Ce n’est pas parce que la France est sur la paille, que sa dette crève tous les plafonds dans une décontraction déconcertante du gouvernement qu’il faudrait pour autant refermer les robinets à argent gratuit des autres. La distribution peut donc continuer joyeusement. Voire s’accélérer, comme en Seine-Saint-Denis par exemple.
On apprenait en effet il y a presque un an par la voix du premier ministre de l’époque, un certain Édouard, épicier spécialiste du hard discount sur les principes républicains, que l’État allait s’engager à verser une solide prime à certains de ses agents restés au moins cinq ans en Seine-Saint-Denis : afin de pérenniser les fonctionnaires sur place, les autorités ont en effet trouvé judicieux d’octroyer jusqu’à 10.000€ de « prime de fidélité » pour ceux de ses agents qui resteraient dans le département cinq ans et plus.
Or, c’est à l’occasion du déplacement à Bobigny de l’actuel premier ministre, un type un peu falot avec un nom d’huile pour moteur, qu’il a été confirmé le versement de cette prime, dès le 1er octobre prochain, aux agents qui répondaient aux critères d’attribution. Il apparaît en effet qu’un tiers des magistrats et plus de 60% des enseignants doivent être renouvelé chaque année en Seine-Saint-Denis, ce département n’arrivant apparemment pas à retenir les bonnes volontés très longtemps.
Cette intéressante nouvelle nous permet au passage d’apprendre deux choses qui, bien sûr, ne sont pas mentionnées dans les petits articulets qui l’évoquent sans trop y toucher.
D’une part, il y aurait dans certains départements un taux d’attrition particulièrement élevé chez les agents de l’État au point qu’on en vienne à distribuer de solides primes pour y rester : serait-ce à dire que certaines zones de France sont à ce point si peu attractives qu’elles en font fuir les éléments les plus capables ?
Pourtant, ce département fait assurément partie d’un des plus vibrants d’activités hétéroclites de notre beau pays, au multiculturalisme pétillant, connu du monde entier. Peut-être est-ce cette activité débordante, ces festivités quasi-permanentes, cette ambiance quelque peu survoltée et cette population décidément très … jeune qui finit par user la bonne santé et la détermination des fonctionnaires qui y sont assignés ?
Ou peut-être cette ambiance masque-t-elle mal quelques incivilités un peu trop prononcées, des petits dérapages citoyens un peu trop festifs, une délinquance voire une criminalité un tantinet trop présentes ? Irait-on jusqu’à dire que ces agents, lassés de gérer un véritable torrent de boue avec les moyens du bords et, surtout, une parfaite et totale déresponsabilisation d’absolument toute la hiérarchie républicaine, s’enfuient dès qu’ils le peuvent d’un département qui, chaque jour qui passe, sombre dans cet ensauvagement que le Camp du Bien a rapidement qualifié de mythe avant de l’attribuer à une extrême-droite coupable de tous les maux ?
Non, cela ne peut pas être cette explication, tant tout le monde sait que ces dérives n’existent pas, ni en France en général, ni en Seine-Saint-Denis en particulier.
Alors pourquoi diable ?
Pourquoi les magistrats, les policiers, le personnel hospitaliers et les enseignants semblent fuir cette zone qui a pourtant tout pour plaire depuis une infrastructure de transports en commun rivalisant avec la capitale, jusqu’aux loyers modérés bien qu’à proximité géographique de Paris, Ville Lumière d’art et de culture resplendissante n’est-ce-pas…
En outre, la Seine-Saint-Denis n’est-elle pas l’un des départements les plus dotés en équipements culturels et sportifs, tant les politiques de la ville et autres déversement d’argent public y ont été ultra-généreux ces 40 dernières années ? Le 93 n’est-il pas de surcroît ce bastion de la gauche la plus à gauche, celle qui, sans conteste au moins sur le papier, se présente comme vraiment à l’écoute du peuple et superbement syntonisée avec ses besoins au point de toujours œuvrer pour lui ?
Rien que cette dernière raison devrait par exemple achever de convaincre les hussards noirs de la République de s’y précipiter. Pourtant, il n’en est rien. C’est vraiment surprenant.
On se demande vraiment pourquoi il n’y a pas plus de bousculade d’agents dans ce département devant tous ces atouts ! Si l’on y ajoute maintenant cette solide prime, on se demande si le gouvernement ne vient pas là de valoriser assez concrètement l’étendue du problème, en estimant à plus d’un mois de salaire net par an, pendant 5 ans, le fait d’aller dans le 93 plutôt que dans la Creuse (aussi pauvre, au passage, mais peut-être trop calme ?)…
D’autre part, le versement de cette prime nous permet d’apprendre une autre chose.
Ainsi donc, par essence, 15 millions d’euros seront consacrés tous les ans à primer indemniser des individus pour rester en Seine-Saint-Denis… En somme, c’est exactement à l’image de ces indemnités qu’on verse à ces fonctionnaires qu’on doit envoyer à l’autre bout du monde dans ces petits bouts lointains de la République. Ou, de la même façon, à cette « prime d’OPEX » que les militaires touchent lorsqu’ils sont à courir loin de leur caserne pour défendre le drapeau, la veuve, l’orphelin ou les intérêts plus ou moins clairs de notre Grande Et Belle République Une et Moyennement Indivisible Mais Tout De Même.
De ce point de vue, il ne semble donc pas complètement idiot de considérer que ce département devient, à l’instar de certaines îles lointaines où la présence des administrations françaises est jugé indispensable, des petits bouts de notre République détachée dans des zones inhospitalières et que les agents qui y officient y soient traités quasiment comme des expatriés ou des militaires en opération, et qu’ils doivent en tout cas être indemnisés pour le bel esprit de sacrifice qu’ils démontrent en acceptant d’y aller (et d’y purger cinq longues années).
Oui, vous l’avez compris : avec le versement de cette prime, maintenant officialisée et qui commencera à tomber dans quelques mois pour les heureux fonctionnaires présents depuis cinq ans sur place, le gouvernement officialise en creux cette notion de « séparatisme », attribuant à ce département un statut clairement séparé de ses petits camarades métropolitains.
Lorsqu’on se rappelle qu’en parallèle, rien n’est fondamentalement changé ni dans les politiques régaliennes, ni dans les hiérarchies et les décisions politiques, tout ceci sent à la fois l’efficacité et la solide maîtrise du problème.
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