Quand une foule de phénomènes apparemment disparates se produisent avec cependant des similitudes dans la forme, il est tentant d’en rechercher l’identité profonde. Quel rapport y-a-il entre les antiracistes, les antispécistes, les antifascistes, les féministes et plus généralement les militants du « genre », les écolos ? D’abord, ils ont exactement les mêmes méthodes. Dans le but de renverser un ordre social, légitime ou non, mais installé, et qu’ils contestent en vue de modifier les lois ou simplement les habitudes sur lesquelles il s’appuie, ils ont recours à des manifestations plus ou moins violentes, qui visent à exercer une pression physique ou psychologique sur les éléments de la société qu’ils contestent ou qui leur résistent. Cela commence par un discours revendicatif nourri par le concept d’égalité des droits et des exemples, historiques notamment, de souffrances subies par les victimes de l’état de fait. Un premier dérapage a lieu qui consiste à déformer la réalité historique ou les faits divers pour servir leur cause. Un second, beaucoup plus grave fait glisser le combat pour des idées vers la lutte contre les personnes, les adversaires qui sont désignés, poursuivis, si possible humiliés. Un premier renversement a lieu dans les médias qui en produit un second dans le droit. Les politiques se couchent et modifient la loi. Mais celle-ci ne se contente pas de faire avancer les revendications, de faire progresser l’égalité souhaitée, elle devient aussi répressive à l’encontre des opposants, des « conservateurs ». La chasse aux sorcières est ouverte. L’inégalité change de côté. La justice se veut vengeance. On ne se contente pas de réparer les souffrances. On veut maintenant que le groupe désigné comme coupable collectif souffre à son tour. On se contente de le dire, avant de le faire. C’est en somme le schéma d’une révolution, sauf qu’ici, c’est une révolution qui détruit sans rien instaurer puisque la cible des différentes attaques convergentes est la société globale qui ne pourra survivre à son renversement par des groupes dont aucun n’est réellement porteur d’avenir. En fait, le moteur du mouvement est la haine de la société elle-même, de la nation au sein de laquelle on vit, de la civilisation dont on hérite. Le nihilisme qui caractérise le phénomène est la haine de soi.
L’antiracisme voulait légitimement l’égalité entre les hommes malgré leurs leurs différences génétiques, symbolisées le plus souvent grossièrement par la pigmentation de la peau. Le concept a ensuite débordé de ses frontières en englobant d’autres différences d’une toute autre nature, comme celles entre les religions. La critique d’une religion, la méfiance à son égard, n’ont rien à voir avec le racisme. On ne peut reprocher à un homme d’être né. On peut parfaitement ne pas aimer ses idées parce qu’on les trouve absurdes ou dangereuses. L’antiracisme a aussi subrepticement changé d’objectif, en privilégiant non plus la victime, mais le coupable. C’est ainsi que l’esclavage des noirs est devenu le seul crime des blancs européens, et qu’ont été oubliés, celui des noirs par les Arabes à Zanzibar, celui des chrétiens à Alger, ou la justification de l’esclavage des non-musulmans dans les textes fondateurs de l’islam. Mais l’antiracisme ne s’est pas contenté d’être le modèle, le vecteur de toutes les haines de soi, il a aussi tendu à faire du présumé bourreau une victime légitime. Il a fallu qu’un rappeur noir appelle à pendre les blancs et à tuer leurs bébés dans les crèches pour que l’on s’émeuve de la dérive : une victime supposée à tous les droits… Les insultes, les pressions, les violences subies par les européens dans certains quartiers sont sans doute devenues une forme de racisme plus fréquent que celui que prétendait combattre l’antiracisme. Le régime de l’apartheid en Afrique du Sud, dans un pays construit par les colons hollandais, puis anglais, a été aboli par eux. Cela légitime-t-il l’assassinat des fermiers blancs pour leur voler des terres que leur savoir-faire a rendu prospères, et cela dans l’indifférence du monde entier ? Le désastre économique du Zimbabwe voisin, ex-Rhodésie-du-sud, où les blancs ont été spoliés par un régime dictatorial qui a ruiné le pays, est pourtant probant.
Dans cette marche infernale vers l’absurdité, l’antispécisme est particulièrement révélateur. D’abord, il repose sur un élargissement du concept, lui-aussi. De même que la « race blanche » devait cesser de se privilégier dans l’espèce humaine, de même l’espèce humaine doit cesser de se prévaloir du droit de tuer dans le monde animal. Les bouchers sont stigmatisés. On manifeste devant leurs commerces. On se livre à des déprédations sur leurs boutiques. On n’hésite pas à les traiter de meurtriers, d’esclavagistes. Mais, fait remarquable, les boucheries « hallal » dont la viande est issue d’égorgements sont ignorées. La raison de cette discrimination est simple : les ennemis de mes ennemis sont mes amis. Lorsque je m’attaque à ma culture et à ses traditions culinaires, je ne dois pas paraître m’en prendre à une autre culture. Mais ce raisonnement implicite dévoile aussi la pathologie : cela n’a de sens que si l’on se veut ennemi de soi-même. (à suivre)
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