Quand les chrétiens d’Orient nous donnent une leçon de courage…

Les récents propos de Messieurs Fabius et Cazeneuve qui ont dit que la France était prête à accueillir les chrétiens d’Irak persécutés a suscité bien des débats. Certains y ont vu un geste altruiste à prendre comme tel, sans équivoque, d’autres se sont interrogés sur les véritables intentions des dirigeants PS.

Deux hypothèses ont été alors retenues. Spécifiques de prime abord mais au fond logiques, elles s’appuyaient sur la simultanéité de deux faits : les attaques perpétrées par Israël contre les Gazaouis et la dédiabolisation progressive du Hamas, un mouvement nationaliste que la propagande occidentale voulait amalgamer avec le djihadisme mondialiste crée de toutes pièces par les USA. Il s’agissait donc de justifier la politique de Tel-Aviv en mettant un trait d’union entre le sort des Israéliens et celui des chrétiens d’Irak. Si complexe, voire alambiquée que puisse sembler cette hypothèse, elle explique néanmoins, d’une part, le désintérêt de la France pour les chrétiens de Syrie (mollement accueillis au début du conflit puis abandonnés une fois leur soutien à Assad avéré), de Lybie ou encore pour les coptes égyptiens, d’autre part, la mise en relief exclusive de la cause chrétienne alors donc que les ismaélites, les sunnites modérés et les chiites connaissent un destin souvent horrible.

 La parole est à Charles de Meyer, président fondateur de l’association « SOS Chrétiens d’Orient » qui à peine revenu d’Irak se prépare à repartir pour la Syrie.

 « Vous qui revenez tout juste d’Irak, est-ce que vous avez eu des nouvelles de cette organisation que l’on appelait encore hier « l’EIIL » et que l’on appelle aujourd’hui « L’EI » tout court ? Ce fléau, s’est-il généralisé à l’ensemble du pays ?

Charles de Meyer. C’est un fléau qui va au-delà de l’Irak. Dans l’Orient avec « Saint Charbel » notre mission humanitaire, nous nous sommes rendus en premier lieu au Liban dans la ville de Zahlé, c’est-à-dire le début de la Bekaa, l’EIIL a déjà proféré des menaces. Donc, si vous voulez, l’ensemble du Proche-Orient, notamment les chrétiens, est en train de craindre une expansion de ce que l’on appelait hier l’EIIL sur l’ensemble de ces zones. En Irak, ce qu’il faut bien voir, c’est que jusqu’à très récemment, personne, je dis bien personne, ne combattait réellement l’EIIL. L’armée irakienne n’avait pas les moyens d’opposer une résistance très lourde et les Kurdes se satisfaisaient de maintenir une sorte d’arc de sécurité autour de leurs zones. Récemment, c’est-à-dire jeudi dernier, il y aurait eu une percée kurde sur certaines villes et sur certaines contrées. En tout cas, ce dont je suis certain, c’est qu’il y a une massification de la présence kurde auprès de la zone de confrontation avec l’EIIL, notamment dans les zones chrétiennes proches de la vallée de Ninive, qui permet peut-être de voir une lueur d’espoir. Ce qu’il faut dire c’est que l’EIIL n’a pas perpétré que des massacres militaires et des dégâts humains qui sont pourtant horribles et dont chacun peut se rendre compte grâce aux nouveaux médias. Mais c’est surtout tout le mode de vie oriental qui est une nouvelle fois bouleversé, c’est surtout l’équilibre des chrétiens sur place qui est bouleversé et c’est l’ensemble des options politiques et géopolitiques de la région qui se trouvent en danger. Pour l’Irak, très clairement, l’EIIL a certainement sonné le glas d’un « Irak nation », et c’est Massoud Barzani, le président kurde, qui a déclaré qu’après la chute de Mossoul, l’Irak était mort.

 Je viens de voir un article sur le Réseau Voltaire d’un sociologue français qui dit que les chrétiens d’Irak n’aspiraient pas vraiment à quitter leur pays pour répondre à l’invitation de messieurs Fabius et Cazeneuve. Est-ce que effectivement les chrétiens d’Irak, d’après ce que vous avez pu voir sur le terrain, aspirent à rester dans leur pays et à se battre jusqu’au bout ou alors, bien au contraire, on assiste à un exode massif vers les pays européens, France y compris ?

