La Grèce entre la mort et le suicide

Et c’est donc une belle sortie de route à laquelle nous avons assisté en fin de semaine dernière pour un pays pourtant piloté par la fine fleur de l’intelligentsia de gauche collectiviste : malgré un programme politico-économique cuisiné aux petits oignons à base d’improvisation et de fuite en avant, à l’étonnement général, la Grèce se retrouve en fâcheuse posture, à quelques heures d’une échéance de remboursement trop importante pour ses finances exsangues.

C’est ballot. Alors que la plupart des observateurs s’étaient déjà largement détendus et prévoyaient un retour à la normale avec un plan de sauvegarde (encore un) pour éviter au pays de sombrer au premier juillet, badaboum, c’est la déroute. Avec une finesse stratégique un peu difficile à décrypter, le premier ministre grec Tsipras est reparti chez lui en envoyant paître ses créanciers.

Comme prévu, les marchés — qui ont bien évidemment toujours su anticiper tout cela avec un flegme quasiment britannique — ont réagi avec quelques petites sautes d’humeur. Du reste, on ne pourra s’empêcher de noter le timing impeccable de ces innovations grecques puisqu’elles interviennent alors que l’indice de Shanghai subit des petits passages à vide ces derniers jours.

Comme prévu, les taux sur les bons souverains remontent pour les autres pays les plus exposés aux rigueurs de la météo financière. Italie, Espagne et Portugal ont vu ainsi nettement augmenter les taux de leurs bons d’État, pendant que les deux plus grosses économies de la zone euro (Allemagne et France) les ont vu descendre, presque mécaniquement.

Comme prévu, les Grecs ont continué de se ruer sur les distributeurs automatiques, pour sortir autant de liquide que possible dans l’hypothèse d’un gel des capitaux. Hypothèse qui s’est révélée très raisonnable et logique puisqu’il n’a pas fallu longtemps pour que le gouvernement ordonne une fermeture d’une semaine de toutes les banques du pays, et une restriction des retraits aux distributeurs. On peut à présent s’attendre à ce que cette situation dure quelques jours encore.

Comme prévu, on assiste aussi à une ruée sur l’or, et comme prévu, les cours du métal précieux montent descendent comme il faut dans ce genre de marché transparent et honnête. Parallèlement, le Bitcoin a pris une dizaine de dollars en une journée. Ce n’est pas une coïncidence.

Ceci dit, on ne pourra s’empêcher de féliciter Tsipras pour son idée de référendum. Certes, quelle qu’en soit l’issue, les problèmes économiques grecs ne seront pas résolus par une réponse par oui ou non à une question politique, mais pour le premier ministre grec, c’est finement joué : qui, à part quelque dirigeant européen vraiment pas doué en communication, pourra en effet lui reprocher de demander au peuple la direction qu’il veut prendre ?

Et puis, soyons lucides deux secondes : peu importe effectivement la réponse qui, on s’en doute, servira bien plus d’exutoire au peuple que de solution réelle à ses soucis.

S’il répond oui (et qu’il accepte donc le compromis qui avait été décidé il y a quelques jours), ce qui serait pour le moins surprenant compte-tenu de la façon dont ont été présentées les choses par l’actuel gouvernement, cela ravira peut-être les dirigeants de la zone euro qui pourraient dans ce cas desserrer leurs sphincters et relâcher un « ouf » de soulagement en imaginant pouvoir trouver, peut-être, une issue sinon heureuse du moins contrôlée à la sortie de route grecque. Mais le peuple aura mangé son pain blanc. Désavoué, Tsipras partirait peut-être, pour être remplacé par … On ne sait pas qui. Si le meilleur est possible, il est assez peu probable, au contraire du pire.

S’il répond non, on rentre en terre inconnue, parsemée d’hypothèses rigolotes comme le retour à la drachme (qui irait immédiatement à la poubelle ou presque), une économie rapidement délabrée par l’impossibilité totale du gouvernement à se financer, et une austérité pratique et complète impossible à amoindrir pour le peuple … qui aura mangé son pain blanc. Tsipras aura bien du mal à rester vu le grabuge qui aura toute latitude pour s’installer.

Vous avez noté que, dans les deux cas, le peuple grec prend cher. C’est triste, mais n’oublions pas que l’ensemble de la situation n’est pas non plus arrivée complètement par hasard. Les dix, vingt, trente dernières années d’empilement de décisions catastrophique, d’État-bien-trop-providence, de laxisme budgétaire total et décontracté, tout ça a été mis en place tant par le peuple que par les dirigeants qu’il s’est choisis. Certes, l’euro a accru les problèmes (comme le montre cet intéressant graphique ici), mais il ne les a pas créés en premier lieu.

