Un Français qui se fait une certaine idée de la France où la fierté n’est pas absente ne lit pas l’ouvrage de Christian Chesnot et Georges Malbrunot, « Nos très chers Emirs » sans en être profondément troublé. Certes, les politiques cités, par exemple Jean-Marie Le Guen ou Rachida Dati, parmi les personnes ayant sollicité la générosité du Golfe ont, pour la plupart, promis des poursuites judiciaires contre des diffamations. La gravité des accusations, l’attitude placide des auteurs devant les menaces, la précision de leurs informations auraient dû susciter un débat public afin que dans les plus brefs délais les Français puissent se faire une opinion sur la valeur des allégations des deux journalistes. La justice tranchera. Mais quand ? Nous avons pour l’instant un livre qui n’est pas interdit et qui affirme tranquillement que les politiciens français se laissent acheter plus facilement que les autres, que certains d’entre-eux n’hésitent pas à tirer un profit personnel de leurs déclarations, voire de leur influence, sur la politique étrangère de la France. Bref, des hommes et des femmes que le peuple a portés au pouvoir pour le représenter ou le diriger, vendraient ce pouvoir, et le pays par la même occasion, dans leur intérêt personnel. Il est étonnant qu’une révélation aussi importante que désastreuse pour nos institutions soit assez rapidement tombée dans un silence indifférent. C’est trop grave, trop énorme pour qu’on puisse y croire, dira-t-on. Les auteurs ont voulu provoquer un scandale pour augmenter le tirage, pourra-t-on ajouter… Mais des événements encore récents ont hélas montré que les dénégations formulées par les comédiens de talent que sont parfois les politiciens finissaient par s’effondrer devant des enquêtes journalistiques menées avec sérieux.
Si on s’en tient aux faits, on ne peut que relever le tropisme de la politique française en direction du Golfe : des déplacements et des séjours de nos responsables politiques dans cette région du monde à l’installation d’une base militaire, des conférences rémunératrices à l’implantation d’une annexe du Louvre, de l’attaque de la Libye à l’agressivité particulière à l’encontre de la Syrie de Bachar Al-Assad, il faudrait être aveugle pour ne pas voir que la France courtise des Etats dont le seul mérite est d’être riches, alors que leurs valeurs sont aux antipodes des nôtres. Si on en attend des marchés profitables pour notre pays, des ventes d’armes, des investissements, y compris dans nos quartiers difficiles et avec le risque de favoriser le développement chez nous d’un islam salafiste dépendant de l’étranger, cet espoir de boutiquier obsédé par le court terme est déjà plus qu’une insulte, une véritable trahison à l’encontre de la France et du niveau où on doit la placer. Par ailleurs, l’intérêt particulier que Paris suscite dans les Etats du Golfe ne tient pas seulement aux charmes de notre capitale pour ceux qui ont de l’argent et aiment le luxe. L’exécutif français a la bonne taille pour subir une influence efficace. Il jouit encore d’un rayonnement international que lui confèrent sa présence permanente au Conseil de Sécurité de l’ONU, sa force nucléaire, et son déploiement diplomatique. Mais, parce qu’il est en déclin, notamment sur le plan économique, que ses fins de mois sont difficiles, il est évidemment plus sensible aux propositions d’amis généreux. Enfin, c’est le pays d’Europe qui comprend l’immigration maghrébine, musulmane donc, la plus importante. La main droite des Saoud aime les palaces et les grands bijoutiers mais leur main gauche wahhabite s’intéresse davantage au potentiel religieux que représente notre terre d’accueil. Ces pays sont en fait fragiles. Ils sont menacés par l’Iran voisin et pour certains par des troubles sociaux que les trous d’air de l’économie pourraient exacerber. Ils ont donc besoin du soutien que nous leur offrons. D’où leur générosité.
L’oligarchie que nous subissons a donc choisi ces amis. Le tout est de savoir si cette orientation reste politique ou si elle est en partie fondée sur les avantages particuliers qu’en retirent certains de nos politiciens. Des faits précis qui concernent des personnes nommées sont cités par Chesnot et Malbrunot. Le caractère sordide des démarches effectuées d’après eux par des élus, voire par un ministre, soulève un tel dégoût qu’il éveille aussi un certain scepticisme. Mais si la mendicité de l’un, le chantage du second, les exigences somptuaires du troisième, et l’abondance des cadeaux reçus par beaucoup étaient vérifiés, c’est tout un système qu’il faudrait balayer.
4 Comments
Comments are closed.