Raconter sa souffrance alors qu’elle était dans le coma. En France et à l’étranger, Angèle Lieby veut sensibiliser le grand public et surtout le corps médical pour qu’ils manifestent plus d’attention aux personnes « non communicantes », autrement dit, les personnes en état de coma.
Dans un livre, cette Strasbourgeoise raconte son expérience. En Juillet 2009, prise de picotement et de forte migraine, elle se rend à l’hôpital, pensant rentrer chez elle le soir même. Ses symptômes, dus au syndrome très rare de Bickerstaff, s’aggravent. Outre des problèmes de respiration, son corps ne lui répond plus. Les médecins la placent dans le coma. Il doit durer 24 heures, il durera douze jours. Pendant tout ce temps, aucun nerf, aucun muscle ne lui obéit, mais son esprit fonctionne. Elle est consciente de tout.
Le syndrome de Bickerstaff est une polyneuropathie démyélinisante sévère sensitivomotrice. Dans sa phase la plus aigüe, la maladie peut entrainer une ophtalmologie complète, une diplégie faciale et la paralysie complète des bras et des jambes. Ce syndrome est généré par une réponse disproportionnée à une infection. Dans le cas d’Angèle Lieby, tout est allé très vite, en quelques heures. Tétraplégique, le passage entre les terminaisons nerveuses était hors circuit.
Extraits :
J’entendais les pas, les infirmières, les gens qui venaient me voir. Je savais que j’étais à l’hôpital mais je ne comprenais pas pourquoi. J’avais très mal aux côtes comme si on m’ enfonçait quelque chose de lourd. J’ai même pensé « Est-ce qu’il y a eu un tremblement de terre ? ». J’ai vraiment poussé fort pour me pousser à respirer et j’entendais mes côtes craquer. J’étais comme un arbre parce que l’arbre, il pousse, il vit, on peut le couper, le trancher mais jamais il ne pourra dire une parole et moi, j’étais comme cela. J’avais l’impression d’avoir été enfermée dans l’écorce et pourtant, de vivre, d’avoir toute ma conscience, d’être là. Pourtant, j’ai remarqué au fur et à mesure que les gens parlaient à côté de moi comme si j’étais un meuble, comme si je n’étais même plus là.
Personne n’a pris le temps de vous expliquer, à côté de vous, ce qu’il était en train de vous arriver ?
Non, j’ai juste entendu une amie qui me disait : « Angèle, même dans le coma tu es belle ». Donc, j’ai compris que j’étais dans le coma. J’avais déjà compris avant que j’étais encore à l’hôpital, je me suis dit : «il n’y a pas de soucis, ils vont s’occuper de moi. Je vais m’en sortir ». Mais, j’entendais : « elle a un problème aux sinus. Elle a trois soins par jour, on ne va lui en faire qu’un parce que de toute façon, elle va bientôt « clamser » ». Moi-même, je ne le dis même pas pour des animaux. Et j’ai compris ce que ça voulait dire, que ça allait très mal pour moi. Et donc ça, c’était douloureux. Une personne injectait de la Bétadine verte : deux tiers-un tiers – je sais tout car tout ça, c’est resté gravé dans ma mémoire. Des fois elle disait « Tu as déjà fait ce soin ? Non, moi jamais. Ah non, moi non plus ». Donc, je faisais de la tachycardie, c’est la seule chose que je pouvais faire. Les gens qui sont comme ça inertes, on pense qu’on peut mettre des débutants pour s’occuper d’eux parce que forcément, ils ne sentent plus rien. Mais ça devrait être le contraire. Je voudrais qu’on mette les gens les plus perfectionnés pour s’occuper de ces gens justement car on ne peut pas parler. Et je me dois vraiment de parler pour les gens qui ne peuvent plus parler. Moi, j’ai senti toutes ces souffrances et on ne peut pas dire que tous les comateux ne sentent rien. Et je voudrais aussi parler pour les personnes en fin de vie. On a l’impression qu’ils sont couchés là, paisibles mais on ne sait pas tout ce qui se passe derrière.
Qu’est-ce qui vous a aidé à tenir ? A faire face à la fois à toutes ces douleurs psychologiques et physiques ?
Je pensais à ma mère qui disait : « après la pluie, le beau temps », elle disait des choses dans ce sens qu’il ne faut jamais désespérer. Et moi, je me suis dit : « ce n’est pas possible, ils vont finir par voir que je suis vivante ». Tous les jours, je pensais ça. Je hurlais, je criais, je priais, je suppliais.
Vous aviez conscience de la présence de vos proches ? C’était important pour vous ?
Oui, très important. Qu’ils parlent ou qu’ils ne parlent pas, c’est comme si je les voyais. Je pense que quelque part, il y a une aura qui se développe… un peu comme les aveugles, on sent vraiment la bonté des gens, qu’ils voulaient vraiment que je revienne. C’est très important de savoir qu’on est aimé.
D’ailleurs, c’est grâce à votre fille que le personnel médical a finalement compris qu’il se passait quelque chose pour vous.
Oui, d’abord elle a dit : « maman, je vais m’occuper de papa, ne t’inquiète pas ». Et ensuite, elle a dit : «il faudrait quand même que tu te réveilles parce qu’imagine-toi, si j’ai un troisième enfant, cet enfant ne connaîtra même pas sa grand-mère, sa mamie ». Là, j’ai pleuré. Elle savait que si là je ne réagissais pas, c’est que vraiment je n’entendais rien et je ne comprenais plus rien. Et après avoir dit ça, elle a vraiment vu que ça sortait et elle a dit : « maman, elle nous entend. Elle est encore là ».
Quel serait, aujourd’hui, votre conseil au personnel médical ?
De vraiment laisser vivre les gens. Je ne suis pas non plus pour laisser les gens des années et des années mais la petite flamme, il faut qu’elle grandisse, il faut quand même lui laisser le temps. J’ai mis 12 jours sans bouger quoi que ce soit. Donc, imaginez, au bout de quatre jours ils ont envoyé mon mari faire les démarches.
On imagine que vous avez pensé à des sujets tel que l’euthanasie, l’acharnement thérapeutique.
Est-ce que vous avez un point de vue sur ces questions-là ?
J’avais très peur et en même temps je me suis dit :« ce n’est pas possible que je ne m’en sorte pas ». J’ai quand même toujours gardé l’espoir. Je me suis dit : « aujourd’hui, ils n’ont pas vu mais peut-être demain. » Mais je n’aurais pas voulu qu’ils s’acharnent là-dessus. On entend parfois des gens qui sont couchés vingt ans. Ça, je l’ai dit tous les jours à mon mari. « Tu aurais quand même accepté, par amour, d’arrêter. Pas parce que c’est une personne qui devient une charge mais de dire : «je vais peut-être arrêter ses souffrances ».
Lu sur Radio Vaticana