Dès le départ et lorsqu’il avait lancé, en fanfare, son brochet projet pour la France, le président Macron souhaitait mettre le pays « En Marche ». À mesure que le dirigeant français s’enfonce dans son quinquennat comme une chips molle entre les deux coussins dans un gros canapé en cuir, le doute s’immisce sur la volonté de réellement faire avancer le pays.
En fait de le mettre en marche, Emmanuel Macron semble avoir poussé le pays à reculons : les réformes fanfaronnées dans toute la presse se dégonflent les unes après les autres, et les vagues bricolages présentés comme des progrès ressemblent de plus en plus à des reculades ou des atermoiements qui riment plus avec piétinement qu’avec avancement.
Les derniers résultats des élections européennes, bien que lourdement entachées d’une abstention record, ont de surcroît envoyé un message très clair au frétillant quadragénaire qui les interprète pourtant simplement comme un besoin des Français pour davantage d’écologie ou, plus prosaïquement, lui ont rappelé que sans vigoureusement ripoliner ses élucubrations politiques d’une solide couche de vert tendre, il risquait de se prendre une peignée aux élections suivantes.
La presse, comprenant le pari élyséen, lui a donc emboîté le pas dans cette nouvelle orientation écoloïde, ce qui aboutit aux torrents d’imbécillités niaiseuses auxquelles nous assistons actuellement, depuis les idioties sur les effets néfastes potentiels, supposés et particulièrement imaginatifs du réchauffement climatique sur notre avenir (ce dérèglement entraînant – par exemple – la prochaine crise financière ou les précédentes crises humanitaires, la disparition du poisson ou des nuages, …), jusqu’à l’hystérie complète devant l’un ou l’autre événement en rapport direct ou pas avec l’environnement (comme c’est le cas avec l’Amazonie).
On aboutit au final à un véritable tir groupé du politique et du médiatique pour bien nous faire comprendre que tout, absolument tout allait être fait pour nous sauver la mise d’une fin apocalyptique, contre notre gré s’il le faut, et grâce à l’empilement judicieux d’interdictions, de taxes et de contraintes (car tout le monde sait que les taxes et les interdictions, ça marche !).
C’est ainsi qu’on se retrouve avec les déclarations consternantes du président concernant la marine marchande, déclarations reprises sans la moindre remise en question par la presse, lors du dernier G7. Pour Macron, une des solutions pour réduire les émissions de dioxyde de carbone consiste à réduire la vitesse des cargos :
« De manière solennelle, pour la première fois, nous allons nous engager avec les transporteurs maritimes pour réduire la vitesse des navires »
Eh oui : les calculs des transporteurs, des organisations plus ou moins non-gouvernementales, des journalistes et des politiciens du Ministère des Petits Oiseaux et de l’Air Pur sont formels puisqu’en réduisant sa vitesse de 12 à 11 nœuds (de 22 à 20 km/h), un pétrolier réduirait sa consommation de carburant de 18%…
Apparemment, personne ne semble trop se soucier de quelques éléments pourtant importants : ralentir le commerce maritime, cela veut aussi dire de façon quelque peu tautologique (mais apparemment nécessaire à rappeler) qu’un bateau qui avance moins vite prendra plus de temps à faire le trajet qu’on lui demande, et arrivera donc plus tard au port de destination. Or, ceci a des conséquences économiques évidentes à commencer par le fait qu’en accroissant les durées des flux, on en augmente substantiellement les coûts et les contraintes. Quand il s’agit de pétrole, cela peut avoir un impact (sur les cours). Quand il s’agit de nourriture, cela peut modifier là aussi sensiblement les impératifs de récolte, les pertes en transport, entraîner d’autres coûts annexes (chaîne du froid)…
Tout ceci n’est pas gratuit et l’introduction de ces nouvelles limitations, lorsqu’elles sont ainsi imposées par des politiciens et non par des contraintes de marché, revient à contraindre une série de prix qui s’en retrouvent inévitablement biaisés, rarement en faveur du consommateur.
