Le Maghreb, le svastika et le croissant : en réponse à Jean Dutrueil

Je me dois de répondre à la réponse argumentée (et enrichie de digressions) de Jean Dutrueil à mon article sur « le menhir et le croissant ». Je le ferai en déclinant les différentes pierres d’achoppement. 

A) Le Maréchal Lyautey et le respect des identités

Jean Dutrueil nous dit: « Lyautey était respectueux des Marocains non pas tant par islamophilie que par respect des peuples et cultures différentes, missionnaires en Afrique. Les missionnaires ont volontairement détruit les us et coutumes des peuples indigènes afin de les déraciner pour qu’ils soient plus facilement « christianisables ».

Les biographes du maréchal ont tous noté qu’il était bien « islamophile » et « arabophile », bien au-delà d’une simple nécessité de politique coloniale. Ces trois citations me semblent corroborer cela :

« Nos religions, affirme-t-il, nous apprennent le respect réciproque de nos convictions » (19 octobre 1922).

Le 7 mars 1923, Lyautey, cloué au lit par la maladie, remercie le sultan d’être venu lui rendre visite et veut « remercier le Très Haut que, chrétiens et musulmans nous adorons en commun ».

Sur son mausolée à Rabat, on peut lire cette épitaphe :

« Ici repose Louis Hubert Gonzalve Lyautey qui fut le premier Résident général de France au Maroc 1912-1925, décédé dans la religion catholique dont il recut en pleine foi les derniers sacrements, profondément respectueux des traditions ancestrales et de la tradition musulmane gardée et pratiquée par les habitants du Maghreb auprès desquels il a voulu reposer en cette terre qu’il a tant aimée. Dieu ait son âme dans sa paix éternelle. »

Les assertions de Jean Dutrueil sur le mépris des réalités ethniques par le christianisme et sur le respect dû aux traditions musulmanes m’ont, je l’avoue, laissé pantois. Il y avait cinq grandes aires de civilisation autour de la Méditerranée dans l’Antiquité : la Mésopotamie, l’Egypte, la Phénicie-Syrie-Israël, la Grèce et Rome. Les trois premières ont été liquidées par l’islam et le panarabisme, alors que l’hellénisme et la romanité ont subsisté, même transformés par le christianisme. Quant à respecter l’islam, cela participe de l’esprit de tolérance (Claudel, au secours!), autrement dit du relativisme culturel qui nous conduit à l’abîme. Je rappelle d’ailleurs qu’en Afrique du nord, les populations punico-berbères étaient chrétiennes et que les derniers évêques n’ont disparu que vers 1050. Respecter toutes les ethnies, ce n’est pas respecter toutes les religions. Il y a là un confusionnisme regrettable.

B) Le FN et l’Algérie française

Jean Dutrueil prétend « A première vue, l’écrasante majorité des militaires ayant combattu en Algérie s’étaient révoltés contre le revirement du Général De Gaulle trahissant la promesse du maintien de l’Algérie dans l’Empire rebaptisé à cette époque Union française. Mais en y regardant de plus près, peu étaient partisans de l’Algérie française, rebutés par le mirage multiculturel. Ils se révoltèrent avant tout contre De Gaulle qui traita avec leurs ennemis algériens du FLN, qu’ils avaient pourtant vaincus. »

Cela va à l’encontre de la simple évidence, d’autant que nous sommes encore un certain nombre à avoir été témoins ou acteurs de cette époque. L’OAS aussi bien civile que militaire, combattait bien-sûr pour l’Algérie française et pour l’intégration (concept central) des musulmans dans la pleine citoyenneté française. Le 1er mars 1961 est publié le premier tract de l’Organisation Armée Secrète. Citons ce passage :

« Algériens de toutes origines, en luttant pour l’Algérie Française, vous luttez pour votre vie et votre honneur, pour l’avenir de vos enfants, vous participerez ainsi au grand mouvement de rénovation nationale. Dans cette lutte, vous suivrez désormais et exclusivement les mots d’ordre de l’OAS. Soyez certains que nous nous dresserons tous ensemble les armes à la main, contre l’abandon de l’Algérie, et que la victoire est assurée si nous savons la mériter. »

