La Fête de la Toussaint évoque le souvenir des morts, ceux de la famille d’abord dont on va fleurir les tombes, et pourtant, le « jour des morts » n’est que le 2 Novembre. Comme son nom l’indique, la Toussaint est la fête de Tous les Saints, canonisés ou béatifiés. Mais rien n’y fait, la Toussaint est associée aux cimetières, et on peut y voir, au-delà d’une fête strictement catholique qui n’existe pas pour les protestants et se célèbre à une autre date pour les orthodoxes, une fête particulièrement identitaire, où la religion révélée se marie étroitement avec des sentiments religieux venus des profondeurs du temps, et qui d’ailleurs se diluent dans une époque dénuée de profondeur. Comme Noël est proche du solstice d’hiver, et fixe arbitrairement le jour de la naissance du Christ à peu de jours de la renaissance du soleil, de même, le mois de Novembre est celui de la mort de la nature, des feuillages qui s’étiolent, d’un sommeil annuel, qui n’est pas dénué d’espérance. L’histoire de notre pays a d’ailleurs fait de ce mois celui des commémorations : ce sera bientôt le 11 Novembre, et la célébration de la mémoire des héros de la première guerre mondiale, qui a coûté à la France 1,4 millions de vies, une saignée dont elle ne s’est jamais remise. Pour l’élu gaulliste que j’ai été, entre le 1er Novembre au cimetière municipal, et le 11 Novembre devant le grandiose monument aux morts de Tourcoing, il y avait Colombey-les-deux-églises, le 9 Novembre, jour du décès du Général de Gaulle. Quant à ceux qui ne peuvent pardonner au général sa politique algérienne, et c’est compréhensible, les Pieds-Noirs en particulier, il y a le souvenir du 1er Novembre 1954, la Toussaint rouge qui déclencha la guerre d’Algérie avec une dizaine de lâches assassinats commis par le FLN, notamment celui qui coûta la vie à un jeune instituteur européen, Guy Monnerot, tué aux côtés d’un « caÏd » local, Hadj Sadok, musulman partisan de la France. Cette triste date est donc une fête nationale de l’autre côté de la méditerranée.
Pour tous ceux qui vivront cette fête selon nos traditions, plutôt que comme un long Week-end où l’on s’évade, ou comme le lendemain d’Halloween, cette festivité païenne, celtique, anglo-saxonne, qui revient en Europe, repeinte par la culture de masse américaine, il doit s’agir d’un retour aux sources. Le week-end comme Halloween d’ailleurs sont deux signes de cette américanisation qui, petit-à-petit, dilue notre identité dans la mondialisation comme si elle n’était pas déjà mise à mal par la présence de « communautés » importantes qui se réfèrent à d’autres traditions que, loin d’oublier, elles réveillent et amplifient parfois jusqu’à la provocation. La Toussaint est donc avant tout une fête de l’identité, celle de notre pays, dont les politiciens disent qu’il est attaché à la laïcité, alors que bien évidemment il est, culturellement, d’abord catholique. Combien de communes dont le nom commence par le mot « saint » ! Combien de rues, de stations de métro à Paris, qui se réfèrent à un saint, souvent parce qu’il est celui choisi comme protecteur de l’église voisine ? La France est revêtue d’ »un blanc manteau d’églises » et d’abbayes, selon le juste mot de Raoul Glaber, un vêtement que la Révolution, malgré sa rage destructrice, et l’avidité des acquéreurs de « biens nationaux », n’est pas parvenue à lui arracher, que trop d’incendies ou de profanations lacèrent dans une relative indifférence.
Cette prise de conscience identitaire est essentielle. On ne peut exister en gommant ce que l’on est, en disant que la France est essentiellement un pays qui serait équidistant de toutes les religions. La liberté des cultes n’implique pas qu’on dénie à l’un d’entre eux d’être plus lié que les autres, à notre histoire, à notre sensibilité, et donc à notre identité. Le catholicisme implique de croire que Dieu est un, mais en trois personnes, que la Vierge Marie est Mère de Dieu, et non seulement d’un homme, que de multiples saints intercèdent entre Dieu et les hommes. Qu’un musulman se serve de ces croyances pour voir dans le catholicisme un faux monothéisme n’est pas dépourvu de logique. Mais cela n’enlève rien à la puissance du message du Christ, un vrai message d’amour et de paix, celui d’un Dieu qui se sacrifie à travers son fils pour sauver l’humanité plutôt que de demander que l’humanité continue à lui sacrifier des animaux, des moutons, par exemple…. Et ce message s’est peu à peu répandu des villes vers la campagne, vers les paysans, les « païens », en épousant bien des traditions, et notamment ce besoin d’intercesseurs et de modèles que figurent les saints. Alors bien sûr on peut être attaché à celui de sa paroisse, à celui de sa corporation, à celui dont on porte le nom, on peut préférer Dominique à François, vénérer Saint Louis ou Sainte Jeanne par amour de son pays, et même avoir des doutes sur Cyrille dont le rôle dans la mort d’Hypathie est ténébreux, mais cela ne fait que confirmer que notre identité a toujours été faite de diversité, de complémentarité, et non de contradictions. Bonne Fête de la Toussaint, donc.