Le piège du selfie
Salut, vous êtes tombés dans le piège !
Il y a encore en France de nombreuses personnes, surtout parmi les politiques et les observateurs, qui n’ont pas compris, ou qui ne veulent pas comprendre, les nouvelles modalités de la communication. Certaines personnes m’ont reproché le côté ridicule, voire bouffonesque, d’un selfie avec Bachar El-Assad. D’autres sont venus m’expliquer doctement à quel point toutes ces affaires méritaient un peu de sérieux et de convenances. Merci bien, mais je sais évidemment tout cela. Mais je sais aussi autre chose : les trois-quart (si ce n’est beaucoup plus) des personnes qui sont en train de lire cet article ou qui le liront, sont et seront venus par le truchement de ce selfie un peu guignol. Sans cela, pas de buzz, pas de polémique, peut-être même moins d’informations médiatiques sur le voyage des parlementaires, et donc, au final, moins de fond, moins de personnes interpellées – en définitive : moins de Syrie. Qu’on le regrette ou non, telles sont les nouvelles conditions de la communication politique, et je ne vais pas m’en passer par excès de puritanisme, surtout quand d’autres n’ont pas ces précautions d’usage pour servir des causes que je crois bien moins nobles.
Le voyage
Qu’on le croit ou non, ma présence parmi des parlementaires des Républicains est plus une histoire de hasard qu’autre chose. Je devais partir en Syrie depuis longtemps pour des raisons qui me sont personnelles, affectives, amicales et professionnelles. Je suis donc parti dans le cadre d’une délégation de plusieurs personnes, chercheurs, écrivains, journalistes, hommes d’affaires, et aussi politiques. Il se trouve que cette délégation était composée, dans sa partie politique, de députés des Républicains. Mais, à la vérité, cela aurait pu être des parlementaires d’autres bords si, au lieu de partir maintenant, j’avais plutôt décidé de partir plus tard, au sein d’une autre délégation.
Toutefois, pour ne pas faire de langue de bois, je vous dirai quand même que cela ne me dérangeait pas outre-mesure de partir avec des députés de la droite populaire. Évidemment. Désormais libre de tout parti politique, je gravite dans ce corps si nébuleux et à la fois si passionnant, de la « droite » au sens large. J’ai des amis au FN, aux Républicains, chez les indépendants de toutes sortes, et même jusqu’aux centristes. Je pense que ces gens doivent se parler car, comme je l’ai constaté durant ce séjour, nous avons tout de même des choses à nous dire.
Ce que j’ai vu
Je savais déjà pas mal de choses sur la Syrie et la guerre qui s’y déroule depuis cinq ans. Des informations complémentaires et annexes que celles diffusées par les grands médias m’avaient déjà pénétrées, et j’avais la chance, surtout, de connaître un certain nombre de Syriens qui me parlaient librement de ce qu’ils avaient vécu et de ce qu’ils pensaient. Je dois donc dire que ce voyage n’a fait que confirmer mes idées reçues. Mieux encore, il les a surenchéries. Je vais essayer d’être factuel :
La société syrienne est singulière. En plein cœur du Proche-Orient, confinant même au Moyen-Orient, elle nous offre un spectacle dont on a difficilement idée dans nos pays fatigués d’Occident.
Après vous, mesdames. Ce qui frappe, dans ce pays arabe, est la liberté des femmes. La plupart ne portent pas de voile, se maquillent et s’apprêtent, travaillent et sortent le soir, en toute liberté et, manifestement, avec joie. J’ai vu des artistes femmes peignant, sculptant à leur guise, dans le centre d’art de Damas. J’ai vu une femme gagner une course à cheval dans un concours d’équitation, se faisant acclamer par la foule. J’ai vu des femmes étudiant la médecine, la littérature ou la communication. J’ai vu des femmes qui engueulaient certains hommes, lesquels baissaient la tête et repartaient la queue entre les jambes. J’ai vu des femmes belles, enfin, dans la pure tradition de la beauté des femmes arabes, très féminines et à la fois très fortes.
Ce qui frappe également est la laïcité qui règne dans ce pays. Réunis autour d’un très fort nationalisme et habitués par des siècles de cohabitation, la confession des syriens ne compte pas vraiment pour eux. Au niveau du pouvoir, l’ancien premier ministre était un chrétien et s’est exprimé en premier devant le peuple du haut d’un minaret. J’ai vu le grand mufti de Damas se fendre la poire avec le patriarche orthodoxe, comme je l’ai vu prier pour les chrétiens. J’ai vu le patriarche latin, lors de la messe de Pâques, prier aussi pour son pays, pour tous les syriens. Au niveau de la population, j’ai vu les jeunes se mélanger et faire la fête ensemble sans considérations religieuses. Ce qui compte pour eux, c’est la Syrie, ils en partagent tous l’ethnicité et ceci est notable.
Ce nationalisme et cette fierté nationale nous sont étrangers. Quelle surprise de voir se lever d’un seul coup, sans injonction d’aucune sorte, des centaines de jeunes dans un hippodrome pour chanter des chants patriotiques et se mettre à danser frénétiquement. Les syriens sont un peuple fier, leur pays est ancien, prestigieux, important à leurs yeux. Certains m’ont dit en pleurant qu’ils avaient honte qu’on puisse désormais les identifier à des réfugiés misérables, et il est vrai que l’on peut noter qu’avant cette guerre, les seuls immigrés syriens que l’Occident pouvait connaître étaient des médecins ou des étudiants.