Il faut d’ailleurs sans cesse répéter que cette Organisation n’était pas fasciste, mais prenait au sérieux l’universalisme abstrait caractéristique de la conception française de la nation (aussi bien monarchique que républicaine), si bien exprimée par Renan (cela au mépris des réalités ethniques, religieuses, bref civilisationnelles). Ni Salan, ni Soustelle, ni Bidault n’étaient d’extrême-droite. Certes, le charismatique Susini se proclamait fasciste. Certes, quelques officiers se réclamaient du « national-catholicisme ». Mais ils demeuraient très minoritaires. En revanche, il est vrai que l’extrême-droite « encartée » soutenait l’Organisation secrète: Jeune Nation, Aspects de la France, la Cité catholique, etc… Et il est vrai aussi que le Front national s’est conçu, à sa fondation, comme fédération des groupes d’extrême-droite. 
En fait, le fascisme n’était pas là où on veut nous l’indiquer: le FLN était financé par le banquier nazi suisse François Genoud, exécuteur testamentaire de Hitler. Encore un nazi fasciné par les musulmans.

De Gaulle, partant des réalités, avait bien conscience de la nécessité de se débarrasser de l’Algérie, inassimilable à ses yeux et coûteuse (20% des dépenses publiques, en pure perte). Dès le 12 juin 1945, dans une directive au Garde des Sceaux, il écrivait :

« Sur le plan ethnique, il convient de limiter l’afflux des Méditerranéens et des Orientaux, qui ont depuis un demi-siècle profondément modifié la composition de la population française. Sans aller jusqu’à utiliser, comme aux Etats-Unis, le système rigide des quotas, il est souhaitable que la priorité soit accordée aux naturalisations nordiques (Belges, Luxembourgeois, Hollandais, Danois, Anglais, Allemands, …). » 

Et l’on connaît cette confidence à Alain Peyrefitte :

« Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. Qu’on ne se raconte pas d’histoires ! Les musulmans, vous êtes allés les voir ? Vous les avez regardés avec leurs turbans et leur djellabas ? Vous voyez bien que ce ne sont pas des Français ! Ceux qui prônent l’intégration ont une cervelle de colibri, même s’ils sont très savants. Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? Si nous faisions l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées ! »

Cette dernière citation nous prouve qu’il n’y a nul anachronisme à parler de l’intégration/assimilation des colonisés il y a 50 ans et des immigrés extra-européens aujourd’hui. Il s’agit de la même problématique. 

C) Hitler et l’islam

Jean Dutrueil affirme : « Hitler était de gauche, il s’allia avec les musulmans « modérés » proche-orientaux et iraniens avant tout pour des raisons géopolitiques et énergétiques. » Rien ne vaut des citations qui démontrent que pour Hitler, il s’agissait bien plus qu’un choix d’alliances de circonstances et que l’islam le fascinait. 
Voici donc quatre extraits des « Propos de table d’Hitler » (notes de son secrétaire Martin Bormann).

Le 13 janvier 1942 : « Je vais devenir très religieux. Je vais devenir homme d’Eglise. Je serai bientôt le grand chef des Tartares. Déjà Arabes et Marocains mêlent mon nom à leurs prières. Chez les Tartares, je deviendrai Khan. La seule chose dont je serai incapable, c’est d’accepter de partager le mechoui avec les cheiks. Qu’ils me tiennent quitte, moi, végétarien, de la viande. S’ils n’attendent pas trop longtemps, je me rabattrai sur les harems ! » 

Le 1 août 1942 : « Nous ne comprenons pas que les prêtres s’imaginent Dieu à la ressemblance d’un homme. De ce point de vue, les disciples de Mahomet sont, de loin, supérieurs aux prêtres, parce qu’ils n’éprouvent pas le besoin de se figurer Allah physiquement ! ».