Cependant, parallèlement à ces considérations relativement peu réjouissantes, on se doit de noter que les Grecs, pas tous fous (loin s’en faut), ont réussi à sortir une somme assez coquette du système bancaire avant que celui-ci ferme son rideau. Et si on peut supposer que la baisse des fonds bancaires disponibles, quasi-continue depuis 2009 et qui se monte maintenant à plus de 60 milliards d’euros et atteint son plus bas depuis 10 ans, n’est évidemment pas entièrement due à un retrait des dépôts (l’appauvrissement du pays étant en soi une assez bonne raison), il n’en reste pas moins que depuis septembre 2014, 33 milliards ont été retirés des banques :

On peut raisonnablement penser que cette somme ne peut pas être entièrement imputée à l’évaporation de la richesse grecque. Autrement dit, les Grecs ont un bas de laine de plusieurs milliards d’euros en petites coupures, et il sera fort intéressant de voir comment ils vont s’en servir, surtout si le pays voit réapparaître une monnaie locale dont on imagine sans mal qu’elle ne pourra pas rivaliser avec l’euro. Par ailleurs, on ne peut s’empêcher de penser que les Grecs, pour disposer d’une telle somme, ont depuis longtemps compris ce qui les attendait, et qu’ils n’accordent en définitive qu’une confiance très modeste à leur gouvernement.

Devant cette situation, on ne peut trouver qu’étrange la réaction immédiate du valeureux Gouroutoumou président français lorsqu’il déclare que la France n’a rien à craindre de la situation. Ce genre de déclarations péremptoires, faites par quelqu’un qui a plusieurs fois déclaré la crise finie, le chômage en baisse et la croissance de retour, devrait normalement déclencher une nervosité maximale chez tous ceux qui se rappelleront donc l’historique du pépère en matière de franchise, d’exactitude et de clairvoyance. Si les autres éléments ne vous ont pas fait paniquer, ce dernier est décisif pour passer en mode « danger immédiat ».

D’autant qu’on doit y ajouter les déclarations consternantes d’un Juncker encore une fois au top :

« Un ‘non’ voudrait dire, indépendamment de la question posée, que la Grèce dit ‘non’ à l’Europe. (…) Je demanderai aux Grecs de voter ‘oui’, indépendamment de la question qui leur est posée. (…) Il ne faut pas se suicider parce qu’on a peur de la mort. »

Répondre sans tenir compte de la question, un non au compromis qui veut immédiatement dire une sortie de la zone-Euro et de l’Union en tant que telle, et un final sur un dicton qui nous ferait presque regretter les haïkus de la serpillère belge, ah, franchement, y’a pas à tortiller, le Juncker a fait très fort.

Voilà en effet qui met les Grecs au pied du mur en transformant ce qui ressemblait encore de loin aux âpres transactions « normales » de gouvernants « responsables » à un ultimatum même pas voilé. Politiquement, peut-être le président de la Commission Européenne a-t-il cru bon de forcer le peuple contre un Tsipras devenu fort encombrant, mais c’est un jeu dangereux dont on voit mal qui pourrait sortir gagnant. Quelque part, cela en dit long sur la lucidité de nos élites. Cela en dit aussi très long sur ce qui attend la France.

Tout ceci n’est vraiment pas rassurant.

> H16 anime un blog.

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10 Comments

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  • richard b , 1 juillet 2015 @ 8 h 54 min

    Mais oui l’Europgroupe trouvera une enième solution pour les crecs ,ils ont tellement peur de la contagion, et que la Russie mette son grain de sel.
    M

  • richard b , 1 juillet 2015 @ 9 h 00 min

    Stipras est malin, il saura que le L’Europe va payer ad vitam aeternam , et que la dette ne sera jamais remboursé, et que les grosses fortunes,et les armateurs ne paieront pas..
    Les pauvres n’y sont pour rien.A vouloir prendre tout le monde, nous ne sommes pas au bout de nos peines.

  • Trahi , 1 juillet 2015 @ 9 h 18 min

    Ce matin, combien de grecs se sont réveillés MORTS? Aucun, alors faut arrêter de nous bassiner avec toutes ces histoires de fric, pure invention des hommes!!!!!

