Avec la large victoire de Ronald Reagan lors des élections présidentielles de 1980, la gauche américaine s’est retrouvée dans l’obligation de réfléchir à son orientation. La présidence de Jimmy Carter avait – à l’époque – marqué l’apogée de la gauche dure aux États-Unis. Sa lourde défaite a créé le besoin d’une réforme interne au sein du Parti démocrate. Petit à petit, les candidats modérés sont revenus sur le devant de la scène. En 1988, le Parti démocrate ayant une fois encore perdu l’élection présidentielle face au Vice-président George H. W. Bush, les modérés, qui arrivaient à dominer petit à petit le parti, s’organisèrent une première fois avec la fondation de la coalition des « New Democrats », des Démocrates s’affirmant centristes.
Cette coalition travailla à assurer la conservation du recentrage de la gauche au moins vers le centre-gauche. Leur victoire la plus solide, qui démontra la mainmise des modérés sur le parti, fut la désignation de Bill Clinton comme candidat à l’élection présidentielle en 1992. Bill Clinton était un modéré qui n’effrayait pas réellement l’électorat de droite, lui-même membre des « New Democrats ».
Ce mouvement s’est renforcé dans les années suivantes. En 1994, à la suite de la large défaite des Démocrates aux élections pour le Congrès, le constat était sans appel : les élus ayant subi les plus sévères défaites étaient les élus les plus à gauche. Les modérés avaient, eux, bien résisté.
S’en est suivi la fondation d’un second mouvement centriste, en parallèle des « News Democrats » : les « Blue Dog Democrats », une coalition de l’ensemble des élus se considérant comme conservateurs, issus de la gauche modérée. Cette coalition a tenu à gauche, permettant nombre d’accords bipartisans au cours des années qui ont suivi. Le nombre de lois passées sous les Présidents Clinton et Bush ayant un accord des deux partis fut important, grâce au poids de cette gauche modérée souhaitant travailler avec le centre-droit.
Cependant, le milieu des années 2000 a vu se dessiner un mouvement inverse. Avec l’espoir de récupérer le pouvoir en 2004, le « cœur » de la gauche a commencé à se déporter toujours plus à gauche. La nomination du sénateur John Kerry en 2004 en fut le premier signal fort. Sa défaite face au Président Bush n’a pas réellement mis de coup d’arrêt à cette évolution. La gauche dure était désormais de retour et à nouveau influente au sein du Parti démocrate, en local tout au moins.
La victoire des Démocrates en 2006 a donné enfin à cette gauche dure la victoire qu’elle attendait tant. Les modérés étaient toujours présents, s’étant renforcés avec la vague de cette année-là. Mais, désormais, la gauche dure était présente en force au Congrès et issue de nombreux États pour la première fois depuis longtemps, avec la capacité de faire passer ses propres projets de loi. En 2006, le plus flagrant exemple de la radicalisation du Parti démocrate apparut lors de la primaire du Connecticut pour le siège de Sénateur de Joe Lieberman. Proche des « Blue Dogs » (mais pas officiellement membre car les « Blue Dogs » représentent une coalition présente uniquement à la Chambre des représentants, pas au Sénat), il était considéré comme trop modéré, trop au centre pour représenter correctement le Parti démocrate. Un candidat plus radical s’est présenté contre lui et l’a battu au cours de la primaire ! Cependant, Joe Lieberman s’est tout de même présenté comme indépendant, parvenant ainsi à battre ses adversaires républicain et démocrate, prouvant que les électeurs ne suivaient pas la gauche dans sa radicalisation.
2008 vit en quelques sortes l’affrontement entre les courants modéré et radical, avec la sénatrice Hillary Clinton comme candidate du centre-gauche et du centre conservateur face à la gauche dure, menée par le sénateur Barack Obama. Après une des primaires les plus longues de l’histoire politique des États-Unis, Barack Obama a fini par l’emporter de justesse (avec une majorité de délégués mais ayant reçu 300 000 voix de moins que Hillary Clinton).
Au cours de cette année électorale, les soutiens du futur Président Obama avaient commencé à « faire le ménage » au sein du Parti démocrate. Les militants et l’argent ont principalement été investis vers les candidats les plus radicaux. Mais la nouvelle vague démocrate a permis la réélection de nombre de modérés.
2010 fut enfin une occasion importante pour le Président et ses collaborateurs. Non seulement une vague de primaires très à gauche a permis de chasser nombre de prétendants modérés qui se voulaient candidats pour le Congrès en tant que « Blue Dogs » ou « New Democrats », mais surtout, bien moins de moyens leurs ont été alloués au cours de la campagne de 2010, les mettant à la merci de leurs adversaires républicains.
Pour 2012, ce phénomène semble devoir encore se répéter. Le 24 avril, au cours des primaires démocrates pour la Chambre des représentants, encore deux membres des « Blue Dogs » ont perdu face à des candidats de la gauche dure. Il reste aujourd’hui 26 membres de la coalition des « Blue Dogs » (contre 54 suite aux élections de 2008). Seuls 22 d’entre eux devraient être en mesure de se présenter pour l’élection générale (mais les primaires du Parti démocrate ne sont pas terminées).
Plus les années passent, plus les modérés et les centristes démocrates sont éliminés de leur propre parti. Si les élections de 2012 se passent comme en 2006, 2008 et 2010, alors il se pourrait que la gauche modérée et le centre-gauche aient définitivement disparu du paysage politique américain, laissant le contrôle du parti à l’âne à une gauche des plus radicales.
En 2012, le Parti démocrate ressemble désormais bien plus à celui de la fin des années 1970 qu’à celui des années 1995-2005.
*Pierre Toullec est le président de l’association des amis français du Parti Républicain (blog|site).
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