Le 28 août 1942 : « La civilisation a été l’un des éléments constitutifs de la puissance de l’Empire romain. Ce fut aussi le cas en Espagne, sous la domination des Arabes. La civilisation atteignit là un degré qu’elle a rarement atteint. Vraiment une époque d’humanisme intégral, où régna le plus pur esprit chevaleresque. L’intrusion du christianisme a amené le triomphe de la barbarie. (…) Si à Poitiers Charles Martel avait été battu, la face du monde eût changé. Puisque le monde était déjà voué à l’influence judaïque (et son produit, le christianisme, est une chose si fade!), il eût beaucoup mieux valu que le mahométisme triomphât. Cette religion récompense l’héroïsme, elle promet aux guerriers les joies du septième ciel. Animés par un tel esprit, les Germains eussent conquis le monde. C’est le christianisme qui les en a empéchés. » 

Le 2 avril 1945 : « Les peuples régis par l’islam seront toujours plus proches de nous que la France, par exemple, en dépit de la parenté du sang qui coule dans nos veines. » 

Dans « Au cœur du troisième Reich, propos d’Adolf Hitler », Albert Speer rapporte cette confidence du führer :

“Nous avons la malchance de ne pas posséder la bonne religion. Pourquoi n’avons nous pas la religion des Japonais, pour qui se sacrifier à sa patrie est le bien suprême ? La religion musulmane aussi serait bien plus appropriée que ce christianisme, avec sa tolérance amollissante.” 

Le dirigeant nazi le plus proche de l’Islam était sans conteste le dirigeant des SS et occultiste déjeanté Heinrich Himmler qui disait dans un discours adressé à des SS musulmans en 1943 :

« Je n’ai rien contre l’islam, parce que cette religion se charge elle-même d’instruire les hommes, en leur promettant le ciel s’ils combattent avec courage et se font tuer sur le champ de bataille: bref, c’est une religion très pratique et séduisante pour un soldat. L’Islam n’est pas très dissemblable à notre conception du Monde. »
Dans Le Nazisme et l’islam (2004), Claudio Mutti affirme en s’appuyant sur une citation de Léon Degrelle, dirigeant nazi belge, que “Hitler avait indiscutablement un faible pour la religion islamique. Lui qui était d’origine catholique et qui comme enfant avait chanté dans le chœur de la paroisse, montrait un grand intérêt pour l’islam et sa civilisation”. Il montre comment cet engouement fut partagé par de nombreux dignitaires du NSDAP et comment il alla, dans un nombre significatif de cas jusqu’à la conversion et l’exil dans les pays arabophones, notamment en Egypte où ils exercèrent des fonctions sous Nasser : Johann von Leers (Omar Amin), adjoint de Joseph Goebbels, Joachim Daeumling, ex-chef de la Gestapo de Düsseldorf, William Boeckler (Abd el-Karîm), l’ex-SS-Gruppenführer Moser (Hasan Suleymâm), qui occupa un poste d’instructeur militaire; l’ex-commandant de la garde du corps de Hitler Léopold Gleim (an-Nâsir), Louis Heiden (al-Hâj), qui traduisit Mein Kampf en arabe.

Claudio Mutti s’est converti à l’Islam sous le nom d’Omar Amine. Personnage phare du néo-fascisme italien, il se qualifia lui-même de « nazi-maoïste ». En Grande-Bretagne, David Myatt, fondateur du British National Socialist Movement, se convertit lui aussi à l’Islam en 1998.

