La France vient de connaître une décade prodigieuse. Celle-ci a commencé avec la révélation de l’affaire Benalla par le journal Le Monde et se termine avec la contre-offensive du clan macroniste largement déstabilisé jusqu’à ces derniers jours. Contrairement aux apparences, c’est sans doute ce dernier épisode qui devrait inquiéter les Français tant il témoigne des manipulations qui éloignent notre pays de la démocratie. Le Président de la République est évidemment au coeur de cette mise en scène de A à Z. Il s’agissait pour lui d’éviter de se voir attiré dans la broyeuse médiatique, comme ce pauvre François Hollande lors de l’affaire Leonarda, pourtant infiniment moins grave, et dans laquelle l’ancien président n’avait aucune raison d’intervenir. Or l’affaire Benalla est avant tout une affaire Macron. C’est ce dernier qui l’a embauché pour sa campagne. Il fait partie de ces socialistes qui ont accompagné le sauvetage réussi des socialistes progressistes et ont empêché l’alternance légitime dans une démocratie saine. Sa proximité avec le couple Macron ne laisse aucun doute. La tentative d’étouffer le scandale entre le 2 Mai et le 19 Juillet, en n’informant pas le Parquet des délits commis par l’intéressé et en se contentant d’une sanction virtuelle, dévoile la protection particulière dont il bénéficiait. La première réaction officielle fut aussi la première intervention du porte-parole élyséen Bruno Roger-Petit, cet ex-journaliste polémiste, qui sombra ce jour-là dans la langue de bois pontifiante… et mensongère, en prétendant que le faux-policier du 1er Mai avait vu son salaire amputé. L’essentiel était que le Président, lui, ne s’exprimait pas.
C’est là le fil rouge de la mise en scène dont le sommet est atteint avec le discours devant son clan à La Maison de l’Amérique Latine : il dit qu’il est le seul responsable et défie ses contradicteurs : « qu’ils viennent me chercher ! ». Extraordinaire formule écran, puisqu’il est constitutionnellement hors d’atteinte et que tout le scénario consiste précisément à éloigner le Président de toute responsabilité.
D’abord, il s’agit de circonscrire le problème à une faute personnelle commise le 1er Mai par un homme impulsif et dévoué, en tentant d’écarter le risque de voir accuser le système au pouvoir depuis l’élection de M.Macron. C’est pourquoi les éléments de langage du clan reprennent jusqu’à plus-soif ce leit-motiv. On se souvient non sans amusement du film Z de Costa-Gavras lorsque le juge interprété par Trintignant s’aperçoit que tous les « témoins » emploient la même formule : « il a bondi comme un tigre ». L’attitude de nombreux députés LREM se faisant les colporteurs des messages répétitifs concoctés par la Présidence est une honte, un abandon de la moindre dignité parlementaire. La Présidente de la Commission des Lois, membre de la majorité, trahira carrément son mandat en rendant stérile la commission d’enquête de l’Assemblée. Le parti présidentiel a réalisé son objectif. Il ne voulait pas d’une commission d’enquête, qui, elle, aurait été présidée par un membre de l’opposition. C’est donc la Commission des lois qui a mené les interrogatoires dans une salle trop petite et qui a soigneusement limité le nombre et la qualité des personnalités interrogées de telle façon que l’objet de l’enquête soit réduit aux événements du 1er Mai, place de la Contrescarpe, et sans interférer, bien sûr avec la procédure judiciaire engagée. C’est pourquoi, les vrais problèmes, c’est-à-dire le rôle exorbitant du pouvoir élyséen, le fonctionnement monarchique de l’Etat, le contournement des hiérarchies légitimes, de l’Etat de droit, les mensonges de la cour, en un mot, le pourrissement de « la République inaltérable », sont évacués. Pendant que le Sénat poursuit son travail sereinement et amène les « hommes du Président » à lui répondre, l’opposition quitte la commission de l’Assemblée, et tandis qu’elle est accusée de bloquer la procédure législative, on assiste à ce spectacle dégradant d’une présidente de commission essayant par ses questions d’obtenir les réponses les plus favorables au pouvoir. C’est ainsi qu’elle a cherché à faire dire au Commandant des CRS présents le 1er Mai que l’intervention de civils pour prêter main-forte à des policiers lors d’une intervention était normale. Il venait en effet de déclarer que l’intervention de Benalla était absolument inutile. Il finit par dire que la participation de policiers en civil au maintien de l’ordre est courante. Et la Présidente se garde de conclure que si les CRS avaient pris Benalla et son comparse pour des policiers en civil, les intéressés n’ignoraient rien de l’illégalité de leur action, et que celle-ci était donc le fruit du sentiment d’impunité de ceux qui sont proches de Macron.
Le Président qui demande qu’on vienne le chercher a donc parlé à reculons, en retournant là où il avait appris à slalomer, en prenant de la hauteur au Pic Du Midi, de la distance en Espagne, tandis que ses proches refusaient d’être entendus par l’Assemblée, y compris le ministre-apparatchik Castaner, chargé des relations avec le Parlement, ce qui est un comble. En revanche, Benalla, rasé, propre sur lui, entraîné et préparé par des professionnels, a eu droit au 20h de TF1. Le Monde avait souligné la présence dans l’entourage, de Mimi Marchand, cette grande amie du couple Macron qui leur ouvre la presse people. L’homme de main, devenant homme du verbe, ment avec aplomb, prétendant avoir agi comme un citoyen vigoureux et non comme un nervi violent intervenant hors-la-loi. Il serait responsable mais pas coupable et le Président serait la victime de cette affaire. La victimisation est devenue l’une des clefs de la politique actuelle. Elle ne pouvait manquer.
Une députée LREM, gaffeuse professionnelle, sauve l’honneur du groupe et de l’Assemblée. Claire O’Petit dénonce un grand manipulateur, et on a envie de lui dire que l’élève a égalé le maître, celui qui prétend restreindre l’affaire à une tempête dans un verre d’eau. Certes, mais ce verre est-il la Place de la Contrescarpe, l’Elysée, l’Etat, la France elle-même ? En tout cas son eau est saumâtre et trouble et l’ombre du Président la rend plus obscure encore.