Dans la Meuse, l’ossuaire de Douaumont, où reposent les restes de 130.000 soldats français et allemands inconnus, tombés à Verdun en 1916, et sa nécropole, à la mémoire de 16.000 combattants morts pour la France, ont été symboliquement profanés par les concepteurs de Pokémon Go et quelques dizaines de joueurs bien trop dociles.
En transformant le site classé en « arène » du jeu, afin d’y faire se combattre différentes équipes, les développeurs de l’application ont rameuté parmi les tombes de nos soldats une horde de zombies connectés, en quête d’une bestiole virtuelle à attraper. « On s’en est aperçu parce que les gens déambulaient avec un portable devant la tête », a expliqué ce vendredi Olivier Gérard, directeur du site, inquiet de la progression du phénomène.
Outre la fameuse « arène », les concepteurs ont désigné, tout autour de l’ossuaire, plusieurs lieux baptisés « Pokestop » où les joueurs peuvent bénéficier de bonus, comme la tranchée des baïonnettes ou le monument des fusillés de Fleury.
Poussant le ludisme jusqu’à ses limites morales, l’ancienne filiale de Google a exigé de ses disciples qu’ils piétinent un haut lieu de la mémoire nationale et européenne – au nom de cette réalité qu’on prétend augmentée mais dont, au contraire, sera déduite toute historicité, retranché tout sacré, soustraite toute conscience. Non contente de salir notre jeunesse et de la piloter sur les chemins du nihilisme et de la chasse au rien, la firme japonaise a poussé le vice jusqu’à mener sa guerre sur le sol même des fils de notre patrie, pour y planter sa bannière victorieuse.
Dans le cimetière de Douaumont, des morts-vivants ont erré parmi les tombes de nos soldats, dont la mémoire vivante et silencieuse, on l’imagine, a terrassé de son souffle l’inconséquence humaine. La société Pokémon s’en tirera à bon compte et, comme toujours, aucune sanction ne sera prise. Quant aux joueurs, ils ne risquent rien non plus, n’ayant ni détérioré les tombes ni renversé les croix.
Mais il existe une autre forme de profanation, plus insidieuse, plus moderne : l’indifférence au sacré. Les anciennes dégradations laissent place désormais à l’inattention la plus désinvolte. Elle ne casse ni ne barbouille, mais piétine, sans même y penser, les racines de notre mémoire.
Certes, l’étendard Pokémon parait moins inquiétant que le drapeau noir qui menace notre pays. Mais il mine plus profondément encore les derniers vestiges de notre culture, et pousse lui aussi ses adeptes vers le même goût du vide.