En 1929, George Hill, président de l’American Tobbacco Corporation, contacte Bernays. Il est confronté au problème suivant : il est tabou pour les femmes de fumer en public. Ceci fait potentiellement perdre à Hill la moitié de sa clientèle ! Bernays consulte alors un psychanalyste, qui lui explique que la cigarette est le symbole du pénis, du pouvoir masculin. Pour être acceptée parmi les femmes, elle doit être vue comme un défi au pouvoir masculin. Si Bernays parvient à donner aux cigarettes l’image d’un objet subversif de libération de la femme, et non celui de leur domination, alors elles fumeront. Si la cigarette est associée au pénis de l’homme, il faut que les femmes, en fumant, se disent qu’elles auront leur propre pénis. Lors d’un défilé organisé tous les ans à l’occasion du printemps à New-York, Bernays embaucha des jeunes femmes, à qui il demanda, à un signal donné, de sortir des cigarettes en public et de les fumer. Il avait aussi prévenu les journalistes que des féministes (les “suffragettes”, militantes pour que les femmes acquièrent le droit de vote) feraient un coup d’éclat, un “geste fort de protestation”. Elles allumèrent alors les cigarettes en public, fait qui fit la une de tous les journaux et l’objet de toutes les conversations. Lorsqu’elles furent interrogées par les journalistes, les jeunes femmes expliquèrent qu’elles avaient allumé “les torches de la liberté”. Ce slogan avait été préparé à l’avance par Bernays. Il faisait évidemment référence implicitement à la statue de la liberté. Puisque c’est de liberté dont il s’agissait, on ne pouvait pas être contre. Au fait de fumer pour une femmes avait été implicitement associé la cause féministe : quiconque soutenait les libertés de la femme se sentait obligé de défendre leur “droit de fumer en public”. Le tabou fut ainsi levé car assimilé à un machisme réactionnaire. De leur coté, les femmes pensèrent être puissantes et indépendantes en fumant : elles faisaient enfin comme font les hommes. L’association du fait de fumer et de la cause des femmes est totalement irrationnelle, mais elle permit de voir le fait de fumer non comme une aliénation mais comme une libération : cela les fait se sentir et être vues comme indépendantes. » Décryptage : Barneys détourne une histoire réelle (le combat des femmes pour leur libération) et permet à toutes celles qui ne luttent pas directement de se projeter en elle. Même les hommes sont invités à entrer dans le dispositif narratif, en prenant position : les « progressistes » ne peuvent s’y opposer, car ceux qui le font deviennent de ce fait « réactionnaires ». Pour situer le personnage, Barneys était neveu de Freud et a compris avant tout le monde l’importance de s’adresser directement à l’inconscient. C’est ce que nous avons soulevé en parlant d’archétypal dans la narration (qui est plutôt une notion issue de Jung, autre père de la Psychanalyse qui a poussé très loin le travail sur les mythes communs à l’humanité).
Pourquoi fument-elles ? L’histoire de l’homme qui a fait fumer les femmes…
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