Les socialistes et leurs hérauts me font souvent penser aux romans de Zola : le peuple y est forcément misérable et l’élite dorée. En le lisant, on peut ainsi constater le grand écart entre Germinal et Son Excellence Eugène Rougon, entre les mines crasseuses d’une part et les salons rutilants du Second Empire, d’autre part.
Yann Moix – puisqu’il va être question de ce nouveau chantre cathodique de l’émission On n’est pas couché ; citateur obsessionnel d’écrivains et penseurs, pour le plaisir de dire qu’il sait ce que nous ignorons, selon lui ; pur produit de l’élite de gauche – semble, depuis son arrimage sur le plateau de Laurent Ruquier, partager la vision zolienne de la société. D’un côté nous aurions les hommes et les femmes bien nés et de l’autre, une masse prolétarienne juste bonne à boire du rouge qui tache et rendre son cerveau disponible, comme le préconisait jadis Patrick Le Lay, alors à la tête de TF1 !
Après avoir précédemment tenté, sans succès et avec une magistrale déconvenue, de déboulonner Michel Onfray, qui n’en demandait pas tant, voici que Moix s’est payé la tête de Nadine Morano. Proie plus facile, convenons-en, étant donné les quolibets qu’elle doit régulièrement essuyer de la part des comiques de troisième zone qui encombrent les plateaux de télévision ! Tirer sur Nadine Morano, c’est flinguer l’ambulance. Passons. Je ne m’étendrai pas sur le contenu de la logorrhée moixienne, Monique Bousquet l’ayant remarquablement fait dans les colonnes de Riposte laïque.
Ce qui me frappe, au-delà de ses poncifs doctoralement balancés aux invités et, par voie de conséquence, aux spectateurs plébéiens que nous sommes, c’est que cet agité du bocal – comme disait Céline à l’endroit de Sartre – professe un mépris certain pour les prolétaires « échappés » de leur condition. Précisément, Onfray et Morano ne sont pas nés avec une cuillère en argent dans la bouche !
Non que Moix soit d’extraction particulièrement élevée, mais il a suivi un parcours honorablement stéréotypé : école de commerce, Science Po et études de philosophie, ces dernières pour pouvoir ultérieurement conceptualiser toute chose à la manière de son mentor, le résistible BHL ! Si l’on ajoute à cela ses casquettes d’auteur et de réalisateur, on obtient le portrait idéal de l’intellectuel socialiste-libéral condescendant. Dit autrement, c’est la voie royale pour accéder au titre de maréchal de gauche !
Monsieur Moix a donc l’esprit de caste, fustigeant le réactionnaire populiste – cet animal indocile et ignare, comme le peuple ! – et célébrant le talent de ses camarades, quelle que soit leur indigence – je pense au dernier roman de Christine Angot, dont Nicolas Ungemuth a résumé la nullité dans Le Figaro[1]. Dès lors qu’ils appartiennent aux happy few de la gauche « intellectuelle », que Stendhal aurait raillée avec délectation, ces derniers sont oints par monseigneur Moix !
Mais que se dresse un opposant sorti de la plèbe, voilà qui semble exciter l’ardeur paranoïaque de Moix, qui voit soudain des croix gammées partout ! Voir son angoisse transpirante de se retrouver face à Nadine Morano et Geoffroy Lejeune, de Valeurs actuelles, dans la même émission : un facho ça va, deux, bonjour les dégâts !
Certes, la pensée d’Onfray me dépasse parfois, notamment ses dernières déclarations sur l’islam. Pour autant, il est un authentique intellectuel – lui ! – qui ne se satisfait pas d’un vernis culturel brillant, creusant rigoureusement son sujet jusqu’à l’épuisement. On peut ne pas partager ses conclusions sur tel ou tel sujet, il n’empêche qu’il l’étudie, son sujet.
Certes, Nadine Morano n’est pas toujours un modèle d’élégance verbale, mais elle a le mérite de ne pas enrober la réalité de circonvolutions chères aux politiques bon teint. Son franc-parler – mélange d’Arletty et de François Rosay – choque Moix ? Tant mieux ! Ce « connasse », jeté à sa face par un autre socialiste de confession, ordurier et petit, a dû le faire pisser de bonheur dans son caleçon, le gaillard ! Eh bien, moi, j’ai failli en faire autant en le regardant se liquéfier devant une femme qui en a !
Alors, je m’interroge : Moix ne serait-il pas de ces esprits délicats qui aiment le peuple lorsqu’il se soumet docilement à l’élite bien-pensante ? Par son agressivité, qui rendrait Aymeric Caron presque sympathique, ne trahirait-il pas ce mépris socialiste qu’il reprochait, pour la forme, à Jean-Christophe Cambadélis évoquant « la populace », forcément réactionnaire ?
Moix a dû faire sienne cette phrase de Voltaire, ce philosophe ambigu dont je ne partage pas l’engouement de beaucoup : « Il est à propos que le peuple soit guidé et non pas instruit. Quand la populace se mêle de raisonner, tout est perdu. »