Deux choses maintenant : la première, je mets au défi n’importe quel journaliste, observateur, politique, n’importe quel citoyen, de ne pas constater exactement ce que je viens de décrire s’il part en Syrie. La deuxième enfin, qui en découle : qu’on le veuille ou non, en plein proche et moyen orient, une société pareille est une chance, une richesse. Que l’on puisse collaborer à vouloir la mettre en l’air, au profit d’islamistes, est d’une immoralité et d’une bêtise sans nom. Quelles que peuvent être ses imperfections, et il est normal qu’il y en ait – comme l’autoritarisme du parti baas – je suis convaincu qu’il faut être fou, naïf ou très mal intentionné pour vouloir abattre un tel modèle, si réjouissant dans le monde arabo-musulman. Avant de regarder ses vices, il paraît évident que la situation du monde musulman devrait nous faire plutôt admirer ses vertus.
La guerre
Les syriens se sont habitués à la guerre, mais ils ont toujours le cœur lourd lorsqu’ils évoquent la situation du pays avant que celle-ci ne se déclenche (tourisme en très forte hausse, économie de plus en plus prospère, etc.). Leur sentiment est celui de l’incompréhension. Les gens qu’ils affrontent sont des islamistes de la pire espèce, élevés dans des moquées wahhabites que les saoudiens finançaient. Le reste des forces non-islamistes qui, pourtant, s’opposaient à Bachar El-Assad, comme les Kurdes, travaillent désormais avec lui contre ces mêmes islamistes, car nous avons eu la confirmation que c’est désormais Damas (entre autres) qui les arme. Le jeu de la Turquie, avec cet Erdogan si hostile à l’Occident (déclarant il y a trois mois à peine à des jeunes turcs, en montrant Sainte-Sophie, que leurs ancêtres l’avaient conquise aux chrétiens comme ils devront le faire eux-mêmes en Europe), est tout aussi détestable.
J’entends bien le discours désormais en vogue chez quelques politiques ou intellectuels qui, en s’accrochant aux branches, nous racontent qu’il faut pratiquer un « ni Bachar ni Daech ». Ceci est bien beau, mais n’appartient qu’aux belles paroles et n’a aucune espèce de réalité dans cette partie du monde. La vérité est que Bachar incarne une garantie du mode de vie des Syriens dont je parlais plus haut, et que si cette garantie disparaîssait, la plus logique et évidente probabilité est que ce soient les islamistes qui recouvrent de leurs ombres cette société. Ceci explique le soutien impressionnant des syriens pour leur président. Je n’avais qu’à montrer mon « selfie » à des passants dans la rue pour qu’ils se pâment ou tombent en larmes. Pour eux, Bachar est leur seul bouclier contre Al-nostra et Daech. Et nous voudrions leur donner des leçons ? Nous ? Bien à l’aise dans nos foyers, leur expliquer qu’ils devraient foutre en l’air leur méchant dictateur sans se soucier de ce qui pourrait advenir après, comme nous l’avons vu et fait en Libye ? Non merci.
De même, à propos de cette guerre et comme nous en avons discuté avec le grand Mufti de Damas, si la Syrie laïque de Bachar El-Assad devait tomber, c’est un bouclier de plus qui tomberait pour l’Europe. Tout islamiste que la Syrie neutralise est aussi un islamiste en moins sur le sol européen.
Bachar El-Assad
Après ce que je vais dire maintenant, il est certain que les trolls sur internet ou les journalistes un peu imbéciles vont se contenter de résumer en une sentence : « Rochedy fan de Bachar » ou autres intelligences de genre. Tant pis pour eux.
David Pujadas l’a aussi dit, comme quasiment tous les hommes qui le rencontrent et parlent avec lui : nous avons à faire un homme doux, subtil, intelligent, et dont la timidité qui persiste en lui rend charmant. Bachar El-Assad n’a pas du tout les caractéristiques du dictateur arabe qui joue de son menton et de son autorité. Il vous accueille et vous demande, en français, de lui parler librement. Il rit et vous couvre de son empressement ainsi que de sa politesse. Ce sont là des faits. Bien entendu, les petits malins penseront que tout cela n’empêche pas un cœur froid et violent. Je donne juste mon sentiment. J’ai vu un homme dans la pure tradition du raffinement et de la civilisation syrienne, un homme qui m’a paru être soucieux de son pays et de la paix prochaine, dans un palais assez modeste protégé par un contingent ridicule de gardes (deux seulement à l’entrée!). On me reproche d’avoir fait un selfie avec un monstre ; je crois cette photo infiniment moins grave que la décoration par François Hollande, il n’y a que quelques semaines à peine, d’un ministre saoudien, c’est à dire ceux-là même qui financent et arment partout les pires islamistes et dont le pays ne connait pas le quart du centième de la liberté (des femmes, des minorités, etc.) de la Syrie.
Bachar n’a pas déclenché la guerre. Il s’est opposé tout de suite à des islamistes qui menaçaient son pays. Il leur a fait, sans doute durement, mais il n’y a pas lieu d’être une belle âme ayant de la pitié pour ces gens là, car eux n’en ont pas. J’aimerais qu’on arrête de véhiculer également ce mensonge éhonté selon lequel Bachar aurait tué 200.000 syriens, en lui attribuant tous les morts de la guerre, y compris ceux de son propre camp ! Mais comme dit le proverbe, rappelé par Thierry Mariani : « A la guerre, la première victime est la vérité. ».
Syrie, bonne chance
Pour terminer, que demander aux incrédules et aux méchants ? De partir visiter la Syrie, se faire une opinion par eux-mêmes. D’espérer en la paix prochaine et en la défaite des islamistes. La Syrie, qui n’est pas parfaite, est toutefois un bel exemple de pays musulman. Elle combat nos mêmes adversaires. Et elle ne nous menace pas.
Je crois qu’elle mérite qu’on s’y attarde. Qu’on la soutienne. Et, si vous êtes comme moi, qu’on l’aime.
> le blog de Julien Rochedy
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