L’élection présidentielle est l’acte politique essentiel de la Ve République. A l’origine, elle avait été conçue par le Général de Gaulle comme la rencontre d’un homme avec le Peuple français. Choisi en dehors du jeu des partis, cet homme ( qui pouvait être une femme) devait dominer la politique du court terme en maintenant le cap de la nation sur la longue distance, en voyant les choses de plus haut, d’où son rôle dans la représentation du pays sur la scène internationale et dans les grands choix du pays. Cela justifiait un mandat de sept ans, la possibilité de dissoudre l’Assemblée et sa majorité nécessaire au gouvernement, et l’usage du référendum pour en appeler directement au Peuple. Dès le départ du Général, cet idéal s’est effrité au contact de la réalité des appétits et de la diversité des composantes de la Nation. Sans homme providentiel créé par l’histoire, avec le risque que les référendums soient l’occasion pour les mécontents de se faire entendre au lieu d’être le tremplin des grandes décisions du pays, peu à peu la France s’est banalisée sans même se rendre compte que ce recul créait de multiples contradictions. On en revint d’abord à la primauté des partis au sein desquels le choix du candidat se ferait. L’homme d’un parti peut difficilement s’ériger au lendemain de l’élection comme la vigie suprême. Mitterrand était socialiste, par calcul plus que par conviction d’ailleurs. Auparavant, Giscard avait créé l’UDF, et Chirac fut l’élu du RPR.
Le mode de scrutin uninominal par circonscription pour les élections législatives avait le mérite de générer des majorités de type anglo-saxon soutenant des gouvernements stables, avec un grand parti de gauche et un autre de droite. Le seul défaut français était de prévoir deux tours ce qui logiquement avait conduit dans un premier temps à quatre partis, le RPR et l’UDF à droite, le PS et le PCF à gauche. Dans cette logique à l’américaine, la droite avait uni ses deux partis en 2002 avec l’UMP, et a tenté d’organiser des primaires en son sein pour désigner le candidat à l’Elysée. Cette américanisation était possible. Elle s’est accompagnée d’une réduction du mandat présidentiel à cinq ans. Toutefois, l’élection présidentielle ayant lieu juste avant les législatives, on a assisté à une totale inversion de la Ve République : désormais le Président et le gouvernement soutenu par le parti présidentiel devenaient indissociables pour la durée du mandat. Le Président était l’homme d’un parti, le sien, et ne surplombait plus la vie politique du pays. Pourquoi pas ? Ceux qui fustigent la machine à perdre des primaires au sein de LR font un contre-sens : d’abord parce que ces primaires sont la contrepartie du système des partis binaires. Sans le coup d’Etat judiciaire de 2017 ourdi par les amis du président actuel, Fillon serait devenu le Président soutenu par une majorité LR, et l’alternance “à l’américaine” aurait fonctionné.
Outre le complot réussi contre Fillon, la situation actuelle de la politique française subit également une autre altération du système anglo-saxon. Mitterrand au nom de la représentation “démocratique” a introduit le cancer de la proportionnelle dans nos élections et multiplié les rivalités et les divisions sous prétexte de représenter les opinions quand il s’agit surtout de satisfaire les ambitions. En 1986, Chirac a échoué en raison de la faiblesse de sa majorité issue de ce scrutin. L’irruption du Front National dans la vie politique française à l’occasion des élections proportionnelles, européennes, régionales et municipales a créé paradoxalement une situation contraire à la démocratie : la montée du Front national et le refus de toute alliance de la part de la droite dite “républicaine” a permis à la gauche de se maintenir au pouvoir alors que le pays penchait de plus en plus à droite. Il y a une logique de la proportionnelle qui est l’alliance pour former des coalitions et une logique du vote uninominal, si possible à un tour, qui est de privilégier un parti. On mesure la stupidité des dirigeants de la droite “républicaine” qui agissent toujours comme si toutes les élections étaient uninominales. La gauche ne commet pas cette erreur. Les “pastèques”, ces gauchistes repeints en vert dont l’idéologie vise davantage à détruire notre société qu’à défendre l’environnement, sont pour les socialistes des alliés fréquentables. La proportionnelle les a mis en piste permettant à l’extrême gauche une représentation disproportionnée grâce au vote naïf des “Bisounours” amoureux de la nature.
La prise de pouvoir par Macron en 2017 a généré une situation absurde. En apparence, c’était un retour à l’esprit de la Ve République : un homme devant le peuple. Sauf que cet énarque devenu banquier pour une opération, très juteuse pour lui, chez Rothschild est le contraire d’un homme providentiel. Rien à son actif, à part la vente scandaleuse d’Alstom à Général Electric, et une élection par défaut pour éliminer la candidate du Front National. Même pas l’homme d’un parti, puisque venant du PS avec un grand nombre de ses amis, il a créé son propre parti, dénué du moindre commencement d’une idée commune, si ce n’est l’espoir de survivre à ce mandat. L’élection qui se profile risque d’être l’aboutissement de cette décadence de nos institutions : elle devrait correspondre au choix d’un candidat capable de répondre aux enjeux essentiels auxquels est confrontée la France : déclin économique et décadence sociétale, appauvrissement du pays et grand remplacement de sa population. Ce dernier point souligne que l’élection sera dans le fond un choix de civilisation. Et on risque de voir cette question cruciale du long terme noyée dans les questions économiques et sociales immédiates complètement obscurcies par les signes apparents d’une reprise fondée sur les illusions de la planche à billets. Parmi les “candidats”, Zemmour incarne le grand débat de civilisation et se présente réellement comme un homme en face du Peuple. Encore faut-il qu’il soit capable de rassembler et évite de susciter la crainte. Macron continuera à user de son talent d’histrion et d’illusionniste. Le premier tente de retrouver l’esprit de la Ve République pour restaurer une certaine idée de la France. Le second est le symbole vivant du point ultime de sa décadence.