D) Hitler et la gauche

S’agissant du positionnement à gauche selon Jean Dutrueil ou à l’extrême-droite pour la politologie classique, laissons là encore la parole au caporal autrichien. Interrogé par un journaliste sur son appartenance supposée à la « droite bourgeoise », il répondit que le nazisme n’était d’aucune classe, ne se rattachait ni à la droite, ni à la gauche, mais préservait les éléments purs des deux camps et affirma: « Du camp de la tradition bourgeoise, je prends la solution nationale, et du matérialisme du dogme marxiste, le socialisme vivant et créatif ». (The Essential Hitler: Speeches and Commentary, Max Domarus, p 171). Sur le révolver calibre 7,65 mm que possédait Hitler, était gravé l’inscription suivante: « gegen der rote Front und die Reaktion » (contre le Front rouge et la Réaction), renvoyant dos à dos les extrêmes droite et gauche.
Il est vrai que Josef Goebbels tordait la bâton plutôt vers la gauche. En 1932, dans sa célèbre brochure (Die verfluchten Hakenkreuzler. Etwas zum Nachdenken) exposant le programme du parti nazi (NSDAP) il conclut ainsi :

« Nous sommes contre la bourgeoisie politique, et pour un authentique nationalisme !
Nous sommes contre le marxisme, mais pour un vrai socialisme !
Nous sommes pour le premier État national allemand de nature socialiste !
Nous sommes pour le Parti national-socialiste des travailleurs allemands ! »

Si l’on écarte les pétitions de principe pour rentrer dans le concret, dans les réalisations politiques, on ne peut que constater que les nazis, en trois ans d’occupation de l’ouest de l’URSS, ont conservé la structure sociale intégralement étatisée, remplaçant la nomenklature bolchévique par une nomenklature nazie indigène ou allemande gérant les entreprises et les kolkhozes en totale continuité. Et puis, il y a surtout ce trou noir de l’historiographie, à savoir la République sociale italienne, dite république de Salo, où pendant un an et demi, Mussolini, débarrassé de la monarchie, des conservateurs et de l’Eglise, a pu appliquer intégralement son programme, notamment de nationalisation massive (sauf agriculteurs et artisans), faisant de l’Italie du nord un vrai pays « communiste ».

E) Le « monde libre » et l’islamisme

Le longue digression de Jean Dutrueil sur ce sujet m’a rempli de perplexité.

Dire que les Américains (et les Britanniques) privilégient les monarchies péninsulaires assises sur des réserves d’hydrocarbures colossales pour préserver des intérêts énergétiques est un simple lieu commun. Cela s’est effectué d’ailleurs au prix de rapports souvent tendus avec Israël qui n’a pu assuré son indépendance que par les armes tchèques et russes en 1948 et a dû reculer à Suez en 1956. Les Américains ont aidé Nasser au début et ensuite Sadate et Moubarak: leur critère n’était pas idéologique, mais pragmatique: soutien aux régimes antisoviétiques. 

Parler de régimes « progressistes » pour les dictatures militaires panarabistes sous prétexte qu’elles étaient soutenues par l’URSS peut faire sourire. Nasser, le FLN algérien et le Parti socialiste de la Renaissance arabe (les Baaths syrien des Assad et irakien de Saddam Hussein) sont idéologiquement plutôt nationaux-socialistes. Je ne vois pas qu’ils aient fait faire plus de progrès à leur pays que les monarchies incriminées. Ce serait plutôt l’inverse.

En fait, le choix pour nos Etats de civilisation européenne est périlleux, puisque devant choisir entre la peste islamiste et le choléra panarabiste, qui par ailleurs impactent démographiquement nos pays. En fait, il faut laisser les querelles sur les principes (pourquoi préférer le panarabisme plutôt que l’islamisme ou vice-versa) et demeurer pragmatique. Autrement dit s’orienter à l’opportunité. Soutenir les émirats peut dans certains cas être préféré. Dans d’autres cas, on soutiendra Haftar ou Sissi, ce dernier étant d’ailleurs aidé par les Séoudiens, preuve que l’Orient est compliqué, comme disait le Général. En revanche, une certitude: l’Iran (la vieille Perse antiarabe) doit redevenir un allié « de revers », dès lors qu’elle se débarrasse peu à peu de la chienlit chiito-islamiste.

L’arrivée du général Sissi au pouvoir en Egypte et le retournement du général Haftar en Libye combattant les islamistes de Cyrénaïque sont une immense chance pour la sécurité extérieure de la France, sécurité qu’elle n’a cessé de saborder depuis qu’elle est le caniche des Yankees !

