Au premier coup d’œil, le bilan 2013 de la vie politique française n’a pas de quoi réjouir. Bien au contraire même. Chiffres de l’emploi et de l’économie n’incitant pas à l’euphorie, affaire Cahuzac accentuant un peu plus le désamour entre les Français et leurs dirigeants, insécurité en pleine augmentation au point de pousser les bijoutiers à s’armer et à pratiquer l’auto-défense, sans oublier le pathétique feuilleton « Léonarda » mettant encore un peu plus en lumière l’inaptitude du chef de l’État à sa fonction… On cherche désespérément une occasion de célébrer 2013. Et ce n’est surement pas du côté des finances publiques que nous trouverons de quoi atténuer cette première impression. La dette publique poursuit sa vertigineuse augmentation à plus de 92% du PIB, soit quelques 1 900 milliards d’euros, tandis que le Gouvernement poursuit la folle – et inconsciente – inflation des prélèvements : 83 impôts et taxes créés en à peine plus d’un an !
Bilan désastreux, me direz-vous ? En apparence sûrement. Mais si l’on oublie l’écume de la surface et que l’on s’intéresse de plus près aux courants profonds, si l’on s’interroge sur ce qui restera dans les années – dans les décennies – à venir, 2013 n’est surement pas celle que l’on croit. Car l’essentiel n’est pas là. L’essentiel, c’est une année qui commença dans un cortège ou s’entassaient des centaines de milliers de Français et qui s’acheva par le rejet, au Parlement européen, du rapport Estrela. Entre ces deux dates beaucoup de choses ont changé ; de ces deux dates beaucoup de choses peuvent advenir.
Il y eut d’abord une prise de conscience. Celle d’un monde qui s’est révélé à lui-même sa propre existence. Un monde qui n’avait pas l’habitude de se montrer, de se compter ; un peuple qui ne s’était plus retrouvé dans la rue depuis « l’École Libre » en 1984. La découverte d’une génération aussi, une jeunesse – on ne rappellera jamais assez combien la présence de la jeunesse fut importante et significative à l’occasion de ces mobilisations – qui ne croyait pas être jeune parce que des idéologues à la retraite l’avaient proclamée vieille. Des valeurs que l’on avait présentées comme dépassées ressuscitaient en un instant, frappées d’une étonnante actualité ; des idéaux que l’on avait prétendus archaïques sortaient de la naphtaline sans avoir pris la moindre ride.
“Contre l’existentialisme, la théorie du genre, la dénaturation du mariage, le « il est interdit d’interdire » et autres vieilleries loufoques, un monde s’est levé pour tourner la page de mai 68.”
Ce fut le second enseignement de 2013 : le Peuple bouge toujours. Lui que l’on avait prétendu amorphe, désenchanté, désabusé, lui dont on avait affirmé la jeunesse égoïste, indifférente, absente ; le voilà qui se réveille. Il s’anime et se met en mouvement au cri de « Laissez-nous être ce que nous sommes ! ». Ni racistes, ni homophobes, ni arriérés, ni même extrémistes, ceux qui se sont levés venaient de tous les milieux, avaient tous les âges, représentaient toutes les régions – les provinces aurait-on dit autrefois – de France. Ils ne sont pas sortis de leur réserve pour défendre leur pré-carré de privilèges ou « leurs droits acquis », mais pour des principes qu’ils portaient en eux, contre un projet de société dont ils ne voulaient pas. Contre l’existentialisme, la théorie du genre, la dénaturation du mariage, le « il est interdit d’interdire » et autres vieilleries loufoques, un monde s’est levé pour tourner la page de mai 68. Ce sursaut est d’autant plus révélateur qu’il est profondément politique, totalement hors parti : l’ampleur des manifestations, la détermination des opposants, la fermeté des discours… tout cela ne fut orchestré, prévu – ni même souhaité, oserait-on avancer – par aucune formation politique. Le vieux jeu des formations politiques, des alliances, des rivalités partisanes semble bien à bout de souffle en 2013.