  • Nicolas , 2 juillet 2015 @ 1 h 11 min

    @ richard b : l’Europe ne paie rien. Même leurs économistes vendus nous expliquent maintenant que la dette est une grosse bulle que personne, aucun pays ne paiera jamais. Les créanciers demandent le paiement des interets, c’est tout. On nous dit ce que bq savaient déjà “la dette, on la met sous le tapis ” et de la Grèce et de la France, Italie etc… Mais pour les Grecs , les taux sont très élevés et le rythme de remboursement les détruit d’autant plus que “l’austérité” a fait plonger le PIB. Les mesures exigées feraient perdre 3 points de PIB. La gestion : l’impôt des salaries et retraites est retenu à la source. Il y a eu excédent primaire, ça veut dire que les impôts sont rentrés et que l’Etat a dépensé moins qu’il n’a reçu. Pas le cas en France. Les riches ne paient pas ou très peu. Vrai. Mais l’UE a défendu les plus riches. La dernière exigence de Lagarde qui a fait quitter les négociations à Tsipras : suppression de la taxe de 12% sur les bénéfices de plus de 500000€. Par contre, coupes encore dans les retraites, taxation supplémentaire des TPE et PME (il n’en reste déjà plus bq) relèvement énorme des taxes sur l’essence et gasoil pour les agriculteurs (on tue les survivants) et taux de TVA à 23% au lieu de 13 sur tout sauf les médicaments, là Tsipras s’est battu, doublement du forfait hospitalier avec une mortalité infantile qui a augmenté de 40%! Pour détruire le tourisme, un coup de TVA sur les îles. C’était une destruction massive bien structurée et pour une dette que personne ne demande. Une dette virtuelle, qu’on pourrait effacer comme les dettes de tous les pays. Les armateurs : ils leur suffit de changer de pavillon et plus de taxes. Et ils iraient ailleurs et encore qq milliers de chômeurs de plus. L’Eglise , il faudrait alors entretenir les bâtiments , l’état n’a pas les moyens. De plus, avec la crise humanitaire , c’est l’Eglise qui a repris les fonctions de l’Etat : soins, nourriture, hébergement , education, sous la troïka , l’Etat n’assurait plus tout cela. Merkel a reconnu “un désastre humanitaire “.par habitants, ils sont endettés à 30000€, comme nous, sauf que nous, on a pris bq de dettes de moins en compte. La nôtre est donc officiellement à 2000 milliards 51 millions mais réellement plus proche des 7000 milliards, soit 115 /120000€ par habitant. Je ne pense pas qu’on puisse se permettre de donner des leçons.

  • richard b , 2 juillet 2015 @ 10 h 12 min

    Il

  • richard b , 2 juillet 2015 @ 10 h 24 min

    Il n’a jamais été question de donner des leçons, se sont les plus pauvres qui trinquent dans dans tous les pays d’Europe, et toujours le mêmes qui s’en mettent plein les poches, ils nous prennent pour des imbéciles il faut voir comment. .

  • Nicolas , 2 juillet 2015 @ 13 h 38 min

    @ richard b. Oui, mais espoir. Si le “non” gagne dimanche et c’est jouable malgré les achats de voix des miséreux, l’espoir est pour tous les peuples d’Europe. Si la droite corrompue (ND, Pasok, To Potami) gagne, on est morts.
    Si j’avais pu voter aux élections , de droite libérale et anti-fasciste par essence, j’eûs voté Anel, la droite souverainiste de Kammenos, qui s’est illustré dans son combat contre la corruption et a vu sa baraque exploser le lendemain du jour où il a declaré, en réponse aux avances de l’UE pour faire ministre : “mon cadavre signera”. Tsipras est aussi clean et patriote que lui. Il a mon soutien. Refuser que les pauvres soient tués encore plus, au bénéfice des extrêmement riches , c’est dans le pacte libéral : ma liberté commence où …” . Le respect de l’autre. La Grèce est face aux banksters. Soutenons la coalition Tsipras/Kammenos . Leur action n’est pas dictée par des banksters. Peu m’importe que Tsipras soit de gauche ou pas, il travaille pour son pays et risque sa vie en connaissance de cause pour son pays, depuis l’annonce du référendum . Il y a des gens biens partt, sauf droite anti- nationaliste, socialos, centre et neo-nazis . Les apatrides devront rendre des comptes. Souvenez- vous “la Grèce n’est qu’un laboratoire ” (Schauble ). Et nos gouvernants corrompus , apatrides, qui travaillent contre les interets de la France , au profit de puissances étrangères, devront rendre des comptes.
    “Vendus”, regardez le feuilleton de la vente de l’aéroport de Toulouse- Blagnac. Sources Mediapart après article du Figaro. La Maffia est en piste et en postes et arrogante, sûre de son impunité. République bananière .
    Le “non” peut tout remettre en cause pour nos corrompus à nous.

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