Charles de Meyer. Il faut distinguer les situations. Les autorités ecclésiastiques refusent absolument que les chrétiens partent d’Irak. Pour reprendre des chiffres assez simples, avant la chute de Saddam Hussein et l’invasion américaine de l’Irak, il y avait un 1 300 000 chrétien dans le pays, et aujourd’hui on en compte 400 000. Avec les bouleversements présents, si l’Occident décide de n’avoir comme seul intervention l’accueil des réfugiés, cela prétendument sous le statut de « réfugiés politiques », demain il n’y aura plus de chrétiens en Irak ou alors il restera une quantité complètement infime de gens qui n’avaient plus les moyens de partir. Il faut s’imaginer ce qu’a vécu un chrétien irakien dans sa vie. Ça fait un siècle qu’on est à un génocide ou une grande vague migratoire tous les 40 ans. Donc évidement, les chrétiens sont en train de se demander quelle est leur place en Irak, quel sens donner à leur vie sur place, comment peuvent-ils être d’abord massacrés par les Kurdes, devoir ensuite se réfugier dans le sud de l’Irak et puis devoir quitter le sud de l’Irak suite à l’invasion américaine pour finalement se réfugier au Kurdistan.Ce que j’ai vu, ce sont des gens désespérés qui n’en pouvaient plus et qui se sentaient abandonnés de toutes les forces protectrices des chrétiens sur place. Ce que l’on peut dire, finalement, c’est que l’aspiration de la communauté chrétienne sur place c’est bien de rester. Après, si on se penche sur un grand nombre de cas individuels, on s’aperçoit que bien des familles baissent les bras en cherchant la solution de facilité.

Quant à la déclaration de la France, pour y revenir, elle est scandaleuse. On peut même se demander si elle n’a pas été téléguidée afin de rendre la visite des évêques sur place plus complexe. Les autorités ecclésiastiques irakiennes refusent complètement l’appel lancé à leur population à immigrer. Donc, ça à été vécu comme un choc et c’est un choc qui était très prégnant sur le terrain. On était sur le terrain au moment où ça a été annoncé et on voyait des commerçants bien établis d’Erbil, la capitale du Kurdistan, commencer à chercher des permis de travail, tout simplement par volonté d’avoir une vie plus stable et plus sûre que dans l’Irak actuel. Par conséquent, on ne pouvait pas faire de geste et surtout de déclaration l’accompagnant plus déplacés et plus malheureux que ceux qui ont été faits par Bernard Cazeneuve.

 Vous avez pu voir la qualité des relations entretenues sur place entre musulmans et chrétiens. Est-ce que, à votre sentiment, les musulmans sont massivement solidaires des chrétiens persécutés ?

Charles de Meyer. On ne peut pas parler de musulmans sur place. Il y a des chiites, des sunnites… C’est important de le distinguer. Certains musulmans éduqués sont vraiment solidaires de la situation des chrétiens. En fait, les musulmans qui sont sur place, qui ont vécu dans le voisinage des chrétiens depuis longtemps ou qui ont conscience du rôle historique de ces chrétiens sur place, sont bien entendu outrés de ce qui est en train de se produire. Ce qu’il y a, c’est qu’il faut bien se rendre compte que dans ces régions-là, religion vaut nationalité. Cela étant, même par acte de charité, même par soutien individuel, l’être humain possède quelques caractéristiques de solidarité évidente, mais ce n’est pas le sujet des communautés musulmanes, qu’elles soient chiites ou sunnites, d’être solidaires des chrétiens d’Irak. Tout simplement parce que ce n’est pas une communauté qui numériquement est assez importante et donc intéressante. Il faut bien distinguer ces deux points là. La seule communauté qui a intérêt pour l’instant à préserver les chrétiens, ce sont les Kurde ce qui explique leur soutien. La préservation des chrétiens et finalement leur intégration à une société orientale lui donne une richesse et une force particulière. La Syrie, pour ne citer qu’un exemple, n’a jamais été aussi grande et importante que quand les communautés vivaient bien ensemble et les chrétiens participaient beaucoup à cette culture du vivre-ensemble. Les Kurdes qui aujourd’hui ont besoin du soutien de l’Occident pour aller vers l’indépendance et qui en plus on leur intérêt propre vont logiquement soutenir les chrétiens. Sur place, en Irak, le dialogue interreligieux ainsi que les échanges spirituels entre communautés existent à la marge et c’est encore beaucoup dire. Donc oui, peut être que des musulmans dans leur foi et dans la mesure de leurs moyens vont aller aider des chrétiens, mais ce n’est pas le sujet sur place qui est davantage centré sur l’intérêt, la cohérence et la stratégie de diverses communautés entre elles ».

Commentaire de l’auteur. Les chrétiens d’Irak et, de manière plus générale, du Moyen-Orient, donne à nous autres, Européens, une immense leçon de courage. Persécutés, torturés, exterminés, ces gens-là continuent néanmoins à se battre pour une terre qui est également la leur et pour une foi qu’ils n’ont pas l’intention de trahir, ce qui n’est pas le cas de l’Europe qui a renoncé à son héritage au nom de simulacres difformes dont on affirme qu’ils représentent des valeurs alors qu’ils ne sont bons qu’à couvrir le narcissisme pathologique de certains pseudo-intellectuels auxquels la Lybie n’a pas suffi.

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