Par Yves Chiron
Madeleine Delbrêl (1904-1964) a vécu pendant des dizaines d’années rue Raspail, à Ivry-sur-Seine, ville-symbole des municipalités communistes de la « ceinture rouge ». Elle s’y est installée en 1933, comme assistante sociale. Le P. Gilles François, postulateur de sa cause de béatification, et le P. Bernard Pitaud, spécialiste de l’histoire de la spiritualité, lui consacrent un livre. Cet ouvrage complète, et rectifie sur certains points, la biographie que Christine de Boismarin avait publiée en 1985 (Madeleine Delbrêl, rues des villes chemins de Dieu).
Dès 1935-1936, Madeleine Delbrêl a eu la tentation de devenir communiste. Elle constatait, dans cette banlieue ouvrière, que les communistes menaient des actions de solidarité efficaces. Mais elle ne voulut pas, selon son expression, « mettre sur une même balance » Dieu d’un côté et les promesses d’une société communiste de l’autre.
Pendant la guerre, elle n’a pas appartenu à la Résistance. Elle a été salariée du Secours national (placée sous l’autorité du maréchal Pétain) et « a semblé parfois dans ses écrits adapter les thèses du gouvernement de Vichy, tout en s’en démarquant subtilement » écrivent les auteurs – on aimerait en savoir plus.
Les « Equipes de la charité », qu’elle a mises en place dès 1933, vont se développer après-guerre. Elles pouvaient parfois paraître trop peu distanciées des populations où elles étaient immergées. Pourtant, dès 1949, Madeleine Delbrêl écrit : « Si, parce que nous aimons les marxistes et vivons au milieu d’eux, nous prenons leurs méthodes, leurs mouvements comme moyens de salut, nous faisons absolument fausse route. »
« Apostolat »
Reçue en audience par Pie XII en août 1953, Madeleine Delbrêl recevra de lui un ordre de mission, répété trois fois : « Apostolat ». Elle comprendra, écrira-t-elle, que « vu du côté de Dieu, les marxistes sont les plus malheureux des hommes, les plus malades ».
En 1957, elle publie son livre le plus connu : Ville marxiste terre de mission. Le titre même de l’ouvrage n’était pas pour plaire aux communistes. Même si Madeleine Delbrêl plaidait pour un « pas à pas », sans esprit de conquête, elle était persuadée que, dans ces banlieues « rouges », la plus grande misère était l’ignorance de Dieu.
Les auteurs ne cachent pas qu’en certaines circonstances, Madeleine Delbrêl a pu être trompée ou manipulée par les communistes (dans l’affaire Rosenberg, par exemple). Mais, en 1962, elle refusera d’assister à la réception donnée en l’honneur de Khrouchtchev en France, parce qu’elle savait bien que la persécution religieuse continuait en URSS.
Dans un de ses derniers écrits, elle aura cette intuition : « Un péril majeur s’approche de l’Eglise sans bruit. Le péril d’un temps, d’un monde où Dieu ne sera plus nié, pas chassé, mais exclu, où il sera impensable. »
• Gilles François et Bernard Pitaud, Madeleine Delbrêl. Poète, assistante sociale et mystique, Nouvelle Cité, 316 pages.