En outre, la lenteur des uns fait le bonheur des autres, plus rapides. Au plan international, il apparaît fort peu raisonnable de parier sur le fait que tout le monde va ralentir alors que le premier à ne pas le faire va s’en retrouver sensiblement avantagé…
Pour le moment, les grandes sociétés de transporteurs qui se sont engagées à réduire la vitesse de leurs bateaux l’ont fait volontairement, en faisant avant tout un calcul économique et marketing : en se positionnant ainsi, elle peuvent (quitte à faire un peu de greenwashing ou écoblanchiment) prétendre œuvrer pour une meilleure planète, tout en réduisant leur facture de carburant, en tenant compte des contraintes de marchés auxquelles elles sont soumises et s’adaptent naturellement avec autant de souplesse que possible.
L’idée de Macron se traduira inévitablement par une loi qui anéantira cette adaptabilité : plus question alors, pour tel transporteur, d’autoriser exceptionnellement tel ou tel cargo à voyager plus vite sur cette ligne ou lors de ce trajet particulier afin de garder un contrat…
On le comprend : l’avenir maritime semble se diriger (doucement, tout doucement) vers une marche chaloupée et taxée pour s’assurer que rien n’arrivera trop vite.
Or, de façon inquiétante, il s’agit bien d’une tendance de fond à laquelle on assiste, alors que peu semblent prendre la mesure de ce qu’elle implique.
Il n’y a pas si longtemps, quelques décennies tout au plus, on cherchait plutôt à augmenter la vitesse de déplacement des biens, de l’information, des capitaux et des personnes. On semblait avoir compris que le temps était une denrée rare, la plus rare de toutes sans doute, et qu’il était donc désirable de diminuer le temps passé à attendre (fut-ce un bien, un service, un individu ou le résultat d’un calcul).
Il n’y a pas si longtemps, on cherchait à relier Paris à New-York en moins de trois heures et le Concorde le permettait. On cherchait à rapprocher les villes les unes des autres (quitte à engouffrer des fortunes dans un TGV au détriment de toutes les autres lignes). On cherchait à fluidifier les déplacements de ville en ville, et à l’intérieur de celles-ci.
Et puis subitement, dans quelques sociétés vieillissantes dont la France fait maintenant partie, il n’a plus été question que de ralentir.
La voiture fut la première victime, évidemment, avec la pluie de réduction des vitesses maximales autorisées au point que le 50 km/h en ville n’est plus qu’une chimère. Les aménagements urbains de plus en plus délirants, visant tous à la faire fuir hors de la ville, ont surtout multiplié les bouchons et rendu les commerces du centre inaccessibles (puis en faillite).
L’avion est maintenant sur la sellette : polluant, beaucoup trop bon marché et par conséquent proposant à trop d’individus d’aller voir ailleurs s’ils y sont, c’est une attaque en règle qu’il subit. La multiplication des contrôles et des contraintes débiles transforme un trajet de deux heures en l’air en périple de quatre heures dont deux à supporter un parcours anxiogène dans des mesures de sécurité aussi ridicules qu’inutiles. On en vient à encenser une adolescente qui refuse de prendre l’avion quitte à prendre la mer pendant plusieurs jours, ce qui impose (comble de l’ironie et de la stupidité) de multiples allers-retours en avions à tous les membres de l’équipe qui va l’entourer dans son coup de pub…
Voilà qu’on s’en prend maintenant aux bateaux, qui, gageons-le, ne seront pas les derniers sur la liste des transports qu’il faudra absolument handicaper…
Surtout ne perdez pas de vue que ce qu’on vous propose ici, ce n’est pas un monde moins polluant (il n’en sera rien), ce n’est pas un monde plus gentil ou plus doux. Non. Ce ne sera rien d’autre qu’un monde plus lent, plus mou, plus difficile à parcourir, plus pénible à arpenter, comme il le fut il y a 100, 200 ou 2000 ans de cela.
Charmante perspective !
> H16 anime le blog Hashtable.