Les interventions d’Éric Zemmour sur RTL, iTélé, Paris Première étaient un miracle fragile auquel nous avions fini par croire comme à une évidence.
Le 17 décembre, la rédaction de RTL déclarait se désolidariser du journaliste, pour ensuite suspendre sa décision de le garder ou pas à celle de Christopher Baldelli, patron de RTL. Héritier de Pilate, celui-ci affirmait : « Zemmour est un intellectuel, sûrement pas un homme politique et de moins en moins un journaliste. » Manière de se laver les mains de son éventuelle éviction, puisque, si Zemmour n’est plus journaliste, la solidarité journalistique n’a plus lieu d’être. Le 19, iTélé diffusait un communiqué annulant définitivement l’émission « Ça se dispute ». La SDJ (Société des journalistes) se félicitait de « cette prise de position forte » qu’elle « attendait ». Céline Pigalle, patronne d’iTélé, s’en expliquait par un drôle de syllogisme : en bref, nous respectons la liberté d’expression dans le débat, or il est difficile de débattre avec Zemmour, donc nous supprimons le débat au nom de la liberté d’expression. Paris Première avait seule un discours simple, indépendant, courageux : la chaîne maintenait le polémiste au nom de la liberté d’expression.
Au plus haut niveau de l’État
Michel Onfray avait twitté : « Désormais on licencie, on pétitionne, on vitupère au plus haut niveau de l’État pour raisons idéologiques. Permanence du bûcher. » Interrogé par Alexandre Devecchio pour Figarovox : « Pensez-vous vraiment que “la tête” de Zemmour ait été exigée au plus haut niveau de l’État ? » Onfray répondait : « Je ne sais pas […] mais je me souviens que le porte-parole de l’Élysée a affirmé de quoi nourrir cette idée. »
On connaît le prétexte de la fatwa contre Zemmour : dans une interview accordée le 30 octobre au Corriere della Sera, à une question sur la présence en France de cinq millions de musulmans, Zemmour répondait par le risque de libanisation de la France, et les moyens d’y parer : la nécessité de maîtriser l’immigration, le retour au pays des étrangers. Rien d’iconoclaste en somme, mais la constance dans la contestation et la permanence du diagnostic. Diagnostic que partage quiconque ne pratique pas le déni du réel. Mais c’est en cela même que Zemmour est insupportable au monde politique et médiatique : il force qui l’écoute à ne plus chausser les lunettes idéologiques qui maquillent le réel et contraignent à appeler fantasmes les dangers réels. Le titre d’un livre de Michel Onfray en est l’illustration : Le réel n’a pas eu lieu.
Le diagnostic de Zemmour étant difficile à contester, c’est un mot qui va déclencher l’emballement médiatique : pour résumer sa question, le peu sérieux (ou complice ?) journaliste italien ajoute, au moment de retranscrire ses notes, le mot qui tue : « déportation ». Il a fallu un mois et demi, le 16 décembre, pour que Jean-Luc Mélenchon l’épingle sur son blog : « Zemmour se lâche en Italie. Déporter cinq millions de musulmans ? Ça peut se voir. » Crime parfait : Mélenchon se dédouane aujourd’hui en réprouvant la censure et exprimant ses réserves quant à l’éviction de Zemmour.
« Fantastique manipulation, commente Zemmour sur RTL, le 18 décembre. On m’a accusé d’avoir dit un mot que je n’ai pas prononcé, on m’a accusé ensuite de ne pas avoir contredit un mot qui n’a pas été prononcé […]. On m’accuse de ne pas avoir dit quelque chose et de l’avoir pensé. »
Illustration de ce qu’il appelle dans Le suicide français « le droit et le devoir de faire l’archéologie des pensées et arrière-pensées ».
La novlangue d’Orwell jonglait avec les mots : suppression, dévoiement de sens, invention. La police actuelle de la pensée fait mieux : elle condamne pour l’absence de mots.
De l’État aux associations
Qui veut vraiment « la tête » d’Éric Zemmour ? Le 15 décembre, François Hollande avait inauguré le musée de l’Immigration, en fustigeant l’islamophobie ; il visait, suivant ses proches, Sarkozy et Éric Zemmour. Les jours suivant l’accusation de Mélenchon, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, chargé d’assurer la sécurité et la protection des citoyens, incitait à « réagir et à manifester » contre un citoyen français : « Je condamne avec une extrême fermeté les propos tenus par Éric Zemmour. J’affirme mon soutien aux musulmans de France odieusement attaqués. » Bruno Le Roux, ministre en charge des Relations avec le parlement, interpellait les médias : « Il est temps que les plateaux TV et les colonnes des journaux cessent d’abriter de tels propos. L’islamophobie est un racisme qui ne doit pas avoir pignon sur rue. »
Tout se passe comme si, « au plus haut niveau de l’État », l’éviction d’un journaliste avait été exigée des médias. Illustration de l’analyse par Zemmour, dans Le suicide français, de la loi Pleven de 1972 : en élargissant démesurément la notion de « discrimination », elle supprimait pratiquement la liberté d’expression. Et sous-traitait la fonction répressive aux associations, chargées d’exercer la police de la pensée devant les tribunaux.
Nous y sommes. La Licra demande aux médias de « ne plus offrir de tribune à Zemmour ». SOS Racisme lance une pétition pour que soit banni des médias ce « prescripteur de politiques publiques ouvertement racistes ». Surfant, si l’on peut dire, sur la « déportation », le Cran et l’Observatoire contre l’islamophobie, qui dépend du CFCM, font mieux : le premier veut citer Zemmour à comparaître pour « apologie de crime contre l’humanité et incitation à la haine raciale ». Le second le qualifie de « petit soldat de la haine », coupable de « prôner l’avènement d’une nouvelle solution finale ». Et d’ajouter : « À quand une déclaration du chef de l’État pour dire clairement que le combat contre l’islamophobie est une cause nationale ? »
« Nous avons déjà basculé »
Le déroulement des événements révèle le montage : comment croire qu’une interview de Zemmour, surveillé de près, passe inaperçue pendant un mois et demi ? Que, du 15 au 19 décembre, tout s’accélère pour ordonner l’éviction ? Qu’enfin tout soit réglé le 19 décembre, veille des vacances de Noël, qui sont aussi la vacance de la révolte et de la réaction ?
L’arrogance avec laquelle se sont exprimés les délires verbaux du Cran et de l’Observatoire, les interventions au plus haut niveau de l’État, la précipitation des interdits manifestent la complicité qui lie, en de savants jeux de rôles, la gauche au pouvoir et hors du pouvoir, les associations et les médias qui sont aux ordres. Pour incarner, selon l’expression de Pascal Bruckner, « une version soviétique du socialisme ».
« Sommes-nous en train de basculer vers une forme de totalitarisme intellectuel », demandait Devecchio ; Onfray répondait : « Plus question de craindre le basculement, nous avons déjà basculé. […] Inviter en bout de table, pour un diner de cons, oui, mais pas question que l’invité retourne la situation et montre à toute la tablée que le con ça n’est pas lui. […] Or rien n’est plus violent qu’un con démasqué après qu’il eut échoué à présenter l’autre comme ce qu’il finit d’incarner dans sa superbe. »
Contre le Goliath de la pensée unique, « il y a du David dans Zemmour ». Puisse-t-il, faute de voix, continuer, par sa plume frondeuse, à fustiger « le dogme totalitaire des lendemains métissés ». Et quant à nous, puissions-nous nous rappeler la parole dite par Vergniaud en 1792, un an avant d’être guillotiné : « Les grands ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. »
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