Que l’Europe soit menacée par la dérive grecque revêt une dimension symbolique prodigieuse. Ce pays est à la fois celui où est née la civilisation européenne et en même temps une préfiguration du destin européen : une presqu’île ouverte sur le large, vouée aux échanges, promise à coloniser les autres rivages et en proie à des guerres internes permanentes. Remplacez les Cités grecques par les Nations européennes, Sparte par la Prusse, par exemple et la ressemblance est parfaite. Mais la Grèce cessa de se battre et, unie, disparut de l’Histoire. Certes, sa civilisation rayonna sur toute la Méditerranée, et en particulier sur l’est et le sud de celle-ci pendant des siècles, nourrit intellectuellement le Christianisme, et survécut un temps à Byzance, aujourd’hui Istamboul… Avec Erdogan, Sainte-Sophie risque d’y redevenir une mosquée. Il y aurait dans cet événement là une signification considérable. La Turquie qui soutient le djihad en Syrie a failli entrer dans l’Union Européenne. Son économie est aujourd’hui bien plus puissante et solide que celle de la Grèce. Quant à Sainte Sophie, elle rassemble l’héritage grec, avec son plus beau concept, « sophia » la sagesse, et sa métamorphose chrétienne, cette femme martyrisée avec ses trois filles, la Foi, l’Espérance et la Charité. Que la Grèce ait peu gardé de cet héritage, sauf des monuments et une langue, est un euphémisme. Mais, là encore, n’est-ce pas une annonce du devenir de l’Europe ?
La Grèce est entrée dans la zone Euro non par effraction, mais par fraude et avec la complicité des locataires. Costas Simitis, Premier Ministre grec socialiste de l’époque, a fait croire à un « miracle grec » à coup de hausses d’impôts et de privatisations, pour afficher des chiffres falsifiés en matière de déficit et d’inflation. Comme d’autres pays intégrés n’étaient pas non plus aux normes sur la dette, l’irresponsabilité des dirigeants, notamment socialistes, de l’époque les a entraînés à être les complices bienveillants de l’entrée du voleur dans la maison. Les sociaux-démocrates au pouvoir en Allemagne, Lionel Jospin en France ont soutenu par camaraderie cette arrivée. La « droite » française avec son aveuglement habituel a fait passer le « politiquement correct » avant « l’économiquement sérieux ». Au Parlement Européen, Hortefeux qui succédait à Sarkozy vota pour. Giscard eût, paraît-il, un de ces mots qui traduisent la prétention culturelle des politiciens français : » On ne fait pas jouer Platon en seconde division… » Comme s’il y avait le moindre rapport logique entre une monnaie d’aujourd’hui et un philosophe vieux de 25 siècles ! D’ailleurs, si Giscard avait lu Platon, il aurait appris à se méfier des images… Des élus CDU-CSU allemands, toujours réalistes, s’y opposèrent, malgré l’avis favorable de la Commission de Bruxelles, de la BCE, et du rapport émis par l’euro-député luxembourgeois Gooebbels, dont on mesure aujourd’hui la pertinence, l’efficacité, voire l’utilité… Mais Goldman Sachs avait accompagné le redressement, ou plutôt le camouflage, grec et Moody’s relevé la note du pays… ?!?
Comme d’habitude, on demanda, une fois le pot-aux-roses découvert, et la crise des dettes « souveraines » déclenchée, au bon peuple, qui avait applaudi l’Euro avec enthousiasme, de payer la note de l’incurie de tous ceux qui vivent à ses dépens ! Plusieurs vagues de mesures drastiques se succédèrent sous l’oeil vigilant de l’austère Allemagne et de son emblématique Chancelière. Manifestations violentes, grèves générales musclées et élections confuses se succédèrent : le chaos et l’anarchie sont aussi des notions grecques. Cinq plans d’austérité baissèrent les salaires, réduisirent l’emploi public, augmentèrent les taxes et les impôts, procédèrent à des privatisations, allongèrent la durée des cotisation en échange de plans de sauvetage et de prêts du FMI, de la BCE, et des partenaires européens. Les Grecs qui avaient joui d’un niveau de vie artificiellement financé par le crédit et un endettement, qui atteint 175% du PIB, subissent aujourd’hui pour beaucoup la pauvreté et la précarité. Le Parlement, incapable d’élire un Président de la République, vient de se dissoudre. Les sondages prévoient, comme d’habitude, une défaite du sortant, le conservateur Samaras au profit non plus du socialiste, discrédité, mais d’Alexis Tsipras à la tête de Syriza, l’extrême-gauche démagogique qui veut garder l’Euro, en finir avec l’austérité, et restructurer la dette. Cette « restructuration » pourra être interprétée comme un défaut de paiement et entraîner le mécanisme des CDS. On comprend que les marchés s’inquiètent. Mais on peut admettre que les Grecs choisissent plutôt le beurre de la fin de l’austérité, l’argent de l’Euroland et le sourire de l’Europe, en prime, plutôt que le sang et les larmes exigés par Madame Merkel… Il eût été plus simple de demander dès le début au passager clandestin de quitter la galère où il ne veut plus ramer, et sans doute de nous interroger collectivement sur ce qu’on est allé faire sur la dite galère.
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