Dans le théâtre que nous offre le monde politique, Emmanuel Macron est-il un personnage de tragédie ou de comédie ? Soit il se trouve confronté au dilemme déchirant de se vouloir intelligent et d’être socialiste. Soit, il dit par naïve maladresse d’un « bleu » en politique, ce que les roublards de Valls et de Hollande, ont envie de faire entendre. La gauche a accumulé les mesures économiques stupides chaque fois qu’elle a été au pouvoir. Comme la prétendue droite n’a eu ni le courage ni la lucidité de les remettre en cause frontalement, il faut bien, si on veut que le naufrage du pays s’arrête, changer de cap, y compris à gauche, comme les Allemands, les Britanniques et d’autres, depuis longtemps. Que ce soit à titre personnel ou comme éclaireur de l’exécutif, Emmanuel Macron a déclaré : « La gauche a pu croire, il y a longtemps que la France pouvait aller mieux en travaillant moins ». Cette formule est triplement étonnante. D’abord, elle est mensongère puisque la gauche a fait de la réduction du temps de travail, dans la semaine, dans l’année et dans la vie l’axe principal de sa politique sociale à chacun de ses passages depuis 1981. C’était d’abord par pure idéologie, pour valoriser le « temps libre » à l’époque où un ministre lui était dédié, face au travail aliéné au profit du patronat, puis ce fut pour lutter contre chômage en partageant le travail. Dans les deux cas, le résultat a été une perte de compétitivité, et un recul de l’économie française. Le mandat présidentiel actuel n’a pas osé toucher à cette icône de la dévotion socialiste. En second lieu, la déclaration est provocatrice puisqu’elle porte atteinte à un acquis sacro-saint du socialisme, la ligne rose que certains sont prêts à défendre bec et ongles, les 35 heures. Bien qu’il n’ait pas osé nommer le tabou, les frondeurs qui refoulent mal leur inconscient d’inquisiteurs populaires, façon 1793, crient à la trahison, au blasphème. Enfin, et c’est un comble, ce sacrilège a été commis dans le temple ennemi, chez les patrons, au Medef, faisant du traître un transfuge, une honte.
L’onde de choc a parcouru le pays jusqu’au congrès PS de La Rochelle, où le félon n’est pas invité. Comme d’habitude, étrangers à toute réflexion économique, les socialistes en ont fait une affaire de morale. Bartelone a appelé à la prudence en demandant à chacun de faire attention à ses propos. Logiquement, le 1er secrétaire Cambadélis a souhaité que les uns et les autres ne participent pas à la fragmentation de la gauche. Le député Yann Galut a stigmatisé l’insulte à l’histoire de la gauche. Valls a conclu noblement en affirmant qu’il n’était pas question de toucher au temps de travail légal. Aucun n’a avoué que la réduction du temps de travail généralisée, sauf dans les petites entreprises, mais aussi dans la fonction publique était un monument d’inepties.
D’abord, le travail ne se divise pas, il se multiplie. Lorsqu’on le partage en augmentant les charges et en réduisant le pouvoir d’achat, on crée les conditions d’une croissance du chômage. Lorsqu’on travaille davantage, on améliore la compétitivité et on gagne des marchés : on crée de l’emploi. De plus, on élève son pouvoir d’achat et le marché intérieur s’en porte mieux. Ensuite, le temps de travail n’est pas uniforme suivant les activités. Manifestement les 35 heures ont été calamiteuses dans la fonction publique hospitalière. De manière générale, elle a été absurde dans la fonction publique, puisque ce que l’on demande à un fonctionnaire, à un policier, par exemple, c’est sa présence, non sa productivité. Bien sûr, l’idée était d’accroître le nombre des fonctionnaires pour réduire le chômage, mais c’était là oublier que l’alourdissement des impôts conséquent allait freiner l’économie et… augmenter le chômage. Le temps de travail dépend de la productivité. Dans un pays qui possède un système politique et social adulte, ce sont les syndicats qui doivent négocier la durée du travail en fonction de la productivité nécessaire à la compétitivité de l’entreprise. Les Allemands pratiquent les 35 heures depuis longtemps dans la métallurgie. Ils n’en ont pas fait une durée générale légale !
La France doit procéder à une triple révolution. Elle doit d’abord se libérer des débats idéologiques stériles. Même la prétendue droite n’a jamais osé balayer l’illusion néfaste des 35 heures. En 1996, à l’époque de Chirac, elle avait même anticipé avec la loi de Robien cette idiotie du partage du travail, avec double intervention de l’Etat : contrôle du maintien ou de la création d’emplois, baisse des charges en échange. Du socialisme avant l’heure. Elle doit cesser de considérer que l’économie est l’affaire de l’Etat. Rebsamen n’a pas évité le ridicule en disant : « j’allais y arriver », comme si la création d’emplois était le résultat de la politique d’un ministre ! Ce sont les entreprises qui embauchent et elles le font si leur position sur le marché est favorable. Les pouvoirs publics peuvent y contribuer, notamment en réduisant la fiscalité et les charges, en améliorant la compétitivité par des mesures fiscales comme la TVA sociale ou en assouplissant le code du travail. Les équilibres doivent être réalisés par le dialogue social entre les partenaires. L’Etat complique, rigidifie, alourdit. Enfin, il faut profiter de la modestie de nos résultats et de la fin des cocoricos sur les exceptions françaises, pour aller voir ailleurs ce qui se fait, là où on travaille plus de 35 heures dans la semaine, plus de 1536 heures dans l’année, et au-delà des 62 ans que beaucoup de Français n’atteignent pas parce qu’ils sont au chômage depuis longtemps ou profitent des « régimes spéciaux ».
En 1997, le dirigeant d’une très grande entreprise du Nord-Pas-de-Calais avait prévenu : « nous ne sacrifierons pas notre métier, nous irons ailleurs ». C’est ce qu’il a fait, comme beaucoup d’autres.
5 Comments
Comments are closed.