L’incantatoire lutte contre la corruption de Christiane Taubira!

 

♦ La France se fait étriller par la communauté internationale pour son incapacité à lutter contre la corruption internationale. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) notamment lui reproche, près de vingt ans après la signature de la convention contre la corruption d’agents publics étrangers, qu’aucune société n’ait jamais été condamnée en France pour des faits de corruption internationale. Consciente de cette mauvaise image de la France (ce qui doit être porté à son crédit), la ministre de la justice, Christiane Taubira, a tenu un discours volontariste et apprécié, le 2 décembre 2014, dans l’enceinte de l’OCDE pour rassurer la communauté internationale sur la volonté inébranlable de la France.

Mais il y a malheureusement loin de la parole aux actes.

Dans la seule affaire significative où une société soit passée en jugement en France, l’affaire Safran, notre pays a démontré de manière éclatante qu’il n’avait pas de politique pénale contre la corruption internationale.

Cette affaire portait sur un contrat de fourniture de cartes d’identité au Nigeria pour un montant de près de 250 millions de dollars et la société Safran ainsi que deux de ses cadres étaient accusés d’avoir corrompu des fonctionnaires nigérians pour l’obtention de ce contrat.

Relaxe.

Or, lors de l’audience d’appel qui s’est tenu en septembre 2014 (l’arrêt a été rendu le 7 janvier 2015), le procureur chargé de l’accusation à l’audience a requis pour Safran… la relaxe. Et l’a obtenue !

Les bras vous en tombent. Ceux de la communauté internationale aussi.

Il ne s’agit pas ici de critiquer la décision de la cour d’appel qui a considéré qu’il n’y avait pas corruption dans cette affaire (et tant mieux pour Safran) mais la position du procureur et la défaillance du ministère de la justice.

Mme Taubira vient faire des déclarations enflammées à l’OCDE sur la lutte contre la corruption mais le procureur qui est censé se conformer à la politique pénale déterminée par le gouvernement agit en sens inverse.

Pourtant, et parce que l’OCDE reproche à la France de ne pas poursuivre ses sociétés en matière de corruption internationale, une circulaire de politique pénale du 9 février 2012 demande aux procureurs d’être vigilants : « Il convient ainsi de rappeler la nécessité de veiller à ce que les personnes morales [les sociétés] soient poursuivies du chef de corruption d’agents publics étrangers (…). »

Argumentation en retrait.

Qu’a fait le procureur dans l’affaire Safran ? Le contraire ! Constatant que les employés haut placés dans la société – qui disposaient d’une délégation de pouvoir – n’étaient pas personnellement poursuivis, il a œuvré pour la relaxe de la société.

Pourtant, la loi n’exige nullement que des poursuites judiciaires soient engagées contre les personnes physiques agissant pour le compte de la personne morale. La Cour de cassation accepte même, dans une jurisprudence certes fluctuante et casuistique qui gagnerait à être clarifiée, qu’une société soit engagée pénalement sans que l’enquête ait pu identifier les personnes physiques qui ont concrètement commis les faits.

Cette position, qui est en parfaite cohérence avec la raison d’être du mécanisme juridique de la responsabilité pénale de la personne morale, implique qu’une société puisse être condamnée sans que ses hauts responsables soient traduits en justice.

Dans une interview accordée au Monde le 18 janvier 2015, Eliane Houlette, procureur national financier, plus particulièrement en charge de ces questions, déclarait : « Les règles de responsabilité de la personne morale ne sont plus adaptées au fonctionnement des grands groupes. Il faut que la jurisprudence les fasse évoluer. »

D’ailleurs, la circulaire de 2012 précitée recommande aux procureurs de s’appuyer sur les décisions de jurisprudence (et il en est) qui adoptent une interprétation extensive de la responsabilité pénale des personnes morales. Pourtant, dans l’affaire Safran, le procureur a adopté une argumentation en retrait par rapport aux règles légales et jurisprudentielles en vigueur.

Bateau ivre.

Quelle plus éclatante démonstration que les circulaires de politique pénale ne servent à rien. Ces circulaires qui nous sont vendues comme un moyen d’application uniforme de la loi sur le territoire, d’impartialité dans l’application de la loi, d’action pour le gouvernement sous le contrôle du parlement, ne sont que des chiffons de papier.

La France n’a pas de politique pénale contre la corruption et, de manière générale, elle n’a tout simplement pas de politique pénale. Et cela est vrai sous Mme Taubira comme cela l’était sous ses prédécesseurs.

En fait, au gré des affaires, les procureurs se décident en fonction de ce qu’ils estiment opportun. Ils agissent ainsi de manière indépendante, sans que personne ne leur demande véritablement de rendre compte des positions qu’ils ont prises.

Quant au ministre de la justice, il réagit en fonction de l’actualité mais la détermination et la surveillance de l’application d’une politique pénale semble loin de ses préoccupations. Personne ne peut d’ailleurs expliquer ce qu’est la politique pénale de notre pays.

Tout cela pose la question du contrôle démocratique sur les agissements d’un corps de l’Etat essentiel, celui des procureurs, le ministère public encore appelé « parquet », qui est chargé de rien moins que de l’application de la loi. Le parquet est aujourd’hui un bateau ivre écrasé au surplus par les questions de gestion quotidienne qui le conduisent sur les chemins de la routine. Surtout ne pas faire de vagues semble être sa politique principale et c’est ce qui semble s’être passé dans l’affaire Safran.

Justice rendue aux Etats-Unis.

Cette situation est grave. Quand on voit comment le gouvernement américain utilise son ministère public pour faire valoir ses intérêts dans le monde, comme l’ont illustré de manière éclatante les sanctions qui ont été prononcées contre la BNP pour ne pas avoir respecté les règles d’embargo américaines (10 milliards de dollars d’amende quand même), on comprend aisément qu’une politique pénale est un des bras essentiels d’un gouvernement.

Plus récemment, c’est précisément en matière de corruption internationale qu’une grande multinationale française, la société Alstom, a été sanctionnée par la justice américaine à hauteur de 772 millions de dollars (et rachetée au passage par son concurrent américain GE). Si le ministère public français avait pris ses responsabilités, l’amende aurait pu être perçue par l’Etat français et elle aurait probablement été moins lourde pour Alstom.

L’absence de politique pénale dans notre pays participe du sentiment de nos concitoyens que le gouvernement parle, mais qu’il n’agit pas. Et que la justice, quand elle touche aux questions relatives à la mondialisation est rendue aux Etats-Unis, mais pas en France.

Juliette Lelieur (maître de conférences à l’université de Strasbourg) et Stéphane Bonifassi (avocat) – Source

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