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29 Comments

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  • Rouletabille , 1 juillet 2014 @ 8 h 26 min

    @Aristote

    Vous avez en partie raison. Musulmans, chrétiens, peaux rouges invoquent un Dieu créateur et tout puissant. Mais la différence entre le christianisme et les cultes d’un Dieu créateur va bien au-delà de la foi chrétienne en un Dieu trinitaire, dont trois n’en font qu’un, donc un Dieu unique.

    La différence, l’énorme différence est que le Dieu chrétien est un Dieu d’amour venu POUR TOUS les humains. Est-ce la même chose pour Allah ou pour le Grand Manitou?

    Notre Dieu chrétien nous promet le salut pour autant que nous suivions la loi naturelle, la morale naturelle telle qu’elle est exprimée dans les dix commandements, or bien d’humains, même athées la respectent. Mais c’est le Christ qui nous montre la voie directe vers le salut hors de laquelle on s’égare facilement.

  • jeanluc , 1 juillet 2014 @ 9 h 08 min

    Il n’y a effectivement aucun point commun entre al-lah et le Dieu des chrétiens. C’est une adaptation bancale d’une d’idole du désert (dont ils ont gardé le lieu de pélerinage, la mecque, et l’adoration de la kaaba -résidence , entre autres choses et qui est resté plus proche de Baal que du Dieu chrétien) au monothéisme judaïque agrémenté pour l’occasion d’iconoclastie et de nazaréisme, hérésies chrétiennes du Moyen-Orient à l’époque du début de la fabrication du culte (le coran date du XIè siècle dans sa forme définitive) et bien sûr de rites et symboles polythéistes maintenu -comme le calendrier lunaire qui détermine les dates du ramdam. Al-Lat et ses deux copines (déesses vénérées avant l’invention de l’idéologie mahométane) sont d’ailleurs citées dans la sourate 53 19

  • jeanluc , 1 juillet 2014 @ 9 h 10 min

    Excellent article qui remet bien les choses en place.

  • cril17 , 1 juillet 2014 @ 12 h 52 min

    17 000 mercis pour ce superbe article !

  • patrick Canonges , 1 juillet 2014 @ 14 h 38 min

    @berserk. Merci de me donner ll’occasion de parler du drame rwandais.
    Quand les Belges ont hérité du protectorat allemand sur le Rwanda et le Burundi en 1918, ils ont préservé les deux royautés et les « noblesses » issues de l’ethnie tutsie. La Belgique était gouvernée par deux partis principaux gouvernant en alternance ou en coalition: le Parti libéral, anticlérical et lié à la franc-maçonnerie et le Parti chrétien-démocrate lié à l’Eglise catholique. Dans les deux protectorats, une répartition des tâches a donné aux libéraux l’administration régalienne et à l’Eglise l’enseignement et la santé. L’Eglise n’est donc pas l’unique responsable du désastre que fut la gestion courante de ces protectorats. Pourquoi ce désastre?
    L’évangélisation s’est effectuée en deux épisodes qui s’expliquent par l’évolution de l’Eglise belge. En gros, avant la Deuxième Guerre mondiale, elle était respectueuse de ce que l’on appelle les « hiérarchies naturelles », donc les monarchies et les noblesses. Elle privilégiait donc les Tutsis (15% de la population). Après le Guerre, se voulant plus proche de l’Eglise primitive, elle mit en avant les notions d’universalisme et de « pouvoir du peuple » et mit en avant et soutint les Hutus (85% de la population). Tout cela en accord avec le pouvoir civil, tenu en grande partie par les anticléricaux dont l’évolution fut parallèle, bien que basée sur des présupposés idéologiques très différents.
    Tout cela conduisit à renforcer les oppositions sociales (riches-pauvres, nobles-roturiers, pasteurs-agriculteurs, politiciens-administrés) en les liant irrévoquablement à une opposition ethnique (Tutsis-Hutus). Bernard Lugan, dans son « Rwanda. Le génocide, l’Église et la démocratie » (2004), en analyste très fin, a bien mis ces mécanismes en lumière, en s’opposant au courant « mainstream » de l’ethnologie française qui réussit l’exploit d’être une ethnologie sans ethnies, puisque niant leur existence (Jean-Pierre Chrétien, Jean Loup Amselle et Catherine Coquery-Vidrovitch). Notons par ailleurs le courage intellectuel de Lugan, catholique lefebvriste, quand il dénonce l’action délétère d’une Eglise qui avant la Guerre était lefebvriste avant la lettre. L’Eglise paye actuellement ses errements: en 1991, juste avant le génocide, les catholiques représentaient 73% des rwandais. En 2002, ils ne sont plus que 49%, les protestants progressant très vite.
    En revanche, je ne vois pas en quoi cet épisode dramatique mais très isolé même en Afrique, peut autoriser Jean Dutrueil à généraliser un soi-disant rôle dissolvant des identités et des morales traditionnelles exercé par l’Eglise durant la colonisation. Au Rwanda justement, elle s’est trop contenté d’une évangélisation superficielle sans avoir la volonté d’éradiquer la morale dite traditionnelle, « raciste » et égocentrique des deux identités (ethnies) en présence.

