On répète à l’envi que la faiblesse majeure du FN, c’est son programme économique. Honnêtement, le programme économique du FN est-il crédible ?
Non, selon les nombreux adversaires du FN : les partis concurrents, les groupes de pression (MEDEF et « antiracistes ») et les médias de l’oligarchie qui relaient leurs points de vue. En vérité, la crédibilité et le réalisme d’un programme sont jaugés au regard de la doxa dominante. S’éloigner du politiquement et de l’économiquement correct passe forcément pour « peu crédible ». Pour être jugé « réaliste », il faut être favorable à l’ouverture totale des frontières, à l’euro et à l’Union européenne. Ce n’est évidemment pas la vocation du FN.
Pourquoi alors, maintenant, cette convergence d’attaques sur le programme économique?
Parce que l’image que le FN donne de ses idées sur l’immigration et l’identité lui apporte toujours de nouveaux électeurs, il fallait bien trouver un moyen de freiner sa progression. Comme on ne peut plus jouer sur l’âme du peuple, on effraie les électeurs en évoquant le portefeuille.
Qu’y a-t-il d’anxiogène dans le programme économique du FN ?
Schématiquement, il est possible de distinguer dans le programme de 2012 trois axes programmatiques : la remise en cause du libre-échangisme mondial, la sortie de l’euro, la lutte contre « l’austérité ».
La remise en cause du libre-échangisme mondial est-elle possible ?
Elle est en tout cas souhaitable : le bilan de l’ouverture généralisée des frontières (délocalisations et immigration, c’est-à-dire la délocalisation à domicile) a débouché sur près de 6 millions de chômeurs. Tout simplement en raison d’une concurrence faussée par des règles sociales et environnementales radicalement différentes d’un pays à l’autre.
Le FN a été le premier – dès 1993 – à s’opposer aux négociations du GATT, le premier aussi à dénoncer dès 2013 le projet de traité transatlantique. C’est à mettre à son crédit.
Pas facile, il est vrai, aujourd’hui, de relocaliser l’économie et de promouvoir le patriotisme économique ; c’est pourtant ce qu’il faut faire. Tout comme il faut donner un contenu concret à la notion de « protectionnisme intelligent ». Et exiger la vraie réciprocité dans les relations commerciales internationales.
Et la sortie de l’euro, souhaitable ? Possible ? Inquiétante ?
Tout cela, sans doute. Là aussi, dès 1992 (Maastricht), le FN avait pris position pour la monnaie commune (bloc de forces vis-à-vis du monde extérieur) contre la monnaie unique (carcan des économies nationales à l’intérieur de l’Europe). Les promoteurs de l’euro savaient d’ailleurs que la zone (surtout avec la Grèce) ne correspondait pas à une zone monétaire optimale. Reste qu’au fond, dans ce monde désarticulé, les économies des métropoles parisiennes, munichoises et athéniennes sont plus proches les unes des autres que Paris d’Hénin-Beaumont, Munich de Rostock et Athènes des montagnes de l’Épire. L’euro n’est qu’un voile monétaire. Mais, alors même que l’euro monnaie unique est moribond, la perspective de changer de monnaie fait peur aux possédants et aux catégories âgées : selon l’IFOP, en mars 2015, 85 % des sympathisants UMP étaient hostiles à la sortie de l’euro, dont 57 % de très hostiles. Voilà pourquoi cette proposition du FN est utilisée comme épouvantail à électeurs UMP.
La lutte contre « l’austérité » est-elle vraisemblable ?
Selon le même sondage, les électeurs du FN à 84 % – et ceux de l’UMP à 49 % – sont favorables à la retraite à 60 ans. Les électeurs du FN sont sans doute aussi favorables à la hausse du SMIC, ce qui se comprend d’autant mieux qu’ils appartiennent aux catégories populaires. Reste que ces mesures sont largement perçues comme non réalistes, voire carrément folles, dans un pays où tous les agrégats économiques sont au rouge : forte redistribution des classes actives vers les inactifs (quasi-record mondial), déficit de la balance des transactions courantes de 30 milliards, financement par l’emprunt du quart du budget de l’État, 2.000 milliards de dettes, l’équivalent d’un an de PIB.
Ceux qui prennent le général de Gaulle comme référence ne peuvent oublier qu’en 1958, il fit précéder le retour à l’indépendance de la France du redressement de ses comptes.
Le FN est, d’ailleurs, bien placé pour comprendre cela puisque là où il a géré (à partir de 1995) et là où il gère (depuis 2015) des mairies, ses élus ont en tête de leur réalisation politique le redressement financier. Ainsi que la lutte contre la gabegie et les dépenses nuisibles.
Faut-il, dans ces conditions, une mise à jour du programme économique du FN ?
C’est à ses instances d’en décider. En tant qu’observateur bienveillant, je me bornerai aux remarques suivantes :
Dans les médias, il est beaucoup plus confortable de disserter d’économie que de taper dans le dur sur l’immigration au risque d’écorner son image policée ; mais ce que les électeurs attendent, c’est un discours clair et ferme sur l’immigration et la défense d’une vision charnelle et enracinée de la France.
Il est sans nul doute utile, politiquement et électoralement, de critiquer la mondialisation et les dérives du capitalisme financier. Et la prédation des États-Unis d’Amérique, comme on l’a vu dans les affaires Peugeot, BNP Paribas et Alstom, doit être dénoncée sans relâche. Tout comme il faut promouvoir des relations économiques équilibrées et fondées sur la réciprocité (un exemple parmi d’autres : comment tolérer que les guides américains emmènent leurs clients au mont Blanc alors que les guides français sont interdits d’exercice dans les Rocheuses ?).
En revanche, faire de la sortie de l’euro l’alpha et l’oméga de la politique est sans doute un contresens politique et électoral. Le souverainisme pur et dur, c’est 5 % avec Chevènement (pourtant puissamment soutenu par les médias) en 2002, et 0,5 % avec Asselineau et l’UPR en 2014.
De même, il faut choisir avec soin ses modèles étrangers : l’immigrationnisme gauchiste de SYRIZA est un épouvantail à électeurs modérés pour un bénéfice nul. Le nationalisme conservateur et indépendantiste du Premier ministre hongrois Viktor Orbán est un exemple infiniment plus intéressant.
Enfin, s’il veut réellement conquérir le pouvoir, le FN doit réfléchir au « jour d’après », penser stratégiquement ses priorités et renoncer à des promesses démagogiques qu’il ne pourrait tenir et qui déclencheraient une formidable déception.
Lu sur Boulevard Voltaire