Pour autant – troisième enseignement, il serait bien aventureux de prétendre un peu vite que cette remise en cause soudaine et populaire des grands accapareurs de la démocratie s’est accompagnée d’un discours du « ni-ni », ni Gauche, ni Droite… au contraire ! Si les « Manifs pour tous » furent bien ouvertes à tous, à ceux animés d’une sensibilité plutôt de Gauche et à ceux plutôt de Droite, ce « et-et » se retrouva réuni sur des valeurs résolument de Droite. Mais pas n’importe quelle Droite ! Ce fut le rassemblement de la Droite des Valeurs. Le choix d’une civilisation tournée vers la vie, respectueuse de ses héritages, de son histoire, de sa tradition, voulant préserver son modèle national et familial ; désireuse de rendre à l’homme la place qui est la sienne et de le considérer comme « étant ce qu’il est ».
C’est d’ailleurs bien parce que ce mouvement de contestation a un sens qu’il a une importance. Il est incontestablement l’affirmation de quelque chose qu’on ne regarde pas comme un épiphénomène du moment, il va au delà du simple conservatisme qu’il conviendrait de bousculer pour le faire disparaitre. Dans un monde que les « progressistes » socialistes et libertaires avaient cru converti à la religion des temps modernes, au cœur d’une jeunesse qui devait être le fer de lance de l’avenir radieux de leurs idées, dans la rue même qui était jusqu’alors leur chasse gardée, nos théologiens du genre ont vu renaître la vieille hérésie qu’ils avaient cru oubliée. « Blasphème, monstruosité, obscénité ! » s’égosillaient-ils devant la rue ainsi mobilisée.
“2013, c’est finalement cela : beaucoup de mauvaises décisions gouvernementales mais, peut-être, une mutation des rapports de force idéologique.”
L’affaire leur semblait déjà préoccupante, il manquait un succès – pas encore une victoire – pour qu’elle leur apparaisse grave.
Quelle ne fut pas leur surprise lorsque, le 10 décembre, le Parlement Européen réuni en séance plénière fit échec, in extremis, au rapport Estrela. Celui-ci, du nom de l’eurodéputé portugaise, membre du Parti socialiste européen, grande prêtresse chargée de « la cause des femmes et de la défense des genres », se trouvait être une sorte de petit livre rouge du modernisme à l’usage de l’Union européenne. Avortement, théorie du genre, mariage homosexuel, recherche embryonnaire, et formatage des esprits dès le plus jeune âge : rien ne semblait avoir été oublié dans ce fabuleux bréviaire.
Hélas, 2013 est passée par là !
L’impensable fut acté par 334 voix contre 327. Le dogme bousculé, le rapport battu en brèche, « l’hypocrisie et l’obscurantisme » seuls pouvaient justifier ce « vote honteux »… En bons totalitaires, nos Modernes s’enferment dans le rôle du gentil incompris par les méchants réactionnaires. Une fable connue et reconnue, dont personne n’a hélas pensé à signifier à Madame Estrela qu’elle était, dans l’opinion publique française, quelque peu éculée depuis que Christiane Taubira l’avait utilisée contre une majorité de Français qui combattait son projet de loi…
Car 2013, c’est finalement cela : beaucoup de mauvaises décisions gouvernementales mais, peut-être, une mutation des rapports de force idéologique. Oh ! Ce n’est pas la fin d’un monde, ce n’est pas la promesse d’une année 2014 faite de changement politique, ce n’est peut-être même pas la certitude des raz-de-marrées électoraux que tous ceux qui sont engagés dans le combat électoral attendent pourtant avec impatience et parfois légitimité… mais c’est peut-être plus !
Évidement ce n’est pas demain, sans doute le temps des coups et des désillusions n’est pas totalement terminé, il est possible que la première brèche ne vienne même pas des urnes… Pourtant, qui peut croire que ceux qui ont en 2013 gouté aux baisers de la Vérité puissent en 2014 rentrer tranquillement chez eux pour s’accommoder du goût des mensonges ?
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