  • Koopa Troopa , 1 juillet 2014 @ 14 h 40 min

    les propos de tables ne sont une source fiable, écrite par Bormann, qui ne cachait pas son admiration pour l’URSS…

  • Jean Dutrueil , 1 juillet 2014 @ 16 h 03 min

    @ Patrick Canonges,

    Vous dites: “En revanche, je ne vois pas en quoi cet épisode dramatique mais très isolé même en Afrique, peut autoriser Jean Dutrueil à généraliser un soi-disant rôle dissolvant des identités et des morales traditionnelles exercé par l’Eglise durant la colonisation. Au Rwanda justement, elle s’est trop contenté d’une évangélisation superficielle sans avoir la volonté d’éradiquer la morale dite traditionnelle, « raciste » et égocentrique des deux identités (ethnies) en présence”.

    Et bien sachez que je tiens mon propos de Bernard Lugan, le génocide Rwandais n’est pas un cas à part mais paroxystique de la colonisation européenne en Afrique et de la volonté des missionnaires d’imposer “leur Dieu Unique” et surtout impérialiste.

    Les missionnaires partout ou ils sont passés ont déstructuré les modes de vie ancestraux des locaux pour imposer leur foi, ce fut le cas en Algérie, ou tout le système tribal, dans la répartition des terres cultivables et modes de successions ont été tout simplement rayés pour faire des arabo-berberes des individus disloqués de leur communauté afin qu’ils soient convertissables (le chaos algérien prend notamment racine dans cette déstructuration, à l’inverse du Maroc, ou Lyautey refusa qu’on touche à la religion et aux traditions des indigènes), ce fut le cas au Kenya comme le dénonça Karen Blixen et ce fut aussi le cas à Madagascar comme l’a dénoncé Hervé Juvin où la bas un véritable génocide culturel a eu lieu, avec destruction systématique de tous les temples et statues païens, exactement comme autrefois en Europe, où sa christianisation doit bien plus aux persécutions voire massacres contre les païens que des gentils bisous des missionnaires comme le révèlent toutes dernières études historiques dont mêmes les historiens catholiques de la romanité tels que feu Lucien Jerphagnon ou encore Yann le Bohec se sont ralliés .

    Le christianisme a une responsabilité directe et importante (mais il n’est pas l’unique cause, les frontières artificielles et la démocratie à l’occidental faisant le reste) dans la situation africaine actuelle qui est complétement chaotique car obéissant à une religion et des systèmes politico-social européens totalement étrangers à leur modes de vie ancestraux.

    Pour plus d’info à ce sujet: le dernier numéro spécial sur l’Algérie de la revue Afrique réelle de Benard Lugan ou son long article sur la question dans le premier numéro spécial sur la colonisation africaine de la Nouvelle Revue Histoire

    Bien à vous

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