviera pour se remarier avec lui un an plus tard. Elle meurt en 1954 après de nombreuses souffrances.
1939
huile sur toile
173 x 173,5 cm
Musée d’art moderne, Mexico,
Cette toile fut réalisé par l’artiste mexicaine Frida Kahlo en 1939. Agée de 32 ans, l’artiste divorce cette année là de Diego Rivera, avec qui elle vit depuis dix ans. Frida Kahlo ne souhaite pas ce divorce et c’est une vraie déchirure pour l’artiste. Elle se réfugie dans le travail et peint énormément de toiles cette année là, notamment ce double portrait, qui évoque cette période difficile dans sa vie.
La toile représente au 1er plan deux portraits en pied(représentation entière d’une personne debout ou assise), quasiment grandeur nature, de l’artiste assise sur un banc. Les deux Frida se tiennent la main. A l’arrière plan, un ciel nuageux et orageux occupe les deux-tiers de l’espace de la toile. Le portrait de gauche, face aux spectateurs, représente Frida Kahlo en robe blanche traditionnelle mexicaine. Une déchirure au niveau de sa poitrine fait apparaître son cœur écorché. Elle tient dans sa main droite une paire de forceps (pince) qui pince une veine venant du cœur. Le visage de ce portrait est particulièrement pâle. Le portrait de droite représente l’artiste avec le même visage plus colorée, habillée d’une robe traditionnelle mexicaine bariolée, la tehuana. Frida Kahlo portait très souvent cette tenue lorsqu’elle vivait avec son mari. L’attitude (jambes écartées) de l’artiste et sa moustache plus marquée ici lui donne une allure masculine. Au niveau de sa poitrine, on voit son cœur, intact, posé devant sa blouse. Elle tient dans sa main gauche le portrait miniature de son mari enfant. Des veines, émanant des cœurs, courent le long du corps des deux portraits et les rattachent l’un à l’autre comme pourrait le faire un cordon ombilical.
“Les deux Frida” illustre la douleur ressentie par l’artiste au moment de sa séparation avec le fresquiste Diego Rivera. Dans son journal, au sujet de ce tableau, l’artiste évoque son amie imaginaire qu’elle s’inventait plus jeune lorsqu’elle avait des problèmes. Dans cette optique, il apparaît que la Frida de gauche, blessée, se raccroche à la Frida de droite, son amie imaginaire, forte et réconfortante, qui lui insuffle la vie dans une période difficile. Ces deux portraits représentent l’artiste sous deux aspects différents; celui de la femme mariée à droite et celui de la femme divorcée à gauche. Parallèlement, ces deux portraits dévoilent deux côtés de sa personnalité : son côté féminin et fragile à gauche et son côté masculin et fort à droite.
A droite, Frida s’impose comme l’épouse mexicaine, sans apparat. Son visage affiche un caractère affirmé, elle porte sur le spectateur un regard fixe et hautain. Son attitude et les traits de son visage sont masculins. Sa robe, costume traditionnel de la ville de Téhuantepec, symbolise le système matriarcal mis en place dans ce village. Jambe écartée, la moustache marquée, l’ombre du menton dessinant un semblant de bouc, elle apparaît au spectateur comme une femme ayant pris le rôle de l’homme dans le ménage. Elle tient littéralement dans sa main son mari qui est représenté comme un enfant. Elle fait donc ici figure d’autorité et emprunte le rôle de mère, rôle qu’elle ne peut pas tenir dans sa vie réelle. Cette amie imaginaire incarne tout ce à quoi Frida aspire : être une femme, voir une mère forte ayant le pouvoir d’un homme. De la main droite, elle tient la Frida fragile, image de sa féminité et victime de ses souffrances. A cette vision bipolaire de l’artiste se superpose un entrelacs de veines. En regardant de plus près, on remarque que le cadre du portrait de son époux est formé par une veine reliée au cœur de la Frida de droite. Ce portrait de Diego est paradoxalement une partie nécessaire à son organisme pour se maintenir en vie. Même si Frida apparaît au spectateur comme quelqu’un de solide dans ce portrait, sa force ne tient qu’à ce détail. Sans lui, comme c’est le cas dans le portrait de gauche, Frida perd son sang comme elle perd ses couleurs. Robe blanche, visage blafard, le “cœur brisé”, cette Frida de gauche a dorénavant perdu son identité d’épouse (le fait que la robe blanche soit devant la robe colorée présente ce portrait comme l’état présent du peintre et le second comme appartenant au passé). Toujours en costume mexicain, mais cette fois sans identité régionale, la couleur de la robe n’existe que par le rouge du sang, dont les éclaboussures se mêlent aux petites fleurs en bas de sa robe. Aidée d’une pince, cette Frida empêche son sang de couler mais son regard qui est déjà loin annonce au spectateur qu’elle s’est vidée de tout espoir.
Si Frida Kahlo utilise ses organes pour exprimer sa souffrance, c’est sans aucun doute lié à ses multiples interventions chirurgicales qu’elle a subies tout au long de sa vie. De façon paradoxale, elle tire de ces souffrances corporelles sa force mentale et s’en sert comme image de ses blessures psychologiques. C’est son organisme qui raconte son histoire et ses tourments dans la plupart de ses tableaux.