La démission de Taubira est à la fois une surprise, tout en étant attendue. Le hashtag Taubirademission a donc été exaucé. Mais on peut se demander ai, au fond, cette démission ne serait pas au service de la stratégie de recentrage du quinquennat hollandien. C’est bien la question du logiciel de gauche qui est posé. Le maintien de Christiane Taubira place Vendôme faisait figure de mystère insondable. Il est vrai que le garde des Sceaux devenait de plus en plus isolé par rapport à la ligne politique plus centriste, voire droitère, du quinquennat. Sur les mesures envisagées dans le sillage des attentats de novembre 2015, comme la déchéance de nationalité, elle prenait même ses distances, ce qui rendait son maintien intenable. Dans son ministère, Taubira a même connu une véritable valse des conseillers ministériels, au point qu’il ne restait plus grand monde de son équipe de 2012… Comment expliquer la démission de Christiane Taubira ? Il faut d’abord aborder la question de son image à gauche.
« La vraie question est celle de l’orientation de la gauche qui apparaît en filigrane de cette démission. »
Christiane Taubira c’est évidemment une caution sociétale, certes travailleuse, d’une gauche qui est en pleine crise d’identité. Le socialisme, c’est dépassé, surtout avec les piques de Macron contre les 35 heures, les déclarations de d’amour de Valls pour le patronnat ou les mesures sécuritaires consécutives aux attentats de 2015. L’effet Bataclan aura eu cette conséquence de faire admettre qu’il y a des français qui le sont moins que les autres… Même si elle reste symbolique, la déchéance de nationalité n’est plus un tabou. Le sociétal, cela ne prend guère dans la population, même si cela plaît à des petits milieux. À défaut de séduire le petit peuple et le Français moyen, ces options, dont le mariage pour tous a été l’aspect le plus visible de la galerie, ont plu au Paris bobo. Mais c’est insuffisant pour avoir une base électorale solide. Or, celle-ci n’a cessé de se rétrécir. Les tueries du Bataclan ont certainement accéléré une droitisation déjà présente depuis 2012. Taubira était une des rares icônes de la gauche morale. La gauche sociale a disparu avec la rigueur économique mitterrandienne et la conversion à l’économie de marché. Mais on s’aperçoit que la gauche morale, favorable aux minorités sexuelles ou ethniques, est, à son tour, en train de couler. L’étranger ou l’immigré ne fait plus recette. La vraie question est celle de l’orientation de la gauche qui apparaît en filigrane de cette démission.
L’orientation de la gauche : un sujet crucial
La crise d’identité est bien présente. Il y a bien longtemps que la collectivisation de l’économie n’est plus revendiquée à gauche. Le« changer la vie » de 1981 s’est effacé face à la nécessité de rassurer les marchés financiers. Mais les stratégies de substitution s’avèrent hasardeuses lorsque le PS se prive d’un électorat solide. La « drague » des banlieues a trouvé ses limites en faisant fuir les français modérés. C’est peut-être ce qu’ont compris Hollande et Valls en jouant cherchant davantage à séduire sur leur droite, quitte à proposer des mesures « fortes » qui ne pourront qu’embarrasser une droite fragile. Hollande et Valls parviendront peut-être à faire ce dont rêvait François Mitterrand : incarner cette « force tranquile », c’est à dire une gauche débarrassée de ses excès qui deviendrait la véritable force centriste du pays, marginalisant à la fois l’extrême gauche et le FN, tout en affaiblissant la droite parlementaire et captant durablement cet électorat modéré orphelin de la démocratie-chrétienne. Cela suppose donc l’abandon d’un discours gauchisant et même socialiste. La sociale-démocratie serait donc le véritable logiciel de cette gauche qui n’a de choix que de s’aligner sur ses homologues européennes (le New Labour de Blair ou le SPD de Schröder). Mitterrand ne put réellement réaliser cette option, malgré sa réélection en 1988, à cause de son grand âge et d’un PS qui a fini par lui échapper à partir de mai 1988. Le gros danger de cette configuration serait surtout pour les Républicains qui pourraient faire les frais de cette recomposition, s’ils devaient choisir entre un PS normalisé et le FN, au second tour des présidentielles. On comprend que Juppé se droitise par ses propositions exprimées dans son récent livre. Le grand jeu de 2017 est déjà en place… Juppé-Hollande, ou le duel des centres. Le grand enjeu pourrait être cet électorat modéré, en partie droitisé, qui ne veut pas du FN pour des raisons économiques (attachement à un certain patrimoine, refus d’abandonner l’euro…). Il pourrait être convaincu par la crédibilité de François Hollande qui aura su s’imposer face aux attentats. Ces derniers ont ouvert une fenêtre de tir idéal pour le locataire de l’Élysée. Comment ne pas en profiter ?
Attention aux fausses réjouissances !
À droite, la démission de Christiane Taubira a été suivie d’une avalanche de cris de victoire sur les réseaux sociaux. Militants et les personnalités politiques se sont lâchés, sortant (symboliquement) le champagne. On peut certes se réjouir de ce soulagement. Pour autant, il ne conviendrait pas de se réjouir aussi rapidement. Outre la question du « recasage » de Taubira – on pense à une nomination au Conseil constitutionnel -, cette démission enlève à Hollande et Valls une cible facile. La démission de Taubira facilite donc cette stratégie de droitisation. Ce sera un boulet en moins, mais surtout un gage de crédibilité en plus. Les attaques contre le successeur de Taubira, Jean-Jacques Urvoas, seront plus difficiles, surtout si l’intéressé présente un profil plus sécuritaire. Les enjeux présidentiels de 2017 sont bien là. Dans un domaine régalien (la sécurité) où le pouvoir peut encore agir, Hollande veut peut-être démontrer qu’à la différence de Sarkozy il a su gérer, au cours de son quinquennat, un dossier lourd et sensible…
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