Dans Servitude et Grandeur militaires, Vigny évoque la religion de l’honneur. “L’homme, écrit-il, sent remuer quelque chose en lui, qui est comme une part de lui-même, et cette secousse réveille toutes les forces de son orgueil et de son énergie primitive”. Les “ministres” qui ont réagi outrageusement à la lettre ouverte signée d’abord par un millier de militaires, en retraite pour la plupart, et qui sont rejoints par beaucoup d’autres, sont incapables de comprendre ce sentiment. C’est tout simplement celui qui anime tout résistant. L’honneur était avec le bon sens et l’intérêt supérieur de la patrie l’un des trois motifs cités par le Général de Gaulle pour désobéir, pour refuser la lâche soumission de l’armistice de 1940. Honneur et Patrie était la devise de la France Libre, et il n’y a rien d’étonnant qu’elle soit reprise dans le texte qui a soulevé la colère vengeresse de ceux qui nous gouvernent.
Dans le processus d’inversion des valeurs qui est en train de tuer notre pays, nos dirigeants récidivent. Ils opposent un légalisme surjoué pour cacher la légitimité de la mise en garde. La France est en chute libre dans de nombreux domaines. Son “président” cultive la repentance, et participe ainsi à l’entreprise de déconstruction de l’histoire destinée à ôter aux Français la fierté de leur passé, et la conscience de leur identité. La dénonciation d’un antiracisme à sens unique qui éveille les tensions communautaires, celle d’un islamisme virulent et conquérant qui soustrait des quartiers à la République, sont des cris du coeur, l’expression d’indignations partagées par une multitude de Français. S’il ne s’agissait pas du patriotisme affirmé par des militaires, mais d’une lubie écologiste ou d’une protestation communautaire, on parlerait de “lanceurs d’alerte”, mais ceux-ci sont du mauvais côté de la rue. Sans doute, derrière le constat, il y a la critique des “louvoiements et des silences” de ceux qui nous gouvernent. Mais les soldats sont-ils condamnés au silence ? On peut penser au contraire qu’ils ont davantage le droit à la parole que beaucoup d’autres, parce qu’ils ont offert leur vie au pays et qu’ils sont en première ligne dans sa défense face aux menaces qui montent. Les militaires sont des citoyens à part entière, et même plus citoyens que d’autres en raison de leur engagement au service de la Cité, de la nation.
La réponse de la gauche, et du pouvoir qui rappelle ainsi son véritable ancrage, est scandaleuse. “Factieux” ose le clown Mélenchon. Des ministres évoquent le putsch manqué de 1961 et disent entendre des bruits de bottes. Il n’y a rien dans le texte pourtant qui exprime une menace pour la légalité, si ce n’est celle qui viendrait de la partition du pays et de la montée du séparatisme, et sur laquelle, les militaires veulent attirer l’attention. Certes, des officiers généraux se sont rebellés pour refuser l’abandon de l’Algérie. Ils n’ont pas été suivis parce que le peuple voulait que cesse cette guerre même si l’honneur de l’armée pouvait en être atteint, mais ce sont aussi des généraux, et parfois les mêmes qui, le 13 Mai 1958, ont permis l’instauration de la Ve République et sauvé notre pays de la médiocrité absolue dans laquelle nous enfonçait le régime précédent. L’armée est l’ultime rempart de la nation, et son dernier recours lorsqu’elle est en danger de mort. Il faut de l’aveuglement, de la mauvaise foi, ou une certaine tendance à la trahison pour ne pas écouter ses mises en garde.
L’appel des militaires est donc légitime et ne menace nullement la légalité. En revanche, c’est la légitimité des réactions de nos “ministres” qui est en cause. De quel droit stigmatisent-ils les auteurs d’un rappel salutaire ? L’appartenance à l’oligarchie de connivence confère-t-elle une légitimité illimitée ? La carrière est le maître-mot de leur vie, une vie sans risque, d’une famille bourgeoise à de grandes écoles, puis à une enfilade de cabinets ministériels, et d’entreprises, en alternance, sans crainte du chômage, et avec de somptueux revenus assurés. Tout cela est-il justifié ? Quel service objectif et vérifiable ont-ils rendu au pays ? Quel succès éclatant ont-ils offert aux entreprises confortablement traversées, mais jamais comme entrepreneurs pouvant tout perdre ? De quel droit une carriériste socialiste comme Mme Parly interdirait-elle à des soldats de s’exprimer ? Certes la gauche de la IIIe République ne leur donnait pas le droit de vote. Mais est-il acceptable que celui qui fait plus pour le pays y ait moins de droits ? Mme Pannier-Runacher coutumière des dérapages d’une énarque qui s’imagine sans doute propriétaire de la République, sans même avoir été élue, ose parler des militaires en charentaise. Pour ceux qui mènent une carrière entre couveuse ministérielle et pantouflage en entreprise, le mot devient un boomerang. Quant aux parachutes, ils ne les connaissent que dorés !
Les réactions politiciennes sont dérisoires. Les menaces de sanctions sont en revanche insupportables. Elles sont formulées avec plus de rigueur que lorsque l’on vise des loubards, avec le même discours mécanique de la “condamnation avec fermeté” après une attaque de policiers par une horde de banlieue. L’appel lancé par des militaires était responsable et respectable. La réponse du pouvoir que la France subit est irresponsable et méprisable. Est-il normal que dans un pays, ceux qui ne prennent aucun risque, fût-ce celui d’une élection, à défaut de celui de perdre sa vie, ou de couler avec son entreprise, stigmatisent ceux dont le risque vital est l’axe de leur métier, de leur vocation ? Quant au risque de coup d’Etat, il est assez gonflé de le brandir chez ceux qui détiennent le pouvoir grâce au coup d’Etat judiciaire de 2017. Il est vrai que les magistrats ne sont pas enclins à neutralité des militaires.
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